«De Sékou Touré à Alpha Condé, le pouvoir a été arraché par la force. Voudrions-nous qu’un tel scénario se reproduise ou qu’on en sorte de cette funeste tradition ?» La question lancinante est posée. Sa réponse se trouve dans le plaidoyer de cet analyste et professeur de Lettres-histoire hors classe en France. Lamarana-Petty Diallo y examine avec soin la situation actuelle de la Guinée qui a connu six présidents et trois coups d’Etat.
Plus puissante que les armes, c’est la parole. Cet adage est connu de tout le monde. En Guinée, nous semblons encore l’ignorer.
Depuis des décennies, ces trois dernières plus précisément, nous naviguons entre rencontres, débats, promesses, couacs, échecs, espoirs, désillusions.
Notre dialogue national est réduit en coups de gueule, en querelles, chantage, menaces, coups de boutoir. Au mieux remis au lendemain. Alors on fait comme si… Les pouvoirs donnent l’impression de dialoguer ; l’opposition feint d’y participer. Ainsi de dialogue en dialogue, le même scénario d’échange de sourds se reproduit, interminable. Impossible, tout simplement.
Interrogeons-nous quelque peu sur les différents processus de dialogue pour identifier les sources et les raisons de nos ratages successifs afin de savoir ce qui fait que notre pays patauge sur le terrain de la réconciliation et du dialogue.
De la sorte, pourrions-nous espérer un dialogue réussi. Qu’il soit inter-guinéen, inclusif, assises nationales, peu importe. Pourvu qu’il conduise à une paix sociale durable. Pour cela, devrions-nous satisfaire certaines conditions.
Devenons Guinéen avant tout
La conscience d’appartenance à une nation est le préalable de tout vivre-ensemble. Aucun pays ne saurait être en paix si cette condition primordiale n’est pas remplie. Convenons que nous en sommes encore loin.
La situation conflictuelle que nous traversons depuis un certain temps, quoique certains esprits mal intentionnés le nient à dessein, n’est pas nouvelle. Tributaire du passé, elle ne fait que reproduire les scènes de violences qui ponctuent notre histoire.
Rien de très étonnant tant nos gouvernants aiment manier la langue de bois pour dissimuler aux citoyens l’implacable réalité qui saute aux yeux : les Guinéens ne sont pas unis. Ne sommes-nous pas plus aptes à nous haïr qu’à nous aimer ? A nous chamailler qu’à nous entendre ? A parler d’ethnie que de nation ? A se revendiquer Soussou, Malinké, Kissié, Kpélé, Peul, Loma que de Guinéen ?
La nationalité ne paraît-elle pas être juste un attribut qu’une réalité chez nous ?
On n’entend plus, «je suis guinéen», à l’étranger que dans notre propre pays où l’on se définit davantage par son origine ethnique que par sa nationalité. Dans la vie courante, dès qu’un guinéen rencontre un autre, son premier réflexe est de demander : i bô mina ; i Khilidi ; i khelikhi mindè ? ko mo a honto, etc. C’est comme si celui d’en face venait de l’étranger.
Une fois cette question répondue, on s’empresse d’ajouter : c’est comme moi, je suis tel…, venant de… Puis on se dit mutuellement, avec un brin de fierté déplacée: an bansang- lè ; ambè kelen ; Ko enen on… ; C’est-à-dire, on est les mêmes.
Cette banalité quotidienne qui rythme la vie sociale dénote, dans les faits, que l’appartenance à une même nation n’est pas ancrée dans les consciences.
Autant dire, si la nation guinéenne existe, sa consolidation en tant qu’entité collective, une et indivisible, est loin d’être acquise.
Cette situation impacte les liens socioprofessionnels. Le citoyen peut le payer très cher dans l’obtention d’un emploi public comme privé. Comme ce sont les mêmes qui recrutent et emploient les mêmes, tant que tu ne rencontreras pas un autre de toi-même, « un an bansang-lè » ; un « Ko enen on », tu n’as pas grande chance d’être employé ou nommé.
