Le ministère des Mines et de la Géologie guinéen est actuellement engagé dans des négociations tendues avec la société GAC (Global Alumina Corporation) concernant la construction d’une raffinerie de bauxite d’une capacité de 2 millions de tonnes, conformément aux obligations conventionnelles de ladite société. A date, la négociation nous conduit à l’impasse, avec un refus catégorique de la société de faire gagner la Guinée des retombées de ses propres ressources minières.
Pour l’Etat guinéen, il est impératif que GAC respecte ses engagements contractuels en vertu de sa convention de base et ses avenants, qui réservent l’ensemble de sa concession à la transformation locale de la bauxite. C’est-à-dire, GAC ne doit plus exporter la bauxite brute de la Guinée.
Cependant, loin de vouloir transformer sa bauxite en Guinée, GAC souhaite continuer et même augmenter ses activités d’exportation, conformément aux largesses que lui avaientaccordées le régime précédent d’Alpha Condé. A rappeler que ce régime avait accordé à GAC, l’autorisation d’exporter 12 millions de tonnes de bauxite pour accumuler des fonds en vue de la construction sa raffinerie. Cette forfaiture initiale du Gouvernement Condé pose désormais un dangereux précèdentpour autorités actuelles.
Face aux velléités de la société, les demandes de l’Etat sont claires. GAC doit indemniser l’Etat de toutes ses exportations précédentes, pour le manque à gagner résultant de l’exportation d’un minerai qui aurait été destiné à une transformation sur place; et surtout que ce minerai est retiré de la concession de CBG où l’Etat détient une participation de 49%. Cette zone avait été retirée de la concession de la CBGpar l’État pour répondre aux besoins de transformation locale de la bauxite. L’État se sent trahi par GAC, qui souhaite désormais augmenter son exportation de la bauxite tout en ne démontrant pas clairement sa capacité à construire la raffinerie de manière autonome, sans recourir à une joint-venture.
La situation est d’autant plus frustrante que le Directeur Général de GAC, un Guinéen, semble manquer de pouvoir dans ce contexte, alors que la situation est apparemment pilotée directement par un Canadien nommé STEVE. Ces compromis du Gouvernement Condé passés avec GAC risquent de hanter les gouvernements futurs, mettant en lumière les conséquences des forfaitures de l’administration précédente.
Commençons par lire une partie importante de l’avenant qui permet à GAC d’exporter jusqu’aujourd’hui la bauxite guinéenne.
Avenant N°2 du 24 novembre 2013 :
4 – CALENDRIER DU PROJET :
«Phase I:
Il est convenu que la Phase I s’achève le 31 décembre 2017. La mise en place de la Phase II pourra commencer à compter de la satisfaction raisonnable des Parties quant à l’accomplissement de la Phase I.
Phase II:
Il est convenu que la Phase II s’achève le 30 septembre 2022. »
Notre analyse
A la lecture de ce qui précède, le gouvernement de la transition a décidé de relire la convention qui le lie à la société EGA/GAC. L’objectif est de faire preuve de bonne foi et d’exiger que la société EGA/GAC respecte ses engagements initiaux et s’engage dans la construction d’une raffinerie d’alumine en Guinée dans les meilleurs délais. Cette relecture est conforme aux intérêts nationaux et l’apaisement du climat des affaires.
L’objectif de la relecture est donc de faire respecter les engagements de la convention initiale, qui réservait l’ensemble du permis à la transformation locale de la bauxite. Il s’agit également de faire valoir les intérêts nationaux de la Guinée et les principes du développement durable. La construction d’une raffinerie d’alumine en Guinée permettrait non seulement d’augmenter la valeur ajoutée des ressources naturelles, mais aussi de créer des emplois locaux, de diversifier l’économie, de renforcer les capacités industrielles et de réduire les impacts environnementaux et sociaux.
Cette relecture s’appuie sur les engagements juridiques de la société et les principes économiques pertinents, qui encadrent la pratique des activités économiques. Sur le plan juridique, il existe deux sources possibles pour fonder l’obligation de relecture : la source contractuelle et celle légale. La source contractuelle repose sur l’existence d’une clause de renégociation dans la convention de base, qui prévoit les modalités et les conditions de la révision du contrat en cas de changement de circonstances (Art 37). La source légale repose sur l’application du Code minier (Art 217 et suiv), qui permet à une partie de demander une renégociation du contrat si son exécution est rendue excessivement onéreuse par un changement imprévisible lors de sa conclusion.
Sur le plan économique, il convient de démontrer que la renégociation du contrat est bénéfique pour les deux parties, en termes de rentabilité, de compétitivité et de responsabilité sociale. Il s’agit de trouver un équilibre entre les intérêts des investisseurs étrangers, qui cherchent à maximiser leurs profits, et les intérêts du pays hôte, qui cherche à valoriser ses ressources et à protéger son environnement. Il s’agit également de prendre en compte les attentes des populations locales, qui aspirent à un développement durable et inclusif.
