Mi-mai à mi-juin 2023. Débat d’orientation constitutionnel en cours au sein du Conseil National de la Transition (CNT) en Guinée. Un processus en soi salutaire. La constitution devant régir les destinées de la nation doit refléter les réalités du pays et les aspirations du peuple et être le fruit d’un large consensus de toutes les filles et de tous les fils de la Guinée. Dans la présente tribune, juriste constitutionnaliste et internationaliste, nous entendons contribuer au présent débat d’orientation constitutionnel[1] en rappelant l’essence de la démocratie, le sens de la transition démocratique et optons clairement pour un régime présidentiel rationnalisé pour la Guinée. Le 15 septembre de chaque année, il y a la célébration de la Journée internationale de la démocratie, presque dans l’indifférence en Guinée. Pourtant, depuis le 05 septembre 2021, date de prise effective du pouvoir en Guinée par le Comité National de Rassemblement pour le Développement (CNRD), c’est le maître-mot qui gouverne toutes les lèvres. Quels sont les principes essentiels de la démocratie ? Quid de la période de transition démocratique en Guinée ? Quelle démocratie peut-on envisager pour la Guinée ? Et si la Guinée adoptait un régime présidentiel rationalisé ? Telles sont les quatre questions auxquelles nous allons tenter d’apporter de modestes esquisses de réponse.
II- Quelle est l’essence de la démocratie ?
La démocratie peut comprendre plusieurs acceptions telles que pouvoir du peuple, choix de gouvernants par les gouvernés, soumission de tous à la volonté populaire, … Cependant, le mode de choix des gouvernants par voie électorale, la soumission de tous (gouvernants et gouvernés) au droit et le respect des droits humains constituent les principes substantiels qui fédèrent toutes les opinions. En d’autres termes, la démocratie désigne une forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple qui l’exerce aux moyens de représentants élus par voie d’élections honnêtes, libres, pluralistes, justes et périodiques dans le but de garantir le respect des droits de la personne et assurer la paix sociale. Les racines de la démocratie sont anciennes et ses principes ont été rappelés tant par des sources universelles, régionales que nationales. Ce sont respectivement la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1977), la Déclaration universelle de la démocratie des Nations unies (1997), la Charte africaine de la démocratie et de la bonne gouvernance de l’Union africaine (2001), le Protocole de la gouvernance et de la démocratie de la CEDEAO et le préambule de diverses constitutions nationales. L’article 21.3 de la DUDH stipule à cet effet que : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics ; cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté du vote. »
III- Quid de la transition démocratique en Guinée depuis le Coup d’Etat du 05 septembre 2021 ?
D’emblée, il convient de cerner le concept de « Transitions démocratiques ». Pour Huntington, la transition démocratique « comporte la mise à terme du régime non démocratique, l’instauration du régime démocratique et la consolidation du nouveau régime » [Samuel Hungtinton, Troisième vague, 1996]. Le Pr Holo définit le concept comme « une période au cours de laquelle un pays change ses structures politiques et passe d’un régime autoritaire vers un régime démocratique » [Theodore Holo, Séminaire de DEA Transitions démocratiques, Université d’Abomey-Calavi, 2001]. Pour nous, « les transitions démocratiques désignent le passage d’un régime autoritaire méconnaissant les droits de l’homme à un régime démocratique, un régime protecteur des droits de la personne [Thierno Souleymane Barry, Transitions démocratiques et droits de l’homme en Afrique de l’ouest : cas du Benin, la Guinée, le Togo et le Mali, Mémoire de DEA, Université d’Abomey-Calavi, 2001]. Le passif du régime précédent en termes des droits humains, le Coup d’Etat intervenu et les orientations des nouvelles autorités tendant à la libération des détenus politiques et à la restauration du processus démocratique permettent de répondre par l’affirmative à la question que dessus. La Guinée est entrée dans une période de transition démocratique. Elle peut bien amorcer un processus de retour à un ordre constitutionnel démocratique.
IV- Quelle démocratie pour la Guinée?
En célébrant le 15 septembre de chaque année comme Journée internationale de la démocratie, les Nations Unies ne prennent pas la défense d’un « modèle spécifique de gouvernement mais d’une gouvernance démocratique ». Il appartient ainsi à chaque peuple, tout en respectant les principes sus indiqués, de moduler sa gouvernance démocratique. Avec l’arrivée de nouvelles autorités le 05 septembre 2021 et la transition qui se dessine à l’horizon, il est loisible de se questionner sur la démocratie à bâtir en Guinée. Cependant, il est utile de souligner, d’emblée, que la Guinée a besoin d’une réelle démocratie et non son vernis. La démocratie s’entend par la réunion et l’application des principes et valeurs qui la sous-tendent à savoir : un multipartisme intégral – avec possibilité de contrôle de l’effectivité de l’existence des partis politiques – le pluralisme syndical, la liberté d’association, le pluralisme d’opinion, le respect des droits de l’homme en général, la soumission des gouvernants et gouvernés à l’Etat de droit, la lutte contre l’impunité et le combat contre la corruption et la promotion de la bonne gouvernance par la reddition des comptes. La Guinée ne peut pas faire l’économie de ces principes et valeurs de la démocratique quel que soit la nature du régime politique choisi. Pour notre part, nous optons, pour les raisons qui suivent, pour un régime présidentiel rationalisé pour la Guinée d’après transition.