La réalité, après six décennies d’indépendance, c’est que nous nous regardons en ressortissant de… ; originaire de…. Pour que cela cesse, nous devons avant tout chercher à devenir réellement guinéen. Pour ce faire, un autre préalable doit être rempli.
Tuer l’ethnie en nous pour que vive la nation
Devrions-nous avant tout accepter que dans notre pays, l’ethnie l’emporte tant au niveau de l’Etat que de la Nation.
Chez nous, le dénominateur commun entre les citoyens semble se limiter aux échéances électorales et aux documents administratifs. Le reste n’étant que poudre aux yeux tant les faits démentent la réalité.
Interrogeons-nous franchement. Qui est « Guinéen » et le ressent comme tel ? Qui ne relègue pas son appartenance nationale en arrière-plan au profit de son ethnie ?
Qui d’entre-nous, en son for intérieur, accepte qu’un président soit le président de la République et, comme tel, se reconnaît en lui ?
Qui n’a jamais considéré ou ressenti que celui qui dirige le pays n’est que le représentant d’une ethnie ?
A contrario, quel président a dirigé notre pays comme le président de tous en se débarrassant de son manteau ethnique ? Qui, de nos présidents, n’a pas considéré son arrivée au sommet de l’Etat comme une revanche en mettant en avant l’affreuse philosophie « c’est mon tour » ?
Ne sont-ils pas nombreux ceux qui cherchent le pouvoir sur la base de la même philosophie « l’autre a eu son tour, il me faut le mien» ?
Quel responsable politique consciencieux peut affirmer qu’il n’a pas abusé du suffrage universel que lui ont investi ses concitoyens ? Ceux qui l’ont obtenu par la force, peuvent-ils prétendre le contraire ?
Sans dire « tous ethnos », ce serait simpliste, on pourrait néanmoins reconnaître que, chez nous, l’exercice de la gouvernance se fait sur fonds ethnique. Qu’il est dénué de tout sens patriotique. Que la nation a rarement été au centre de nos préoccupations.
Nous devons tous chercher à tuer l’ethnie en nous afin d’implanter la Guinée dans nos veines, dans nos esprits et nos cœurs. Nous devons nous en donner les moyens.
Dès lors, nous ferons de la nationalité « Guinéenne » une réalité et non plus un simple attribut. Être Guinéen aura alors tout son sens. Tel est le combat vital que nous devrions mener car un pays qui échoue perpétuellement son dialogue ne pourrait se réconcilier. Et, dans ce cas, aucun scénario n’est à écarter.
Quels lendemains pouvons-nous craindre ?
En Afrique, tous les conflits ont débuté par des petites contradictions entre hommes politiques d’ethnies différentes. A force, les clivages, les frustrations, les divisions s’aggravent. Les dialogues manqués, les réconciliations impossibles plongent le pays dans une tragédie humaine et économique indescriptible. Plus d’une nation a été disloquée de la sorte. Nul ne peut affirmer que ce qui s’est produit ailleurs ne nous guette pas.
Qui peut dire qu’un illuminé n’est pas tapi quelque part ? Qu’un soldat, un civil hors contrôle n’attend pas son heure à l’orée d’un conflit, d’une manifestation, pour commettre des actes qui pourraient compromettre encore plus la vie de la nation, la sécurité de l’Etat et des citoyens ?
Ne voyons-nous pas chaque semaine son lot de conflits ? Chaque prise de parole de l’autorité, ministres ou autres, son flot de menaces ; de falsification de l’histoire ?
Quand des ministres jouent avec le feu en s’érigeant en père fouettard, outrepassent leur mission ; menacent tant l’opposition, les citoyens et les médias, où allons-nous ?