La renégociation doit donc être menée de manière transparente, équitable et participative, en impliquant toutes les parties prenantes concernées. Elle doit s’appuyer sur des arguments solides et des données fiables, qui permettent de justifier la nécessité et l’opportunité de la révision du contrat. Elle doit également respecter le principe de bonne foi, qui implique le respect des engagements pris et la recherche d’une solution mutuellement acceptable.
La renégociation n’est pas un acte de défiance ou d’hostilité, mais une opportunité de renforcer la coopération et le partenariat entre la Guinée et la société EGA/GAC. Elle vise à adapter le contrat aux réalités du terrain et aux évolutions du marché, afin de garantir sa pérennité et sa performance. Elle vise également à promouvoir une exploitation responsable et durable de la bauxite guinéenne, qui profite à tous les acteurs impliqués.
Toutefois, cette rénégociation n’est pas sans risques ni sans enjeux. Elle implique non seulement les intérêts économiques des deux parties, mais aussi les relations entre la Guinée et les Emirats Arabes Unis, pays d’origine de la société EGA/GAC. Il s’agit également de tenir compte des tentatives de vente ou de cession des activités de EGA/GAC en Guinée à d’autres acteurs, tel que Chalco. Ces éléments peuvent compliquer ou faciliter les négociations, selon les scénarios envisagés.
Par ailleurs, il est important que les négociateurs de l’État restent vigilants face à la tentation.
Il est essentiel que l’État, avec les exigences de son équipe de négociation, maintienne fermement sa position et ne fléchisse pas. La population doit prendre conscience que GAC a tenté, dans un premier temps, de se débarrasser de ses activités en Guinée en vendant ses obligations à Beat Chalco. Faute d’un accord, GAC revient maintenant vers l’État pour obtenir une modification de sa convention. Il reste à voir si la société utilisera des tactiques de chantage en suspendant ses opérations si l’État ne bouge pas de sa position.
Il est important de noter que les négociateurs de l’État doivent rester vigilants, car les entreprises peuvent tenter de diviser les équipes de négociation à travers des incitations individuelles. Cette affaire est un exemple clair des défis liés à la gestion des ressources naturelles et des relations entre les gouvernements et les sociétés dans le secteur minier en Guinée.
Il est essentiel de reconnaître que cette affaire met en lumière les défis persistants auxquels sont confrontés de nombreux pays riches en ressources naturelles. L’équilibre entre l’exploitation des ressources et la création de valeur ajoutée sur place est une question cruciale pour les gouvernements, en particulier dans les pays en développement, où ces ressources peuvent être des moteurs importants de développement économique.
L’État guinéen doit rester ferme dans ses négociations avec GAC afin de garantir que les intérêts du pays et de sa population sont correctement protégés. Cela implique non seulement de veiller à ce que GAC respecte les termes de sa convention, mais aussi de réclamer une compensation pour les pertes subies en raison de l’exportation de la bauxite d’une zone autrefois réservée à la transformation locale. Ces ressources naturelles appartiennent à la nation guinéenne, et il est crucial de les gérer de manière à maximiser les avantages pour le pays.
Parallèlement, il est important que les négociateurs de l’État restent vigilants face aux tentatives de pression ou de division de la part de la société. La transparence, l’intégrité et la vigilance sont essentielles pour garantir que les intérêts nationaux ne soient pas compromis.
Le gouvernement guinéen compte sur le soutien de l’opinion publique et des autorités guinéennes pour mener à bien cette renégociation qui vise à faire valoir les droits et les intérêts du peuple guinéen face à un partenaire qui n’a pas tenu ses promesses. La Guinée mérite de profiter pleinement de ses richesses naturelles et de se doter d’une industrie moderne et compétitive qui contribue à son essor économique et social.
La population guinéenne doit également être informée de ces négociations et de leurs enjeux, car elles ont un impact direct sur le développement économique du pays. La société civile, les médias et les organes de contrôle doivent jouer un rôle actif dans la surveillance de ces négociations pour s’assurer qu’elles servent véritablement l’intérêt public.
En fin de compte, cette affaire souligne l’importance d’une gestion transparente, équitable et responsable des ressources naturelles dans l’intérêt du développement durable de la Guinée et de son peuple. Elle est un exemple frappant des défis et des dilemmes auxquels sont confrontés de nombreux pays riches en ressources naturelles à travers le monde, et elle met en lumière la nécessité de mettre en place des politiques et des mécanismes efficaces pour gérer ces ressources de manière à en tirer le meilleur profit pour le pays et sa population.
Dr Ibrahima DIALLO ( Juriste Enseignant Chercheur, Spécialiste du droit de l’environnement)
Mohamed CAMARA ( Économiste Consultant Associé Gérant du Cabinet Conseil MOCAM CONSULTING)
Sources :