9 mai 2025. Départ à 10h de Kissidougou. Arrivée à Conakry à 1h du matin. Quinze heures pour moins de 700 kilomètres. Ce n’est pas un voyage, c’est un supplice. Une lente traversée du désert, jalonnée de barrages, de regards méprisants et de mains tendues — pas pour saluer, mais pour soutirer.
Sur la route nationale, ce ne sont pas les trous qui vous ralentissent. Ce ne sont pas les camions en panne ou les virages dangereux. Non. Ce sont des hommes en treillis, kalachnikov en bandoulière et arrogance en bandoulière.
Ils vous arrêtent sans raison. Ils vous font descendre sous un soleil de plomb, comme des criminels. “Contrôle de carte d’identité !”, intiment-ils. Mais on comprend vite : ils ne veulent pas vos papiers, ils veulent votre argent. La carte d’identité, c’est un prétexte. Une scène de théâtre bien rodée. Quand le billet change de main, la pièce s’arrête. Vous pouvez remonter. Et si vous n’avez rien ? “On vous embarque !”, “Tu vas dormir ici !”, menace l’uniforme, sûr de son pouvoir et de votre résignation.
Ce vendredi, nous avons compté. Assez, assez de barrages entre Kissidougou et Coyah. De nombreuses stations de racket. Beaucoup d’humiliation. À chaque fois, le même scénario. À chaque fois, la même rage contenue.
Les chauffeurs ne discutent plus. Ils prévoient de la monnaie, comme on prévoit le carburant. Le racket est intégré dans le prix du billet. Le voyageur paie. Et se tait. Parce qu’il veut juste arriver. Parce qu’il sait qu’aucune plainte n’ira nulle part.
Une République rackettée
Ce n’est pas un fait divers. C’est un système. Une économie parallèle. Un business d’État toléré, peut-être encouragé. Où sont les sanctions ? Où sont les enquêtes ? Où sont les autorités ? Trop occupées à se pavaner dans les cérémonies, pendant que la République se fait dépouiller au bord des routes.
À chaque barrage, c’est la Guinée qu’on insulte. C’est l’État qu’on ridiculise. C’est la population qu’on dresse à courber l’échine. Et pendant ce temps, les gendarmes s’enrichissent, la peur s’installe, la dignité s’effondre.
Mais tout a une limite.
Ce peuple qui endure pourrait bien un jour refuser. Et ce jour-là, ce ne seront plus des billets de 10 000 qu’on sortira des poches, mais des cris, des pierres, peut-être pire.
Alors qu’on ne vienne pas dire qu’on ne savait pas. Nous avons vu. Nous avons vécu. Nous avons écrit.
Kissidougou-Conakry n’est plus une route. C’est un piège. Et ceux qui l’ont tendu portent l’uniforme.
Carnet de voyage d’un journaliste de Laguinee.info