vendredi, novembre 22, 2024
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Manifestations en Guinée : Regards sociologiques avec Mory Camara (Interview)

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La Guinée est coincée dans une spirale de manifestations sociopolitiques depuis son indépendance en 1958. Ces manifestations de réclamation de droit sont le plus souvent réprimées violemment jusqu’à ce que des morts soient enregistrés ? Pour comprendre ces manifestations, notre rédaction a rencontré Monsieur Mory Camara, sociologue, inscrit au master à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia, Conakry.  Dans cette interview grand format, le sociologue explore ce phénomène social qu’est les manifestations sociopolitiques.

Laguinee.info : Quelles sont, selon vous, les principales causes des manifestations sociopolitiques en Guinée?

 

Mory Camara : En sociologie, on dit que quand il y a un problème, il faut chercher à savoir d’où vient le problème. Et nous, en tant que sociologues, accentuons nos réflexions sur les besoins sociaux. Quand on regarde la situation sociopolitique de notre pays, avec les différentes manifestations politiques et sociales qui sont en cours, il faut comprendre que cela dénote un peu des remous sociaux à travers des revendications sociales, c’est-à-dire qu’il y a certains besoins sociaux qui ne sont pas satisfaits, notamment le problème d’électricité, d’eau, le problème de la gouvernance locale lié à la gestion des quartiers, la gestion des déchets. Tous ces facteurs-là sont des éléments déclencheurs d’une revendication sociale. Si nous prenons de l’ordre politique, à ce niveau, si les politiciens ne prennent pas l’itinéraire de la bonne gouvernance du pays, forcément, il peut y avoir des revendications.

  • Quels facteurs sociologiques contribuent à la fréquence et à l’intensité des manifestations dans le pays ?

Quand un citoyen lambda n’arrive pas à joindre les deux bouts, cela réveille en lui une certaine attente non satisfaite. Cela va le pousser à demander. Et généralement, ici, c’est la population lambda qui revendique. Quand on augmente les factures d’électricité, la cherté de la vie avec l’augmentation des denrées de première nécessité, directement, les gens vont exprimer leur mécontentement par la voie de la manifestation.

  • Comment les événements historiques et politiques passés ont-ils influencé le paysage des manifestations en Guinée ?

Généralement, la plupart des manifestations en Guinée sont d’ordre politique. Lorsque nous prenons l’historique de notre pays, il faut comprendre que nous sommes partis sur de mauvaises bases depuis l’acquisition de l’indépendance. Nous avons connu la création des partis politiques sur la base ethnique, alors qu’aujourd’hui personne n’en parle. Les premiers partis politiques guinéens ont été créés sur la base régionale. Et jusqu’à présent, cela joue sur notre façon de revendiquer politiquement. Chaque communauté qui trouve son appartenance dans son groupe ethnique en fonction de la formation politique est un élément de dysfonctionnement de notre vie politique. C’est un premier aspect.

Le deuxième aspect, nous avons connu un changement brusque de régime. On est passé du socialisme pour transiter directement dans le libéralisme total sans des fondements de gouvernance. Il fallait s’y apprêter avant de transiter. Nous n’avons pas connu cette transition. En tant que sociologue, je pousse ma réflexion pour dire que si nous n’avons pas connu cette transition d’un système politique différent de ce que nous voyons maintenant, je me dis que c’est ce que nous sommes en train de voir maintenant. Je pense que recréer une nouvelle dynamique politique, c’est ce qui nous permettra de sortir notre pays de cette situation. Il ne faut pas tout créer aussi, il y a eu des acquis dans certains secteurs, il faut les conserver.

  • Comment les médias et les réseaux sociaux façonnent-ils le développement et l’ampleur des manifestations en Guinée ?

C’est un élément fondamental avec l’évolution des nouvelles technologies. Auparavant, on pensait que les médias sociaux et les médias n’étaient pas un pouvoir, mais aujourd’hui, à la place des médias, il y a des blogueurs qui prennent place. N’importe qui peut créer une chaîne YouTube et raconter n’importe quoi pour influencer les autres. Les blogueurs alimentent des crises sur les réseaux sociaux sur tous les plans. Ils font de l’intoxication à leur guise.

 Il faudrait que l’État mette un cadre légal à ce niveau, et fasse en sorte que les radios et télévisions qui diffusent des bavures soient démystifiées.

  • Quelles sont les dynamiques sociales et les structures de pouvoir qui alimentent ou atténuent les manifestations sociopolitiques dans le pays ?

Les dynamiques sociales ça existe, parce que quand c’est trop dur, on fait référence à nos chefs transitionnels, c’est-à-dire des représentants des communautés, mais aussi à nos chefs religieux qui jouent des rôles cruciaux pour atténuer ces crises. Mais il ne faut pas s’arrêter de façon informelle sur ces institutions sociales, il faut donner une dimension formelle à ces institutions si on reconnaît qu’elles ont un rôle fondamental à jouer dans l’épanouissement de la cohésion de notre pays. Au niveau politique, quand on parle de dialogue, il faudrait que tous les acteurs prennent part. Le gouvernement doit tendre la main tout en exposant les raisons pour lesquelles il tend la main. C’est cette formule qu’il faut utiliser pour pouvoir attirer des gens.

  • Comment les organisations de la société civile, les institutions religieuses et les acteurs politiques peuvent-ils contribuer à apaiser les tensions et à promouvoir le dialogue dans le contexte des manifestations ?

Toutes ces structures sociales, chacune d’entre elles a un rôle à jouer pour la consolidation de la paix dans le pays. Quand vous prenez des acteurs de la société civile, ce sont des personnes qui connaissent certaines questions sociales. Elles sont en contact direct avec les communautés et elles travaillent sur les problèmes sociaux. Cette frustration, venue de ces populations, est souvent exprimée par ces représentants, des organisations de la société civile. Des ONG qui luttent contre les violences basées sur le genre, ce sont elles qui sont porte-voix de ses victimes, de ces violences. Il y a des organisations qui défendent certaines couches sociales dans la société. Quand il y a un problème, elles peuvent rapidement trouver des solutions à ses problèmes parce qu’ils se côtoient et elles connaissent mieux leur situation. Donc, elles sont écoutées par les couches que ces organisations représentent. Les entendre, les écouter autour de la table, on peut facilement atténuer un problème.

  • Quelles sont vos recommandations pour promouvoir une culture de la paix et de la stabilité sociale en Guinée, tout en respectant le droit des citoyens à manifester pacifiquement et à exprimer leurs revendications ?

Si ces droits sont inscrits dans la Constitution, il faudra que l’État les garantisse pour sa population. Quand les gens ont du mal, il faut les laisser s’exprimer pacifiquement. Il faut donner l’opportunité aux gens d’exprimer leur point de vue face à des situations données. Mais, si vous décidez de leur occulter ce droit, je pense qu’ils cherchent à se faire entendre autrement. Le mal dans tout ça en Guinée, c’est que quand on fait des revendications pacifiques, on n’est pas écouté et parfois même ces revendications pacifiques sont réprimées. Donc, les gens trouvent moyen de taper là où ça fait mal. Nous nous sensibilisons à ce qu’on puisse utiliser des voies légales.

 

Interview réalisée par:
Ibrahima Alhassane Camara, pour Laguinee.info
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