Il flotte un vent de fierté scientifique et identitaire à Kankan. Pour ses 76 ans, l’alphabet N’ko, né en 1949 à Bingerville en Côte d’Ivoire sous la plume visionnaire du Guinéen Kanté Souleymana, s’offre une cure de jouvence militante et académique. Après un carnaval haut en couleurs le mardi 29 avril, les célébrations se sont poursuivies ce mercredi 30 avril 2025 à la Maison des jeunes de Batomba, sous le signe d’un message clair : le N’ko est aussi une langue de science.
La salle déborde. Les élèves, autorités locales, curieux et passionnés du N’ko se pressent pour écouter, voir, comprendre. À l’initiative de la coordination N’ko Semba, les organisateurs ont voulu marquer un tournant : celui de la reconnaissance du N’ko non seulement comme outil culturel, mais comme vecteur d’enseignement des disciplines scientifiques. Et ils n’ont pas fait les choses à moitié. Devant un public attentif, des démonstrations pédagogiques en N’ko sur la biologie, les mathématiques, la chimie ou encore la physique ont cloué le bec aux sceptiques. Le message est limpide : l’alphabet N’ko est pleinement apte à porter la pensée scientifique.

« Depuis 1949, nous avons parcouru du chemin. Le N’ko était manuscrit, aujourd’hui il est dans les téléphones, dans les ordinateurs. Il est enseigné dans de grandes institutions à travers le monde. Nous sommes passés d’un seul homme à des centaines de formateurs et de passionnés », se réjouit Bassabati Sidibé, coordinateur régional de N’ko Semba en Haute Guinée.
Représentant le ministre de l’Enseignement pré-universitaire et de l’Alphabétisation, Ibrahima Sory Condé, alias « Nafadji Sory », a salué l’initiative. Il a rappelé que l’avant-projet de la nouvelle constitution consacre désormais l’enseignement et la valorisation des langues nationales, un clin d’œil appuyé à l’alphabet N’ko, symbole vivant d’un patrimoine linguistique africain.
« Le ministère est à la disposition de tous ceux qui œuvrent dans ce sens. Une loi organique précisera les modalités d’application de cette reconnaissance constitutionnelle. C’est une volonté politique ferme du CNRD, dirigé par le Général Mamadi Doumbouya », a-t-il déclaré. Il a aussi appelé les promoteurs des langues à se faire recenser pour l’obtention des extraits de naissance biométriques, condition sine qua non d’un ancrage citoyen fort dans la nouvelle Guinée qui se dessine.
Le parrain de l’événement, Mamadouba Tos Camara, ancien maire de Matoto, n’a pas caché son émotion. « Ce que j’ai vu m’a convaincu que le N’ko est une véritable science. Ce n’est pas qu’un symbole identitaire, c’est un instrument de savoir. Et je suis fier qu’un Guinéen ait été à l’origine de cette œuvre. Mon seul regret, c’est de ne pas avoir appris à lire et écrire en N’ko », a-t-il confié, avant d’appeler chaque citoyen à se faire recenser : « Revendiquer sa citoyenneté, c’est aussi accompagner la reconnaissance de nos langues. »
Ce 76e anniversaire aura été plus qu’une commémoration. Il aura été une démonstration. Celle d’une écriture née de la résistance culturelle qui entre résolument dans la modernité scientifique. Celle aussi d’un peuple qui revendique, avec calme mais fermeté, son droit à s’exprimer et à apprendre dans la langue de ses racines.
Et si demain, on faisait un cours de math en N’ko sans que cela ne fasse sourciller personne ? À Kankan, cette idée n’est plus une utopie, c’est déjà une réalité.
Karifa Kansan Doumbouya, Kankan, pour Laguinee.info