V- Pour un régime présidentiel rationalisé en Guinée
Par régime présidentiel rationalisé, nous l’entendons dans le sens classique mais dépouillé de la pléthore d’organes qui le meublent inutilement comme nous l’indiquons dans le développement qui suit. Il ne couvre pas non plus le fameux présidentialisme africain avec la prééminence absolue du président, régime tant décrié. A notre avis, la Guinée peut bâtir sa démocratie au tour des points qui suivent. Le pouvoir exécutif sera dirigé par un Président de la République élu par voie d’élections pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. Cette disposition doit figurer parmi les principes constitutionnels intangibles. Il est assisté d’un gouvernement de mission de moins d’une trentaine de portefeuilles aux attributions bien définies et ayant à sa tête un Premier ministre responsable devant l’Assemblée nationale qui peut lui retirer la confiance. En lieu et place d’une chambre pléthorique, une Assemblée nationale de moins d’une centaine de parlementaires, assistée d’une fonction publique parlementaire efficace, constituerait le pouvoir législatif avec possibilité de dissolution par le Président de la République en cas de double persistance législative. Il sera ainsi établi un jeu poids et de contrepoids entre les deux pouvoirs. Un corps judiciaire de magistrats constitué d’un ordre judiciaire et d’un ordre administratif forme le pouvoir judiciaire. Le contentieux constitutionnel sera intégré à l’ordre judiciaire par le mécanisme de question prioritaire de constitutionnalité et par voie d’action. L’histoire récente de notre pays – et surtout au regard de son bilan peu honorable – milite en faveur de la suppression de la cour constitutionnelle.
A ces trois pouvoirs essentiels, on peut envisager une rationalisation des autres institutionnelles à rang constitutionnel en regroupant tous les organes consultatifs au sein d’une seule institution, dont les membres désignés à parité entre le Président de la République et l’Assemblée nationale par moitié et ayant un rôle consultatif avec faculté d’auto-saisine. Il faudra ainsi de facto supprimer le Conseil économique, social, culturel et environnement, le Médiateur de la République et bien d’autres autorités administratives indépendantes, budgétivores et dépourvus de pouvoir. Il en ira de même de la Commission nationale électorale indépendante qui disparaitra au profit d’une administration électorale souple gérée par le ministère de l’intérieur sous le contrôle de juges indépendants. Une institution nationale indépendante des droits de l’homme conçu suivant les Principes de Nations Unies en la matière avec la fin de la prééminence des membres issus de l’administration serait de mise. La démocratie à la base sera envisagée avec une autonomie de plein exercice accordée aux villes et autres collectivités gérées par des mairies élues et dotées de moyens suffisants.
Dans l’optique de rationnaliser temps et ressources, on devra envisager des élections générales en deux temps : les élections locales de quartiers, de districts et mairies dans toute l’étendue du territoire national réinstaurant la démocratie à la base dans un premier temps et des élections nationales (législatives et présidentielles) dans un second temps.
VI- Remarques conclusives
Pour terminer, la Guinée se doit de bâtir une démocratie efficace fondée sur les principes universels d’égalité et de justice, basée sur des institutions solides et dirigées par des autorités légitimes dont la conquête et l’exercice du pouvoir émanent du peuple aux moyens d’élections justes et équitables. Un régime présidentiel rationalisé y apportera une contribution significative.
-Juris Guineensis No 50.
Me Thierno Souleymane BARRY, Ph.D
Docteur en droit, Université Laval/Université de Sherbrooke (Canada)
Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour
Références sommaires
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Folio, 1986.
Thierno Souleymane Barry, Transitions démocratiques et droits de l’homme en Afrique de l’ouest : cas du Benin, la Guinée, le Togo et le Mali, Mémoire de DEA, inédit, Université d’Abomey-Calavi, 2001.
Thierno Souleymane Barry, Diverses tribunes sur la transition, la démocratie, les droits de l’homme en Guinée, Sites et Journaux Guinéens, 2021.
Samuel Hungtinton, Troisième vague : les démocratisations de la fin du XX eme siecle, Nouveaux Horizons, 1996.
Theodore Holo, Séminaire de DEA sur les Transitions démocratiques, Université d’Abomey-Calavi, inédit, 2001.
Patrick Quantin, « La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle », 2 (2009) Pouvoirs, No 129, pp.65-76.
Déclaration universelle des droits de l’homme (1948).
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1977).
Déclaration universelle de la démocratie des Nations unies (1997)
Charte africaine de la démocratie et de la bonne gouvernance de l’Union africaine (2001).
Protocole de la gouvernance et de la démocratie de la CEDEAO (2001).
[1] Une version de la présente contribution a déjà fait l’objet d’une communication lors Journées de réflexion sur la transition en Guinée du Centre International de Recherche pour le Développement (CIRD) courant Novembre 2021.