vendredi, novembre 22, 2024
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Dr Dansa kourouma : qu’est-ce qui peut permettre de faire baisser la tension en Guinée ? (interview)

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Dr Dansa kourouma a accordé une interview à Laguinee.info hier mercredi, 18 mars 2021. Au cours de cette longue interview, le président du Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne (CNOSC-G) s’est prononcé sur plusieurs sujets d’actualités. Du refus de laisser Cellou Dalein Diallo quitter le pays, à la visite de Mamadou Sylla et les membres de son cabinet aux détenus politiques ou encore la relance du dialogue politique en Guinée, rien n’a été occulté par le président du CNOSC-G.

Décryptage !

Laguinee.info : le président de l’UFDG, Elhadj Cellou Dalein Diallo a été interdit de quitter le pays, son passeport lui a été également retiré. Comment réagissez- vous face à cette actualité ?

Dr Dansa kourouma : Je vous remercie pour cette énième opportunité.  En effet, que ça soit monsieur Cellou Dalein Diallo ou un autre citoyen guinéen, la constitution de notre pays dispose en son article 15 que tous les citoyens guinéens ont le droit de circuler librement sur le territoire national, sortir et d’y entrer librement. Alors, cette liberté ne peut être restreinte que sous l’effet de la loi. Donc, jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas connaissance d’une décision de justice qui empêche monsieur Cellou Dalein Diallo de sortir du territoire national. Au moment  des élections, c’est vrai, il y avait une situation de tension politique, on pouvait le justifier par la création de conditions favorables à la paix et à l’apaisement. Mais au jour d’aujourd’hui, les élections sont derrière nous, les institutions sont mises en place, le nouveau président est en fonction, je ne vois pas ce qui pourrait justifier, le refus pour monsieur Cellou Dalein de sortir du territoire national. Donc vivement, je demande aux autorités guinéennes le rétablissement de la liberté de circulation de monsieur Cellou Dalein Diallo. Parce que c’est une liberté qui est consacrée par la constitution. Et, s’il y a des charges ou des accusations contre sa personne, que lui soient notifiées ces charges selon les voies légales, qu’un juge soit saisi, et ce juge donne mandat à ce que monsieur Cellou Dalein Diallo ne sorte pas du territoire national. En ce moment, les dispositions de l’article 15 de la constitution sont respectées. D’ici-là, tant que cette notification n’est pas faite par voie légale, monsieur Cellou Dalein doit jouir de ses libertés de mouvement au sein et en dehors du territoire national.

Laguinee.info : depuis la tenue des élections présidentielles, nous sommes dans une impasse politique. Le dialogue est totalement rompu, notamment entre le président de la République et son principal opposant, Elhadj Cellou Dalein Diallo. Quelle piste de solution préconisez-vous pour une sortie heureuse de la crise ?

