À la très silencieuse Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest,
Cinquante ans ! Voilà un demi-siècle que tu occupes le fauteuil de l’intégration ouest-africaine. Cinquante ans à brandir des résolutions sans lendemain, à discourir dans des hôtels cinq étoiles pendant que les peuples crèvent à ciel ouvert. Cinquante ans d’imposture diplomatique, de compromissions feutrées, de gesticulations inutiles, de trahison assumée.
Je t’accuse, CEDEAO.
Je t’accuse d’avoir trahi ta mission première : servir les peuples. Tu leur as préféré les palais présidentiels, les dynasties électorales, les putschs constitutionnels. Tu as troqué la voix des citoyens contre les murmures des chefs d’État. Tu t’es liguée avec les puissants contre les faibles, avec les bourreaux contre les victimes, avec les corrompus contre la vérité.
Je t’accuse d’avoir inventé une démocratie à géométrie variable. Celle qui acclame les tripatouilleurs de constitutions mais condamne les putschistes quand ils dérangent les intérêts de tes parrains. Celle qui s’émeut quand les militaires prennent le pouvoir, mais qui applaudit quand les civils le confisquent à vie. Tu te fais passer pour une gardienne de l’ordre républicain, mais tu es en réalité la marraine des impostures.
Je t’accuse d’avoir été absente des grands rendez-vous de l’histoire :
– Absente quand les jeunes manifestaient pour la dignité.
– Absente quand les urnes furent violées.
– Absente quand les réfugiés franchissaient les frontières à pied, fuyant les guerres que tu n’as pas su prévenir.
– Absente quand l’économie informelle, seule source de survie pour des millions de gens, croulait sous le poids de ta bureaucratie indolente.
Je t’accuse d’avoir confondu paix et paresse, stabilité et servilité. Tu n’as pas été le rempart contre les violences, tu as été leur complice silencieuse. Ton silence sur les massacres, tes demi-mots face aux violations des droits humains, tes reculades face aux tyrans… tout cela fait de toi une organisation moralement en faillite.
Je t’accuse de faire de l’intégration régionale une coquille vide. Où sont les routes régionales ? Où sont les corridors de commerce libre ? Où sont les universités communes ? Où sont les visas CEDEAO ? Où est la citoyenneté communautaire que tu promets depuis 1975 ? Nous avons des frontières aussi rigides que les colonisateurs les ont laissées, des douaniers plus corrompus qu’à l’époque coloniale, et un sentiment d’appartenance aussi fragile qu’un passeport périmé.
Je t’accuse d’avoir préféré la forme au fond. Tu fais des sommets, mais pas de progrès. Tu organises des conférences, mais jamais de changement. Tu publies des rapports que personne ne lit, tu prononces des discours que même toi tu ne crois plus. Tu es devenue un club d’anciens présidents, une chorale de faux prophètes, un syndicat de chefs d’État en sursis.
Et maintenant que le Mali, le Burkina et le Niger t’ont tourné le dos, tu découvres, comme une bourgeoise trompée, que l’amour ne se décrète pas. On ne retient pas les peuples à coups de communiqués. On ne maintient pas une union en méprisant ses membres.
Le plus grave, CEDEAO, ce n’est pas que tu aies échoué. Le plus grave, c’est que tu n’as même pas essayé. Tu t’es contentée d’exister, sans jamais être utile. Tu t’es crue indispensable alors que tu étais déjà dépassée.
Tu as cinquante ans et tu n’as rien construit. Tu as cinquante ans et tu inspires la méfiance. Tu as cinquante ans et tu portes déjà les habits d’un cadavre.
Alors non, il ne s’agit plus de te réformer. Il s’agit de te juger. Et le verdict est sans appel : coupable de non-assistance à peuples en danger.
Ton histoire n’est pas finie, mais elle n’est plus la nôtre.
Aly KOMANO, Observateur de la politique africaine