Depuis quelques jours, nous assistons à une guerre sémantique entre les nouvelles autorités de fait des quatre pays ouest africains et certains de leurs concitoyens. Dans les documents officiels de chaque pays, les juntes militaires qualifient les présidents de la transition de « Président de la République ». C’est cette mention que porte la charte dite de « Liptako-Gourma » par laquelle l’Alliance des Etats Sahéliens a été créée le 16 septembre dernier à Bamako. Cette alliance regroupe le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
C’est aussi cette mention qui figure dans le communiqué du CNRD relatif au voyage du président de la transition guinéenne pour les Etats-Unis d’Amérique. Ce à quoi un internaute a ironisé par une réponse qui n’est pas passée inaperçue sur la toile. Selon lui, entre les fonctions de président de la transition et celles du président de la République il y a les fameux 600 millions de dollars américains. Montant réclamé par le CNRD pour réaliser le chronogramme devant aboutir au retour à l’ordre constitutionnel, qui sera couronné par l’élection présidentielle.
Un président de la République est à un président de la transition ce que l’étudiant est à l’élève. Ce que le marié est un célibataire. Ou ce que le salarié est au stagiaire. Il y a une différence entre les deux. Conscient de cette différence, le capitaine Moussa Dadis Camara en souffrait. Il rappelait à ses interlocuteurs qu’il était un président de la République. Or il est connu que le lion ne se proclame jamais roi de la forêt.
Voilà pour la polémique. En jetant un regard rétrospectif sur l’histoire de l’Afrique post colonial, on peut noter que le qualificatif de président de la transition a vu le jour après le sommet de la Baule, tenu du 19 au 21 juin 1990. Lequel sommet sonna le glas au monopartisme. A partir du début des années 90, et dans la dynamique de la chute du mur de Berlin, consécutive à la perestroïka et au glasnost instaurés par Mikhaïl Gorbatchev de l’URSS, le coup d’Etat devient une exception. Alors qu’il était jusque-là une règle en Afrique. Avant la Baule, l’alternance à la tête de nos Etats se faisait, à quelques exceptions près, suite à un coup d’Etat.
Chaque année, entre un sommet de l’OUA et un autre, il y avait toujours de nouveaux dirigeants. Tous venus au pouvoir par un coup d’Etat, parfois sanglant. Les cas les plus douloureux sont les assassinats du président Sylvanus Olympio du Togo, le 13 janvier 1963, du président William Tolbert du Liberia, le 12 avril 1980 et du président Thomas Sankara du Burkina Faso, le 15 octobre 1987. La liste n’est pas exhaustive.
A l’époque, un président, qui déjouait miraculeusement les coups d’Etat, régnait à vie. A l’exception très notable des cas de Léopold-Sédar Senghor du Sénégal, qui céda le fauteuil présidentiel à son Premier ministre Abdou Diouf, le 1er janvier 1981 et le président Amadou Ahidjo du Cameroun qui fit de même en faveur de Paul Biya, le 6 novembre 1982. Mis à part ces exceptions, le mandat d’un président de la République démarrait le jour où il s’empare du pouvoir pour s’achever le jour de sa mort. Ce qui fait que le concept de président de la transition n’existait pas.
Depuis le début des années 90, la communauté internationale ne cautionne plus un coup d’Etat. Les putschistes le savent bien. C’est pourquoi, dès le premier communiqué de prise du pouvoir, ils annoncent l’organisation d’élections transparentes et crédibles. Malheureusement, la donne est en train de changer. Et radicalement. Les coups d’Etat font tache d’huile. Ils se propagent comme une trainée de poudre sur le continent noir. La partie ouest vient de contaminer le centre. Et la signature du pacte entre les putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger n’augure rien de bon pour le retour à l’ordre constitutionnel.
A cela il faut ajouter le suicidaire soutien de la classe politique, de la société civile et l’homme de la rue aux putschistes. Les citoyens sont plongés dans un rêve chimérique : Celui de croire que le remplacement du costume et de la cravate au palais par le treillis constitue une solution aux problèmes de gouvernance politique, à la crise économique et à l’épineuse question sécuritaire. Pour asseoir leur pouvoir, les militaires font miroiter aux citoyens dans les trois pays que le départ de la France est une solution. C’est un leurre. D’autant plus que l’ancienne puissance coloniale est remplacée par la Russie. Les pays qui ont opté pour le marxisme-léninisme après leur indépendance en savent quelque chose. Si ceux qui ont été élus, même de façon contestable, n’ont pas pu mettre fin aux maux qui minent leur pays, ce ne sont pas ceux qui se sont emparés du pouvoir par les armes qui vont le faire. Ceux qui chantent et dansent à la gloire des militaires risquent de l’apprendre à leur dépens. Ce n’est qu’une question de temps.
Habib Yembering Diallo
Journaliste-écrivain
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