Dr Dansa kourouma : je précise que nous ne devons pas caricaturer le dialogue seulement entre le président de la République et le président de l’UFDG. Parlons de dialogue sociopolitique d’une manière générale. Parce que le dialogue est un outil essentiel de démocratie, c’est un oxygénateur de la vie politique d’un pays. S’il n’y a pas de dialogue, il n’y a pas de confiance. Et, il est très difficile que le pays soit conduit vers des destinations souhaitées quand il n’y a pas de dialogue entre les acteurs sociaux et les acteurs politiques et les acteurs économiques du pays. C’est pourquoi, le dialogue dont il est question, tel que c’est sollicité par les acteurs de la société civile aujourd’hui, il y a plusieurs initiatives qui sont en train de s’activer pour qu’un réel dialogue se mette en place.  C’est l’exemple de la synergie sincère, des synergies qui travaillent pour le même objectif. Nous voulons un dialogue durable. Et sur ce plan, le gouvernement a déjà réagi par la signature d’un projet de décret pour la mise en place d’un cadre permanent de dialogue politique et social, ce qui est une avancée importante. Mais la mise en place de cadre de dialogue politique et social n’est pas une solution en soit à la décrispation de la situation sociopolitique du pays. C’est pourquoi nous encourageons le gouvernement à matérialiser ce cadre de dialogue qui a été créé par décret ; mais, les membres qui le composent  n’ont pas encore désigné leurs représentants et le cadre n’a pas encore commencé à fonctionner. Donc, la première recommandation que je formule, c’est la mise en œuvre effective du décret portant mise en place d’un cadre de dialogue politique et social en République de Guinée. Pour moi, les questions de la Guinée ne se résument pas aux seules questions politiciennes. Il y a des questions plus difficiles, plus coriaces et plus crispantes que la question politique. Par exemple, le déguerpissement qui est en cours dans le grand Conakry, ça se fait au préjudice de la population civile, notamment les plus pauvres. Un cadre de dialogue social efficace devrait se prononcer sur ce sujet avant même que le gouvernement n’applique sa décision. Sur le plan politique, depuis les élections, il y a eu des tueries, il y a eu des morts d’hommes, il y a eu une situation de crise profonde qui a opposé même les différentes ethnies de la Guinée. Jusqu’à aujourd’hui, en dehors de la procédure judiciaire qui se met en place et parfois à charge contre l’opposition, nous n’avons pas une procédure, une justice transitionnelle qui se met en place pour pouvoir réparer les préjudices qui ont été commis au préjudice de la population civile quel que soit leur bord politique et s’engager à ne plus répéter ces genres de situation. Donc, moi je pense que le dialogue est plus que nécessaire aujourd’hui pour la Guinée. Je recommande au Chef de l’Etat, il a pris un décret qui a été diversement apprécié par les acteurs politiques ; mais, bien apprécié par la société civile, il faut que ce cadre de dialogue permanent se mette en place pour aborder toutes les questions politiques, les questions sociales et les questions économiques. Ça permettra de faire baisser la tension en Guinée. Mais au-delà de ça, il faut que les institutions fonctionnent. Le président de la République est la première institution du pays. On est en régime présidentielle ; mais, ce n’est pas la seule institution. L’Assemblée nationale a un rôle dans le dialogue politique ; et, l’institution indépendante des droits de l’homme a un rôle, le Conseil Economique et Social a un rôle, la société civile, les acteurs politiques ; bref il y a plusieurs mécanismes institutionnels qui existent sur le plan national pour garantir le dialogue entre les institutions, le dialogue entre les organes d’Etat, le dialogue entre l’Etat et la société civile, et le dialogue entre les partis politiques majoritaires et les partis politiques de l’opposition.

Laguinee.info : Mamadou Sylla qui est le chef de file de l’opposition parlementaire a entamé une visite la semaine dernière aux détenus politiques.  Est-ce que vous saluez la démarche ?

Dr Dansa kourouma : d’abord, j’ai été l’une des premières institutions à recevoir le chef de file de l’opposition parlementaire dans cette même salle. J’encourage sa démarche. Il est en train d’apporter du nouveau en ce qui concerne le regard que l’opinion a sur la fonction du chef de file de l’opposition qui est différemment exercée par Mamadou Sylla ; et comparativement la même fonction qui a été exercée par Cellou Dalein Diallo. Bref, il y a beaucoup d’innovations qui ont été apportées au rôle de chef de file de l’opposition. Je vais vous dire quelque chose, peut-être que ça ne va pas plaire à ceux qui se sentent  dans ce statu quo politique. Quand il n’y a pas une opposition forte, responsable, organisée dans un pays, nous avons une démocratie avec une seule jambe. Et, vous savez la démocratie avec une seule jambe, aucun animal n’a une seule jambe. L’homme étant considéré comme un animal supérieur par certains philosophes, l’homme par conséquent à deux jambes, les animaux en ont quatre. Alors, aucune créature ne peut se mettre avec une seule jambe. C’est comme la vie politique. La démocratie sans une opposition responsable, crédible, dispose d’un espace politique, et d’un espace légal qui lui permet d’exercer la plénitude de ses prérogatives notamment la défense de certaines opinions politiques contraire à l’opinion de la partie dominante ; mais aussi, la promotion du dialogue politique. Mais aussi, ce qui est important c’est la mobilisation, l’éducation civique et politique des militants, la conquête et l’exercice du pouvoir. Pour moi, ces fonctions politiques ne peuvent être exercées sans un environnement démocratique, ouvert et apaisé où les libertés fondamentales, les droits de l’homme sont respectés. Donc je demande une fois encore, qu’il n’y ait pas de compromission à faire, des prérogatives de l’opposition dans un pays qui se veut démocratique.  Donc, je demande à Mamadou Sylla, de rendre visite à ces institutions ou de rendre visite aux détenus qui sont à la maison centrale ou d’autres éléments qui peuvent être des sujets des droits de l’homme, ce n’est pas suffisant. Il faut qu’il y ait des actions concrètes notamment dans le sens du plaidoyer pour l’allégement des conditions de détention des détenus, l’amélioration des conditions carcérales dans les prisons, qui ont été longtemps revendiquées, même sollicités par les agents pénitentiaires eux-mêmes.  Mais aussi, faire le plaidoyer pour que la justice puisse avec diligence, avec transparence, mettre en œuvre la procédure judiciaire pour que les Guinéens qui sont arrêtés, puissent être situés sur leur sort devant leurs avocats et dans une procédure qui respecte les lois de la République.

