À chaque changement de costume présidentiel, la Guinée s’offre un carnaval. Un défilé de courbettes et de slogans, de pagnes imprimés à l’effigie du nouveau maître, de pancartes trop grandes pour les cervelles qui les tiennent. Car ici, l’intelligence se vend au prix du tissu, et l’honneur s’échange contre un plat de riz gras. Nous sommes entrés dans l’ère de la prosternation institutionnelle.
Les mouvements de soutien ? Ne riez pas. Ce sont les nouvelles unités de mesure du patriotisme. Moins on pense, plus on soutient. Moins on lit, plus on applaudit. Ils sont là, fidèles au poste, à chaque prise de pouvoir, qu’elle soit démocratique, militaire ou tombée du ciel : « Mouvement des jeunes pour la stabilité », « Coalition des femmes pour l’espoir », « Collectif citoyen pour l’émergence »… des noms pompeux, soufflés par des ventres vides et des esprits encore plus creux.
Ces gens-là n’ont pas de convictions, seulement des chemises à retourner. Ils n’ont pas d’idées, seulement des slogans prémâchés. Ils ne cherchent ni justice, ni progrès, ni vérité : ils cherchent une nomination, une invitation à la Primature, un selfie avec le Ministre. Leur seul programme politique tient en trois mots : Être Vu, Être Pris, Être Payé.
Ils ont inventé une nouvelle langue : le soutenien. Une langue sans syntaxe, sans logique, sans pudeur. Un sabir fait d’exagérations indigestes et de louanges mécaniques. « Le Président bâtisseur de la Nation », « le guide éclairé de la refondation », « l’homme providentiel« … Pour un pays qui n’a ni eau potable, ni courant stable, ni système de santé digne de ce nom, c’est un comble. Un grotesque. Un crime esthétique.
Pendant que les routes s’effondrent, que les écoles fuient la craie, que les hôpitaux fuient la seringue, les mouvements de soutien organisent des conférences de presse pour remercier le chef. Le remercier de quoi ? De gouverner ? D’exister ? De respirer ? De se taire quand le peuple crie ? Leur servilité est telle qu’ils remercieraient un geôlier pour avoir bien fermé la porte de leur cellule.
Mais le plus inquiétant, ce n’est pas la comédie. C’est l’orchestre intellectuel qui l’accompagne. Ces diplômés qui ont troqué leurs bibliothèques contre des banderoles. Ces universitaires qui jouent aux griots sous prétexte d’être stratèges. Ces journalistes qui muent en propagandistes à la moindre nomination. Le cerveau national est devenu agent contractuel du pouvoir en place. Il pense sur commande, écrit sur devis, parle sur promesse d’un poste.
Et puis il y a le peuple. Spectateur lassé de cette pièce qu’on lui joue en boucle depuis Sékou Touré. Il regarde, il devine, il soupire. Il sait que derrière chaque « mouvement » se cache un deal. Il sait que le patriotisme de ces groupes est indexé sur le montant de l’enveloppe. Il sait que rien ne changera tant que la dignité sera bradée comme des cacahuètes au marché Niger.
Alors, que faire ? Hurler, encore et toujours. Écrire, sans trembler. Dénoncer, au risque de déranger. Briser cette mécanique de la soumission par la parole libre. Retrouver l’orgueil de penser par soi-même, de refuser d’être un figurant dans la tragédie nationale. La Guinée mérite mieux que cette basse-cour politique où chacun glousse pour une miette de pouvoir.
Le pays crève, non de manque de ressources, mais d’excès de courtisans.
Il est temps que la Guinée s’invente un avenir sans griots subventionnés, sans louangeurs professionnels, sans mouvements de soutien achetés au kilo. Il est temps de réhabiliter l’intelligence, l’indignation, le courage. Il est temps, surtout, de rappeler à tous ces clowns du patriotisme que la dignité n’a jamais été un poste budgétaire.