Quand les victimes sont accusées d’être leur propre bourreau ; leurs proches d’allumeurs de feu, d’auteurs des exactions commises sur leurs propres enfants, qui peut parler de dialogue ou de paix sociale dans ces conditions ?
Quand, au lieu de défendre comme leur nom l’indique, les forces de défense créent, elles-mêmes, l’insécurité en agissant en dehors de tout respect de l’équilibre des forces, à quels lendemains pouvons-nous nous attendre ?
Ne craignons-nous pas que les lanceurs de pierres d’aujourd’hui aient, demain, quelque chose d’autre pour se défendre ?
Imaginons qu’un jour que ces jeunes aux bras nus qui déroutent toute une armée soient récupérés par un radicaliste, un illuminé comme souligné en amont, qu’adviendrait-il de la paix sociale ?
Soyons conséquents et prenons conscience
Reconnaissons que les lanceurs de pierres et de cailloux sont nés des entrailles de nos pouvoirs despotiques et de nos divisions. Ils ont, tout simplement, été fabriqués par nos dirigeants successifs.
Acceptons que ce sont des combattants de la démocratie et de la liberté qu’on est en train de sacrifier à l’autel des dictatures de tout ordre.
Ils sont les victimes des pouvoirs personnels et ethniques qui n’en finissent pas d’opposer, d’indexer, de violenter, d’arrêter, d’emprisonner et de tuer.
Demandons-nous que serait la Guinée sans aucune forme de résistance ? Arrêtons d’accuser les résistants à la confiscation du pouvoir, qui ne date pas d’aujourd’hui, de hors-la-loi, de voyous et d’autres noms d’oiseaux.
Ne savons-nous pas que l’hyène ne partage son morceau de viande, même pourri, si le chacal ne montre pas ses crocs. Autrement dit, sans résistance, point de pouvoir partagé qu’est la démocratie?
N’avons-nous pas résisté à la colonisation pour être indépendants ? Pourquoi serait-il interdit de lutter pour la démocratie, la justice et l’équité ?
Soyons conséquents et demandons-nous quel régime politique, de l’indépendance à nos jours, a cédé le pouvoir de manière démocratique ? Pour preuve ?
Six présidents, trois coups d’Etat. De Sékou à Alpha Condé, le pouvoir a été arraché par la force. Voudrions-nous qu’un tel scénario se reproduise ou qu’on en sorte de cette funeste tradition ?
Allons Guinéens, chers compatriotes ! L’échec n’est pas un mal en soi. C’est sa répétition qui peut être dramatique. Nous ne sommes pas condamnés à rater tous les dialogues si ce n’est de notre gré. Pour ce faire, nous devons revoir la page sur laquelle nous avons écrit notre histoire.
Nous devrions changer les approches du dialogue à moins que nous ne voudrions perpétuer la chaîne de nos mésententes et de nos malheurs.
Sachons que, tant que nous serons divisés, la liste des victimes, d’un côté comme de l’autre, ne fera que s’allonger. Que les scènes de chasse-poursuite entre lanceurs de pierres et détenteurs de plombs ne s’arrêteront pas.
Nous devrions sortir de l’hypocrisie collective pour dire les raisons des échecs successifs.
Convenons que nous n’avons ni un Dicko, ni un Desmond Tutu encore moins un Mandela. Que nos pouvoirs n’ont généré que des Néron, des Borgia et des Bokassa en miniature.
Par conséquent, il est temps de comprendre que si un dialogue échoue à chaque fois, c’est la médiation qui est mal portée.
Qu’à défaut d’être délocalisé (ce qui n’est pas forcément la solution), il doit être confié à des personnes qui ne pensent pas à la récompense ; aux retombées financières ; aux per diem des assises.
Il ne doit pas être conduit par des gens qui songent secrètement à être ministre. Si ce n’est premier ministre. Qu’il ne peut être guidé par des citoyens qui cherchent l’affection de leur mandant. Actuellement, le colonel.
