samedi, avril 19, 2025
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De l’adoration à la trahison : la valse tragique des chefs en Guinée

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« Le peuple a le dos large, l’élite a les dents longues. » Cette phrase, à elle seule, résume la longue tribune acérée publiée récemment par Tibou Kamara, ancien ministre d’État et homme politique guinéen. Dans ce texte riche en réflexions, l’ex-conseiller spécial d’Alpha Condé propose une lecture lucide presque désabusée  du rapport qu’entretiennent les Guinéens avec leurs dirigeants. Une fresque historique où la ferveur populaire alterne avec l’ingratitude.

L’idole tombée, la foule retourne sa veste

Tibou Kamara remonte le temps jusqu’au 26 mars 1984. Ce jour-là, le président Ahmed Sékou Touré meurt à Cleveland, loin de la Guinée qu’il a dirigée d’une main de fer. La nation est en larmes, croit-il. Mais rapidement, l’admiration se mue en reniement. « Le jour où le “Syli” fut rappelé à Dieu, le temps sembla se figer […]. À peine quelques heures après les lamentations, la page fut tournée dans un déferlement de huées hystériques. » L’ancien chef vénéré devient un souvenir embarrassant. Ceux qui le chantaient hier s’en détournent sans ménagement.

Conté, de la légende à la solitude

Même scénario avec Lansana Conté, porté au pouvoir en 1984 à la faveur d’un coup d’État. Accueilli en sauveur, il sera pourtant lâché à la fin. Malade, affaibli, le général est rattrapé par le rejet populaire. « Ses derniers jours furent marqués par des contestations de légitimité et des défis à son autorité. » Le 22 décembre 2008, il meurt en fonction. Moins de 24 heures plus tard, son régime est balayé sans résistance par une junte militaire. Les dieux d’hier deviennent les boucs émissaires d’aujourd’hui.

Dadis, l’ascension fulgurante… et la chute brutale

Le capitaine Moussa Dadis Camara n’échappe pas à ce cycle. À peine arrivé, il séduit l’opinion. Charismatique, imprévisible, il électrise les foules. Mais le 28 septembre 2009, la tuerie du stade le fait basculer. « Entre la gloire de son plébiscite et le déclin d’une chute brutale, peu de temps s’écoula », note Tibou Kamara. Dadis est évincé, marginalisé, puis exilé. Ceux qui l’encensaient se taisent. D’autres l’accusent. Encore une fois, le balancier de la mémoire populaire frappe fort.

Konaté, l’exception qui confirme la règle

Dans ce tableau peu reluisant, une figure sort du lot : le général Sékouba Konaté. Nommé à la tête de la transition en 2009, il choisit de ne pas s’accrocher au pouvoir. « Il a rendu le pouvoir avant de s’éloigner, la tête haute et le cœur léger », rappelle Tibou Kamara. Contrairement aux autres, il a su comprendre que les acclamations d’un jour peuvent devenir des huées le lendemain. Un choix rare, salué par l’auteur comme un signe de sagesse politique.

Alpha Condé, du triomphe à l’isolement

Le professeur Alpha Condé, élu en 2010 après une longue traversée du désert, croit, lui aussi, tenir une relation privilégiée avec le peuple. Il s’appuie sur ce lien pour gouverner, en faisant des foules sa force. Mais la loyauté populaire est capricieuse. « Ce peuple auquel il croyait sans réserve, ainsi que certains de ses collaborateurs […], se sont progressivement détournés », déplore Tibou Kamara. En 2021, un coup d’État le renverse. Ceux qui l’encourageaient se précipitent pour rejoindre les nouveaux maîtres.

Un cycle sans fin ?

« Les pouvoirs changent. Les hommes aussi. Mais les travers restent les mêmes », écrit l’ancien ministre. Pour lui, la Guinée souffre d’un mal ancien : la passion excessive pour les chefs, suivie d’un rejet brutal. Les leaders sont adulés, puis sacrifiés sans ménagement. Entre temps, les foules jouent leur rôle, en applaudissant ou en conspuant selon l’air du temps. Molière avait raison : « L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. »

Un peuple fragmenté, une démocratie en attente

Plus profondément, Tibou Kamara pointe un problème structurel. « Le peuple est un, mais il n’est pas uni », écrit-il. Derrière cette unité apparente se cachent des divisions régionales, ethniques et politiques. Chaque leader parle à sa base, rarement au pays tout entier. Une « compétition électorale transparente » pourrait, selon lui, rebattre les cartes. Mais encore faut-il que les clameurs de la rue ne remplacent pas la vérité des urnes.

La sagesse populaire à l’épreuve du temps

La tribune s’achève sur une image théâtrale, presque philosophique : « Le monde reste un théâtre où chacun, bon gré mal gré, est un acteur d’un scénario qui se répète. » En somme, les Guinéens, éternels spectateurs et acteurs d’un cycle de gloire et de disgrâce, doivent apprendre à ne pas tout miser sur les hommes, mais sur les institutions.

L’homme propose, Dieu dispose. Et en Guinée, plus qu’ailleurs, le peuple, lui, dispose… puis se dédit.

Laguinee.info

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