dimanche, mai 11, 2025
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Robert Sarah ou la Foi contre la dictature

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Dans les ténèbres politiques de la Guinée postcoloniale, une voix s’est levée, douce et ferme, mais intransigeante. Celle de Robert Sarah, né en 1945 à Ourous, là où se trouve l’une des premières grottes mariales de Guinée, dans la région de Boké. Dès sa jeunesse, il portait déjà l’empreinte d’une vocation plus haute : celle du courage.

Archevêque de Conakry à seulement 34 ans, sa nomination par Jean-Paul II en 1979 le place en première ligne, face à un régime autoritaire qui a muselé religieux, opposants, enseignants et citoyens. Mais Robert Sarah n’est pas l’archevêque que l’on intimide. Tandis que d’autres se taisent ou deviennent des partisans , lui choisit la confrontation, celle qui coûte, celle qui marque.

Sous la dictature de Sékou Touré, il ose dénoncer. Il est alors mis sur écoute et sa résidence est confisquée, il le raconte dans un entretien accordé à Paris Match en 2022. Dans un contexte où une parole pouvait conduire en prison, voire à la mort, il persiste à proclamer la vérité comme une forme de salut :« Je n’avais rien à perdre. Je me suis dit, tu as déjà vécu une partie de ta vie il y a des gens qui meurent à 20 ans, ou à la naissance. Alors, cette nouvelle moitié de ta vie, donne-la. ». Dans ce climat de peur, il lance une formule qui est restée dans les têtes :« Le pouvoir use ceux qui n’ont pas la sagesse de le partager. »

Avec l’arrivée de Lansana Conté, la Guinée ne change pas de visage ; elle change seulement de masque. Et là encore, Robert Sarah, fidèle à son serment de veilleur, hausse le ton pour dénoncer les manœuvres d’un pouvoir prêt à déchirer la constitution pour s’éterniser. Le 25 février 2001, dans son homélie à la paroisse Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Bonfi, il déclare :

« En Guinée, nous nous acharnons à démolir la vérité et à lézarder dangereusement l’unité de notre peuple par l’irresponsabilité et le mensonge politique. » C’est un cri d’alarme lancé contre cette maladie du pouvoir ,qui détruit les peuples en silence.

Avant de quitter la Guinée en 2001 pour rejoindre Rome, un banquet est organisé par le feu président Conté en son honneur. Dans son discours de départ, le cardinal s’adresse directement au chef de l’État : «…Je suis inquiet pour le devenir de la jeunesse, qui est sans avenir. Parce qu’elle est paralysée par un chômage chronique. Je suis inquiet pour l’unité, la cohésion et la concorde nationale, gravement compromises et fracturées par le manque de dialogue politique et le refus de la différence. 

Je suis inquiet pour la sécurité du citoyen guinéen, pour la sécurité des personnes, de leurs biens et de leurs patrimoines, dans un pays où la loi, la justice, l’éthique et les valeurs humaines ne constituent plus des références ni des garanties pour la régulation de la vie sociale, économique et politique… »

En 2009, on le voit apparaître au journal télévisé de la RTG, aux côtés du jeune capitaine Moussa Dadis Camara. Il lui adresse ces mots : « J’aimerais demander à l’armée de protéger la population, de ne pas tirer sur elle. Je crois que vous avez les moyens, s’il y a des manifestations, de maîtriser la foule. Ne les tuez pas ! Vous êtes faits pour défendre la vie, pour défendre la nation, pas pour tuer. 

Déjà, les populations souffrent. Et si elles manifestent, c’est pour dire qu’elles souffrent.Ne dites pas parce que vous manifestez, on vous élimine non ! Défendez qu’on tue un guinéen parce qu’il manifeste, parce qu’il a faim, parce qu’il a besoin d’un changement. Je pense que les guinéens ont trop souffert. Il faut leur donner un minimum aujourd’hui pour qu’ils soient humainement soulagés… » Un message visiblement ignoré par Dadis, au regard du massacre du 28 septembre 2009.

Conté, Dadis, Konaté, puis l’opposant historique Alpha Condé. Il incarne longtemps l’espoir d’un peuple. Mais après 40ans de lutte contre la dictature, il en devient à son tour le visage, et même l’artisan, le cardinal, lui, reste silencieux. Certains murmurent qu’il ne parle pas parce qu’il serait un très bon ami de l’ancien président.

Pourtant, des rencontres ont bien eu lieu le 9 juin 2021 avec Alpha Condé, puis le 10 juin avec l’opposant Cellou Dalein Diallo, pour évoquer la situation sociopolitique du pays.

Sarah n’est pas un homme de partis, c’est un homme de principes. Même après son départ de Conakry pour Rome, où il devient préfet de la Congrégation pour le Culte Divin, sa voix continue de résonner en Guinée. Lorsqu’en septembre 2021, la junte militaire renverse Alpha Condé, le cardinal ne se contente pas d’applaudir un changement de visages. Il exige un changement d’âme.

Dans sa lettre du 13 septembre 2021, il écrit : « …La page est redevenue blanche, les guinéens n’ont plus droit à l’erreur. Les bonnes paroles que vous avez prononcées doivent être transformées en actes concrets pour construire une Guinée nouvelle. Il faudra s’armer de vérité et de courage, d’héroïsme et de détermination afin de balayer autour de vous les prédateurs invétérés de notre pays, corrompus et incompétents, qui ont accompagné les gouvernements de Sékou Touré, Lansana Conté, Moussa Dadis Camara et Alpha Condé, et qui se considèrent comme des éléments incontournables et inamovibles… ». 

Malheureusement, Le jeune Général Mamady, n’a pas intégré ce passage du cardinal, dans sa gestion ni dans la construction de son gouvernement

Il aurait pu se taire, mais Robert Sarah a choisi le feu de la vérité. Aujourd’hui, alors que certains le classent parmi les ultra-conservateurs, il demeure avant tout un homme pétri de foi, d’audace et d’indignation juste. Un cardinal dont la soutane a frôlé les barreaux sans jamais céder à la peur. Une conscience vivante, dont les silences pèsent parfois plus que mille discours, mais dont les paroles, elles, ont toujours été des éclairs dans la nuit guinéenne.

 

Aminata Abass Doumbouya 

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