La presse guinéenne, censée être le miroir de notre société, a pris une fâcheuse habitude : grossir les ombres et ignorer les lumières. À croire que nos journalistes ont un penchant naturel pour le pessimisme. Chaque jour, des manchettes noircies de scandales, de drames et d’échecs inondent nos journaux, nos radios et nos écrans. Pourtant, à côté de ces ombres, il y a des progrès, des réussites, des innovations. Pourquoi sont-ils si souvent passés sous silence ?
Le journalisme de la noirceur : un héritage colonial ?
Depuis l’époque coloniale, nous avons hérité d’une vision déformée de nous-mêmes : un peuple à dominer, une terre à exploiter, une société à civiliser. Ce narratif persiste dans la manière dont nos médias traitent l’information. Les avancées dans les infrastructures, les efforts de modernisation, ou les réussites locales sont relégués au second plan, comme si nous avions peur de croire en nous-mêmes.
Un nouveau pont est inauguré, une école est construite dans une région reculée, un jeune entrepreneur révolutionne son secteur ? Quelques lignes timides dans les pages intérieures ou un reportage éclair. Mais qu’un petit scandale éclate ou qu’un projet échoue, et voilà des éditions spéciales, des débats interminables, et des articles à la chaîne. Le message implicite ? Nous ne valons pas mieux que nos problèmes.
Les réalités tronquées
Prenons l’exemple du développement économique. Il est indéniable que la Guinée a des défis énormes : pauvreté, chômage, corruption. Mais est-ce toute la vérité ? Nos journalistes semblent ignorer que la Guinée, malgré tout, progresse. Le secteur minier connaît une croissance significative, des PME innovantes émergent, et des initiatives locales transforment des vies. Pourtant, ces avancées sont souvent balayées d’un revers de plume, jugées insignifiantes face aux défis colossaux.
Le traitement des questions sociales n’est pas différent. La presse guinéenne met l’accent sur les grèves, les conflits intercommunautaires ou les lacunes du système éducatif. Mais où sont les articles sur ces enseignants qui, avec peu de moyens, changent le destin de leurs élèves ? Sur ces associations qui travaillent dans l’ombre pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers pauvres ? Ces histoires existent, mais elles peinent à trouver leur place dans nos colonnes.
Dans des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, les médias ont compris une chose essentielle : raconter les réussites nationales est une arme puissante pour booster la confiance collective. Les journalistes y prennent le soin de valoriser les talents, de célébrer la culture locale et de mettre en lumière les avancées économiques et sociales. Ce n’est pas un simple hasard, mais une stratégie bien réfléchie, qui contribue à forger une image positive de ces nations, tant à l’intérieur qu’à l’international.
Le Sénégal et la Côte d’Ivoire : le journalisme au service de la nation
Regardons de plus près ces exemples inspirants :
Au Sénégal, la presse ne se contente pas de relater les défis politiques ou économiques. Elle consacre une part importante de son espace médiatique à mettre en avant les initiatives locales, les réussites des jeunes entrepreneurs et les prouesses artistiques. Lorsqu’une entreprise sénégalaise brille sur le plan international ou qu’un artiste conquiert de nouveaux marchés, les médias en font un véritable événement national. Cette fierté assumée est contagieuse et renforce la cohésion sociale.
En Côte d’Ivoire, les médias jouent un rôle similaire. Malgré les tensions politiques qui ont marqué le pays, la presse ivoirienne s’efforce de montrer un visage dynamique et ambitieux de la nation. Les campagnes médiatiques mettent en avant le développement d’Abidjan en tant que hub économique, la réussite des PME locales et l’influence grandissante de la culture ivoirienne sur la scène internationale.
En Guinée, une fascination pour le sensationnalisme
Le journalisme guinéen souffre également d’une tendance au sensationnalisme. Les scandales politiques, les faits divers macabres et les crises sont vendus comme des produits de grande consommation. Certes, le rôle des médias est d’informer, y compris sur ce qui ne va pas. Mais faut-il pour autant réduire le pays à ses défaillances ? Cette approche alimente une vision fataliste, où chaque problème semble insurmontable et où chaque effort paraît vain.
Le danger de ce prisme négatif
Ce traitement biaisé n’est pas sans conséquences. En dévalorisant nos avancées, nos médias nourrissent le désespoir et la méfiance au sein de la population. Les Guinéens finissent par croire que rien de bon ne peut venir de chez eux, que leurs dirigeants, leurs institutions et même leurs propres concitoyens sont incapables de progrès. Cette perception alimente un cercle vicieux où le pessimisme général entrave les initiatives de développement.
De plus, à l’international, cette image noire de la Guinée renforce les stéréotypes déjà bien ancrés sur l’Afrique : un continent en perpétuelle crise, incapable de s’élever par lui-même. Nos médias, consciemment ou non, participent à cette caricature en oubliant de mettre en lumière nos succès.
Vers un journalisme équilibré
Le problème n’est pas de parler des défis – ils existent et doivent être dénoncés. Mais pourquoi ne pas équilibrer les récits en montrant également les progrès et les solutions ? Ce n’est pas une question de propagande, mais de réalisme. La Guinée n’est ni un paradis ni un enfer, mais un pays en construction, avec ses forces et ses faiblesses.
Pour cela, les journalistes guinéens doivent :
1. Rechercher l’équilibre : Traiter les problèmes, mais aussi mettre en avant les solutions locales et les exemples de réussite.
2. Couvrir les initiatives positives : Qu’il s’agisse de projets de développement, d’innovations ou de transformations communautaires, ces histoires méritent une visibilité égale.
3. Développer un journalisme d’impact : Plutôt que de simplement rapporter des faits, pourquoi ne pas inspirer, motiver et encourager à travers des récits constructifs ?
4. Valoriser l’expertise locale : Nos analystes, experts et citoyens ordinaires ont des idées brillantes. Donnons-leur une voix dans nos médias.
5. Former les journalistes : Les écoles de journalisme doivent inculquer une éthique qui va au-delà du sensationnalisme pour privilégier un récit plus complet et nuancé.
Raconter une Guinée complète
En Guinée, les autorités investissent des sommes importantes dans le nation branding : slogans ambitieux comme “La Guinée, notre paradis”, projets tels que Simandou 2040, ou encore l’introduction d’un logo symbolique avec N’Dmba. Malgré ces efforts, les résultats sont loin d’être probants. Pourquoi ? Parce que l’essentiel a été négligé : un traitement journalistique constructif et valorisant.
Dans des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, les journalistes ont compris qu’ils ne sont pas seulement des rapporteurs de faits, mais aussi des architectes de l’image nationale. Ce qu’ils font dépasse largement la portée de simples slogans ou campagnes institutionnelles. Leur travail contribue à ancrer une fierté nationale tout en positionnant leur pays comme un acteur attractif sur la scène internationale.
Il est temps que nos journalistes cessent de jouer les prophètes de malheur et embrassent leur rôle de bâtisseurs de la nation. Le pouvoir des médias est immense : ils façonnent les perceptions, influencent les comportements et orientent les choix. Si nos médias continuent de s’enfermer dans un narratif négatif, ils condamnent la Guinée à l’immobilisme.
Mais en adoptant une approche équilibrée, en mettant autant de lumière sur les réussites que sur les échecs, ils peuvent contribuer à changer la mentalité collective, à redonner espoir et à inspirer l’action. La Guinée mérite d’être racontée dans toute sa complexité – ni idéalisée, ni diabolisée, mais simplement réelle.
Un citoyen guinéen épris de développement