Le 25 mai 2025, l’Afrique commémore un énième anniversaire de l’Union Africaine, jadis Organisation de l’Unité Africaine (OUA), fondée en 1963 à Addis-Abeba. Officiellement, c’est un jour de célébration. Officieusement, c’est un rappel cuisant de ce que nous aurions pu être… et de ce que nous refusons d’être.
Que reste-t-il de la noble ambition des pères fondateurs ? Kwame Nkrumah, Modibo Keïta, Haïlé Sélassié, Julius Nyerere… Ces géants de la dignité africaine avaient rêvé d’un continent fort, solidaire, décolonisé dans les faits comme dans les têtes, marchant d’un même pas vers la paix, le progrès et l’unité. Six décennies plus tard, cette vision s’est embourbée dans les sables mouvants des intérêts égoïstes, des dictatures rampantes et des complicités silencieuses.
Un continent désuni qui se proclame uni
Ironie du vocabulaire : l’Union Africaine porte un nom qu’elle n’incarne pas. Elle prétend unir un continent dont les frontières restent aussi hermétiques que les silences de ses dirigeants face aux tragédies. Entre le Maroc et le Sahara occidental, entre le Rwanda et la RDC, entre le Mali et ses voisins, les conflits sourdent, les rancœurs s’accumulent, et l’Union observe… dans un silence complice ou un balbutiement diplomatique.
À quoi bon une union qui ne dit mot lorsque les enfants du Soudan se noient dans les fleuves de sang ? À quoi sert-elle lorsqu’en Éthiopie, au Cameroun, au Burkina ou en Libye, les armes parlent plus fort que les discours ? L’UA est prompte à se réunir, lente à agir. Elle produit des résolutions, rarement des solutions. Son Conseil de paix et de sécurité est devenu un mausolée de l’indignation.
Des coups d’État en série, une indifférence bien huilée
L’Afrique de l’Ouest a vu défiler, en quelques années, une litanie de putschs : Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger… À chaque fois, le même scénario. Une condamnation molle. Une suspension symbolique. Puis la normalisation tranquille.
L’UA, loin d’incarner une colonne vertébrale morale, devient le miroir de ses membres : hésitante, paralysée, parfois complice. Le respect de la démocratie ? Une variable. Le soutien aux peuples ? Une formalité. L’intransigeance contre les dictatures ? Un vœu pieux.
Une Union au service des chefs, pas des peuples
La tragédie la plus insidieuse, c’est que l’UA est devenue un club de présidents plus qu’un espace de peuples. Les citoyens africains ne s’y reconnaissent pas. Quand une crise surgit, ils se tournent vers la CEDEAO, l’ONU, voire l’Union européenne. Rarement vers l’UA. Elle est perçue comme distante, bureaucratique, invisible.
Combien de jeunes Africains savent ce que fait concrètement l’Union Africaine pour eux ? Où est sa voix sur la migration clandestine, sur la jeunesse désespérée qui se jette à la mer pour fuir la misère ? Où est son indignation face aux humiliations en Libye, aux traitements racistes en Tunisie, aux rapatriements honteux en Arabie Saoudite ? Elle gémit à peine. Elle parle bas, trop bas pour être entendue.
L’intégration économique : mirage ou mirage ?
On nous parle de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine), une promesse de prospérité. Mais comment commercer librement dans un continent où les routes sont des pièges, les barrières douanières des murs, et la méfiance un principe de gouvernance ?
Les peuples africains ne circulent pas librement chez eux. Un Sénégalais aura plus de facilité à entrer en France qu’en Érythrée. Un Camerounais doit justifier mille raisons pour visiter le Kenya. Le rêve de Kwame Nkrumah d’un passeport unique africain dort dans les tiroirs, en attendant des décideurs qui décident.
Un réveil ou un enterrement ?
À quoi bon fêter une institution qui ne se réforme pas ? Qui n’écoute pas sa jeunesse ? Qui ne défend pas ses morts ? L’UA est à la croisée des chemins. Elle peut se contenter de célébrer ses anniversaires dans des palais climatisés, ou alors oser une révolution morale et institutionnelle.
Cette révolution commence par la lucidité : admettre son échec à unir, son absence sur le terrain, son déficit de crédibilité. Elle se poursuit par une réforme profonde : faire de l’UA une institution des peuples, pas des puissants. Une voix des sans-voix, pas l’écho des palais.
L’Afrique ne manque pas d’intellectuels, d’entrepreneurs, d’artistes, de femmes et d’hommes capables de porter cette union. Mais elle manque d’une institution capable de les entendre.
En ce 25 mai, nous ne célébrons pas une réussite. Nous saluons une idée blessée, un rêve qui boîte, une promesse non tenue. Mais tant que ce rêve habite encore nos mémoires, il mérite d’être réveillé. Et pour cela, il faut d’abord le pleurer avec honnêteté.
Aly KOMANO, observateur de la scène politique africaine