Pour sa réussite, le dialogue doit être porté par des personnes qui n’ont pas peur de la couleur des yeux du chef. Bref, notre dialogue doit être revu dans le fond et la forme. A défaut de changer les acteurs-du moins certains- il doit être repensé et se couper de tous ceux qui l’ont précédé dont il n’est que la pâle copie.
Le dialogue est possible si nous faisions face à nos plaies
Nous avons vu que c’est faute de dialogue que bien de pays se sont enfoncés. Les conflits internes récurrents, devenus incontrôlables, ont souvent conduit aux guerres civiles. Nous devrions nous interroger et se dire ce que cela nous inspire.
De la sorte, nous pourrions nous parler sans détour ni tabou. Alors, nous saurons nous demander mutuellement jusqu’à quand allons-nous continuer à nous mentir ?
Dès lors, nous comprendrons ce qui complique la situation et empêche la finalisation du processus de dialogue comme le souhaiteraient tant la communauté internationale que la majorité des Guinéens.
Ce qui nous conduirait à percer les abcès en reconnaissant que beaucoup de plaies qui nous opposent restent à guérir.
Aussi, reconnaissons que pour bon nombre de Guinéens, ce sont les gouvernants qui sont à la base de nos maux. Ce sont eux qui refusent d’œuvrer pour un remède efficace et, par conséquent, accumulent les erreurs ; enchaînent les abus ; causent des violences par leur incapacité à dialoguer avec leurs propres citoyens.
Si un régime politique y parvenait, nous cesserons de nous regarder en chien de faïence ; de nous opposer sur des bases ethniques subjectives en perdant de vue l’essentiel : nous sommes tous Guinéens.
Alors, nous nous regarderons face à face pour conjuguer le verbe être guinéen à la première personne du pluriel.
Enfin, nous viendrons à bout de ceux qui jouent avec le feu en soufflant sur les braises qui couvent depuis bien longtemps.
Pour y parvenir, nous devons avoir le courage de dire que les manifestations que nous vivons actuellement sont la reproduction de celles qui ont conduit à la fin du pouvoir de M. Alpha Condé et qu’elles compromettent l’avenir. Et pour cause ?
On ne saurait renverser un système politique et vouloir, par la suite, le reproduire et le perpétuer.
Bref, l’Etat contre les citoyens demeure l’une des pratiques de gouvernance des pouvoirs guinéens. L’une des plaies de notre pays.
L’actuel pouvoir, illustration d’une forme de la violence d’Etat, le putsch, ne devra son salut que s’il crée la rupture. S’il revoit son orientation et son mode de gouvernance.
Pour cela, il va falloir prendre en compte les limites de la mission de ce qu’il est convenu d’appeler « gouvernement de transition ».
Le Comité militaire pour la démocratie et le développement (Cndd) n’en paya-t-il pas les frais pour l’avoir ignoré ? Les pratiques d’antan ne peuvent perdurer. La gouvernance par la force non plus.
Pourtant, ne continue-t-on pas de tuer comme sous l’ère Condé ? Et qui a osé dire au CNRD, à part certains médias, semble-t-il menacés, qu’il n’y a nulle part de lisibilité ? Que la situation ne peut tenir longtemps tant les citoyens ont l’impression d’avoir été dupés. Qui ? Ce ne sont en tout cas pas nos médiateurs dont certains, comme souligné plus haut, cherchent plutôt à se positionner.
Ne perdons jamais de vue que notre histoire est jalonnée de violences politiques, d’arbitraires et de conflits à caractère ethnique. Que l’inclusivité, tant ambitionnée par le dialogue actuel, est prise en étau.
Veillons d’y mettre fin. Le pouvoir en place, plus que ses prédécesseurs, doit prendre conscience de cette mission patriotique et salvatrice. S’y attèle-t-il réellement ?
La réponse est plus entre ses mains que celles des citoyens.
Par Lamarana-Petty Diallo
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