Laguinee.info : dans un entretien qu’il a accordé à Laguinee.info récemment, Keamou Bogola Haba, secrétaire exécutif de l’UNAD et membre de l’ANAD a fait savoir que l’opposition était prête à dialoguer avec des organisations de la  société civile, des institutions supranationales : mais, pas avec Alpha Condé. Quelle est votre réaction ?

Dr Dansa kourouma : je crois qu’il n’y a même pas de dialogue à faire entre le président de la République et l’opposition.  Non. Il y a un cadre de dialogue politique à mettre en place, où le ministre qui est compétent pour animer le dialogue politique en Guinée, qui est le ministre de l’Administration du Territoire et l’institution qui est le garant de ce dialogue politique, c’est la Primature. Alors, comme ils ne veulent pas dialoguer avec le président de la République, je les concède. Mais, il faut dialoguer avec le Premier ministre, il faut dialoguer avec le ministre de l’Administration du Territoire ; puisque ces deux commis de l’Etat sont des responsables dans le raffermissement des relations entre les partis politiques.  Alors, la deuxième chose, dialoguer avec la société civile et les organes supranationaux, c’est bien important. Je dirai à Mamadou Sylla que l’opposition n’est pas constituée que de l’opposition parlementaire. Il y a d’autres partis politiques extraparlementaires et pas les moindres. Pour une raison politique ou personnelle, ces partis ont décidé de boycotter les élections ; contre d’ailleurs la volonté du CNOSC-G qui a appelé tous les acteurs politiques à aller à ces élections. Parce que ne pas aller aux élections, c’est le parti qui a boudé les élections qui perd, ce n’est pas ceux qui ont gagné les élections. Donc, je demande une fois que le chef de file de l’opposition parlementaire soit en mesure de rassembler autour de lui, les partis extraparlementaires comme il est d’ailleurs en train de le faire. La nécessité d’une recomposition de l’opposition s’impose aujourd’hui pour qu’il y ait une opposition beaucoup plus dynamique. Mais, une opposition qui renoncerait à la violence au profit de moins de revendications, au profit moins d’exercice de leurs libertés, plus pacifique. Au-delà de cela, je voulais mentionner aussi à mon niveau, que ça soit le chef de file de l’opposition, que ça soit les autres composantes de la vie sociopolitique,  s’ils sont des démocrates,  ils ne doivent pas tourner le dos au dialogue et cela sans préalable.

Laguinee.info : Djibril Tamsir Niane, grand écrivain d’origine guinéenne a rendu l’âme à Dakar au Sénégal des suites de Coronavirus. Il a rejoint sa dernière demeure lundi dernier après avoir bénéficié des hommages dignes de son rang. Comment avez-vous accueilli cette triste nouvelle et quels étaient vos rapports ?

Dr Dansa kourouma : les guinéens m’ont moins entendu après le décès de Djibril Tamsir Niane. Mais pour ceux qui ne connaissent pas, Djibril Tamsir Niane était comme un mentor pour moi. C’est l’un des rares intellectuels, qui me relis, qui relis les productions intellectuelles que je fais. Je me rappelle quand le Guide Mohamad Kadafi est venu en Guinée pour la première fois, le discours que la jeunesse devait présenter, avant que ce discours ne soit remis à une femme, c’est moi qui devais prononcer le discours. L’élaboration de ce discours, le relent révolutionnaire et panafricaniste, le professeur Djibril Tamsir Niane a été l’un de mes coachs qui m’a aidé à cerner les contours de ce discours et à comprendre beaucoup d’enjeux là-dedans. Mais au-delà,  Djibril Tamsir Niane est un ancien du CNOSC-G. Il a appartenu au comité aviseur du CNOSC-G. Je vous informe pour ceux qui ne le savent pas, il était avec nous lors des événements de janvier et février 2007. C’était la chambre de réflexion stratégique qui nous permettait de peaufiner toutes les stratégies, d’élaborer les déclarations et les solutions de sortie de crise y compris les accords de Ouagadougou. Il en a contribué avec nous, à l’élaboration des pistes de solution qui nous ont permis d’aboutir aux accords de Ouagadougou. Donc, au-delà d’être un intellectuel, un historien, un homme de lettre de dimension africaine, de dimension internationale, Tamsir Niane est un activiste de la société civile, Tamsir Niane est pacifiste, Tamsir Niane est un démocrate, un progressiste qui s’est toujours battu pour que la loi règne au-dessus des appétits. Il s’est toujours battu pour que la confrontation d’idées prime sur la confrontation des armes ou des muscles. C’est un Guinéen tout court qui est mort, un africain qui est mort. Et, je remercie le Chef de l’Etat en passant, qui s’est rendu au lieu des obsèques ; mais aussi, le ministre de la Culture Siaka Barry et le gouvernement guinéen ; grâce à leur clairvoyance, le professeur Djibril Tamsir Niane a un musée, un musée où ses œuvres littéraires sont exposées. Donc, je pense que c’est un atout important. Mais, il n’est pas mort, parce que les œuvres du professeur Djibril Tamsir Niane continueront à édifier des milliers et des milliers de guinéens.

