Le samedi 12 avril 2025 restera, quoi qu’il advienne, une date charnière dans l’histoire contemporaine du Gabon. Pour la première fois depuis la chute du régime d’Ali Bongo Ondimba en août 2023, les électeurs ont été appelés aux urnes pour désigner un président de la République. Une élection qui dépasse largement l’exercice démocratique classique : elle cristallise les tensions d’un pays en quête de légitimité, de stabilité et, surtout, d’un nouveau pacte entre les dirigeants et le peuple.
Un scrutin sous haute surveillance politique et symbolique
Dans un contexte post-coup d’État, l’organisation d’élections présidentielles constitue à la fois une nécessité politique et un test de crédibilité pour les nouvelles autorités. Brice Clotaire Oligui Nguema, chef de la transition ayant renversé Ali Bongo, se présente comme le principal favori. En abandonnant temporairement sa tenue militaire pour se vêtir des habits civils de la légalité républicaine, il cherche à transformer sa prise de pouvoir par la force en mandat populaire. Cette stratégie n’est pas nouvelle sur le continent, mais elle reste risquée. Car à vouloir incarner à la fois le sauveur et le candidat, on s’expose au doute : est-il l’homme d’un renouveau ou d’une continuité déguisée ?
Un système politique en quête de réinvention
Face à lui, l’opposition peine à se structurer. Huit candidats sont en lice, mais peu sont parvenus à émerger dans une campagne express de treize jours, marquée par un accès médiatique déséquilibré et une forte présence de l’appareil d’État en faveur du président de la transition. Parmi les challengers, Alain Claude Bilie-By-Nze, ancien Premier ministre du régime déchu, incarne une promesse de rupture. Mais son passé gouvernemental le rend vulnérable aux critiques d’opportunisme politique. Peut-on réellement construire l’alternative avec les hommes d’hier ?
La participation comme indicateur de confiance
Au-delà des noms, le véritable enjeu de cette élection réside dans le niveau de participation. Les autorités ont tout fait pour encourager les Gabonais à se rendre aux urnes : journée fériée, transports gratuits, sensibilisation dans les médias publics. Car la légitimité du scrutin ne dépendra pas seulement de la régularité technique du processus, mais de l’adhésion populaire à cette nouvelle étape politique. Le peuple gabonais, après des années de frustration, de confiscation démocratique et de résignation citoyenne, saisira-t-il cette occasion pour peser dans le choix de son avenir ? Rien n’est moins sûr, tant la méfiance envers les institutions reste enracinée.
Un tournant dans l’histoire du pays
Cette élection ne signe pas seulement la fin d’un cycle. Elle engage le Gabon dans une transition incertaine, où le pouvoir devra prouver qu’il peut être au service du peuple, et non l’inverse. Le pays dispose de ressources, de cadres, d’une jeunesse instruite et d’une société civile de plus en plus active. Il dispose aussi d’un précédent douloureux : celui d’un régime qui, pendant plus d’un demi-siècle, a confondu l’État et une famille.
Le Gabon tourne donc une page. Mais la question reste entière : cette page débouche-t-elle sur un nouveau chapitre, ou n’est-elle qu’une réécriture habile d’une histoire déjà trop souvent racontée ? Les prochaines semaines, les premiers actes du président élu, et la manière dont seront traitées les voix dissidentes, donneront le ton. Car plus que jamais, le pays a besoin d’un pouvoir qui écoute, construit, et rend des comptes.
Laguinee.info