Paris, Conakry, le 4 novembre 2023 – Dans la nuit du vendredi 3 au samedi 4 novembre 2023, un commando armé s’est introduit dans la maison centrale de Conakry et en a extrait plusieurs accusés du procès du massacre du 28 septembre 2009 : Moussa Dadis Camara ancien président et chef de la junte au pouvoir en 2009, Claude Pivi, ministre de la sécurité présidentielle au moment des faits, Moussa Thiégboro Camara, secrétaire d’état en charge de lutte contre le grand banditisme, la drogue et des services spéciaux au moment des faits, et Blaise Gomou, collaborateur direct de Moussa Thiégboro Camara au moment des faits. Certains évoquent une tentative d’évasion tandis que d’autres parlent d’un enlèvement de ces accusés.
la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme et du citoyen (OGDH) et l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA) expriment leurs vives préoccupations et condamnent avec la plus grande fermeté ces faits. Nos organisations appellent les autorités guinéennes à faire toute la lumière sur ces événements, ainsi qu’à garantir la sécurité des populations civiles en général, et particulièrement de tous les acteurs impliqués dans le procès sur le massacre du 28 septembre, notamment les victimes.
Aux environs de 13h, le général Ibrahima Sory Bangoura, chef d’état-major général des armées, a lu le communiqué officiel de l’État major général des armées à la télévision nationale. Dans celui-ci, il confirme que « des individus armés ont semé le trouble à l’ordre public en prenant pour cible la maison centrale de Conakry et ont fait évader certains détenus liés aux évènements douloureux du 28 septembre 2009 », indiquant que les « forces de défense et de sécurité […] ont réussi à stopper leur progression et à les contraindre à la fuite » et que « la situation a été rapidement maîtrisée et ramenée à la normale ». Le général Bangoura a informé que certains individus ont été arrêtés et que les recherches se poursuivent, appelant la population « au calme et à la vigilance ».
Le 4 novembre en fin de journée, un deuxième communiqué de l’État major général des armées a annoncé que les « forces de défense et de sécurité ont mis fin à la cavale du capitaine Moussa Dadis Camara, du colonel Moussa Tiegboro Camara et du colonel Blaise Gomou » et que « toutes les dispositions sécuritaires sont prises pour retrouver le dernier fugitif, le colonel Claude Pivi ». Le Ministère de la justice et des droits de l’Homme a lui aussi publié un communiqué indiquant que les trois premiers ont bien été « reconduits à la maison centrale de Conakry, placés sous haute sécurité », informant de la mise en place d’une cellule de crise et réitérant que « la justice reste et demeure la boussole de la refondation de l’État ».
« La situation reste encore volatile à Conakry et il est encore difficile de qualifier avec précision ce qui est en train de se dérouler. Quoi qu’il en soit, nos organisations constituées parties civiles au procès du 28 septembre 2009 les dénoncent avec la plus grande vigueur », a déclaré Me Alpha Amadou DS Bah, vice-président de l’OGDH et coordinateur du collectif d’avocat.es des victimes. « Nous appelons les autorités guinéennes à garantir l’intégrité du processus judiciaire en cours dans l’affaire emblématique du massacre du 28 septembre 2009 ».
Peu après 15h, Yamoussa Conté, Procureur général près de la Cour d’appel de Conakry a adressé des instructions au procureur militaire près du Tribunal militaire de première instance permanent de Conakry aux fins de « procéder à des enquêtes sur les faits d’évasion, de détention illégale d’armes de guerre, d’association de malfaiteurs et complicités contre […] Capitaine Moussa Dadis Camara, Colonel Blaise Gomou, Colonel Claude Pivi et Colonel Moussa Thiegboro Camara et toutes autres personnes que l’enquête révèlera ».
« Nous saluons l’ouverture rapide d’une enquête par les autorités judiciaires guinéennes et les exhortons à mener des investigations approfondies, avec transparence et diligence afin de situer les responsabilités et de sanctionner les auteurs de ces faits, a déclaré Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH et membre du collectif d’avocat.es des victimes. Des mesures urgentes doivent également être prises pour sécuriser les établissements pénitentiaires et éviter la répétition de faits aussi graves à l’avenir. ».
Ces événements interviennent alors que le procès sur le massacre du 28 septembre 2009 suit son cours. Du 28 septembre 2022 au 25 octobre 2023, 11 accusés et 106 parties civiles ont été auditionnés. Le procès doit reprendre le 6 novembre prochain avec l’audition des témoins. Le 30 octobre dernier, Morlaye Soumah, doyen des juges d’instruction du tribunal de Dixinn, a rendu une ordonnance de non lieu partiel de requalification et de renvoi devant le tribunal criminel de Dixinn concernant au moins 6 nouveaux accusés, pour être jugés pour des faits de complicité de meurtre et d’assassinat, de viol, d’enlèvement et de séquestration et autres infractions à la loi pénale dans l’affaire des massacres du stade du Conakry. Nos organisations ont salué un pas supplémentaire pour la manifestation de la vérité et poursuivent leur action pour soutenir les victimes dans leur quête de justice.
« Les événements d’aujourd’hui rappellent à tous les enjeux liés à la sécurité pour toutes les parties au procès du 28 septembre mais aussi la capacité de nuisance de certains acteurs liés à la classe politique et militaire qui était au pouvoir en 2009. Les victimes restent déterminées mais sont aussi très inquiètes face à ces violences », a déclaré Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA. « Nous appelons les autorités guinéennes à accélérer la mise en place des mesures de sécurisation et de protection tel que prévues par la loi guinéenne et à renforcer les dispositifs en place. »
Nos organisations appellent les institutions internationales et les partenaires internationaux engagés en faveur du procès du 28 septembre 2009 à ne ménager aucun effort pour que ce procès emblématique puisse aller à son terme dans le respect des standards internationaux. Plus particulièrement, nous appelons les Nations unies, la Cour pénale internationale, l’Union européenne et les diplomaties présentes à Conakry à renforcer et coordonner leur action pour contribuer au bon déroulement de ce procès historique et à une lutte effective contre l’impunité en Guinée.