Laguinee.info : Ibn Chambas qui était jusque-là chef de bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et du Sahel quitte son poste officiellement le 1er avril. Il est remplacé par le Chef de la MINUSMA au Mali, le tchadien       Mahamat Saleh Annadif. On sait quand-même que Ibn Chambas a été impliqué dans la résolution de plusieurs crises sociopolitiques auxquelles la Guinée a traversé. Comment avez- vous accueilli cette information ?

Dr Dansa kourouma : J’avais des liens à la fois personnels, des liens amicaux avec mon ainé, Ibn Chambas que j’ai connu dans l’épicentre même de la crise sociopolitique de janvier et février 2007. J’étais un jeune étudiant, fraîchement sorti de l’université, qui s’est engagé dans ce bras de fer contre ce régime de Lansana Conté, naturellement pour l’amélioration de la gouvernance. Et, pour plus de liberté sociale, plus de liberté politique, économique ; mais aussi, créer les conditions d’une alternance démocratique au pouvoir par l’organisation d’élection pacifique avec beaucoup de bonheur, j’ai rencontré un certain Ibn Chambas, qui travaillait à la commission de la CEDEAO pour ceux ne connaissent pas avant de se retrouver représentant spécial des Nations Unies en Afrique de l’Ouest. Ibn Chambas connait la Guinée plus que tous les diplomates Onusiens. Il a fréquenté la Guinée, il aime la Guinée. Il a des liens personnels, des liens amicaux ; mais des liens philosophiques avec beaucoup de guinéens dont les grosses pointes de la classe politique, de la société civile, du gouvernement passé et du gouvernement actuel. Il a géré les crises guinéennes, les capacités diplomatiques de monsieur Chambas sont sans limite. Si la Guinée n’est pas en conflit violent, en guerre civile ou en conflit armée, il fait partie des diplomates qui ont agit officiellement et officieusement pour que le dialogue ne soit jamais rompu entre les acteurs de la vie sociopolitique nationale. Le plan de carrière des Nations Unies, il y a une limitation dans le temps, de séjour des diplomates à des fonctions. Donc, il y a une rotation administrative qui est obligatoire dans la fonction de diplomate. Donc, il va dans une autre sous-région africaine, où les défis sont presque les mêmes, les défis de maturation et de renforcement démocratique. Je lui souhaite bon vent ; et, le cadre de dialogue qu’il a toujours voulu pour la Guinée, je sais que son prédécesseur, avec doigtier et tact sera en mesure de raffermir ou d’arroser les graines d’acceptation que monsieur Ibn Chambas a semé en Guinée. Donc, je pars du principe que c’est un diplomate qui part et un autre qui vient, qui ont de grandes expériences.

Laguinee.info : c’est la fin de cet entretien. Un dernier mot ?

Dr Dansa kourouma : le petit message que j’ai à faire passer concernant Covid-19.  Je l’ai dit dans mes interviews précédentes que Covid-19 est plus qu’une réalité aujourd’hui. On parle de Djibril Tamsir Niane, fauché par Covid-19, sans compter les autres grandes personnalités africaines, guinéennes et internationales qui sont décédées sous l’effet de Covid-19. On n’a plus besoin de convaincre un citoyen guinéen sous la véracité ou l’effectivité de l’existence de la Covid-19 dans notre pays. Penser que Covid-19 est une manipulation politique, je pense que c’est une idée suicidaire. Je demande à toute la population guinéenne, y compris de Conakry, les environs, que chacun prenne ses responsabilités pour se protéger contre cette maladie.

Interview réalisée par Ibrahima Sory Diallo pour Laguinee.info

Tél. : (00224) 621 09 08 18

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