Invité de l’émission « Mirador » de Fim Fm du 28 août 2023, Mory Condé a tenté de justifier le décret anti-démocratique du chef de la junte militaire conférant aux gouverneurs de Régions le pouvoir de nommer les responsables de quartiers et de districts. Pour essayer de convaincre, il a cité tour à tour la Charte de la Transition imposée par le putschiste en chef, le Code des collectivités locales du 26 mars 2006, le Code révisé des collectivités locales du 26 mai 2017 et le Code électoral révisé du 24 février 2017.
Il se fonde particulièrement sur les dispositions des articles 38, 81, 82 et 83 de la Charte de la Transition. Pour analyser l’argumentaire de Mory Condé, il convient de citer les dispositions qu’il invoque, même si cela peut être fastidieux.
– Article 38 de la Charte de la Transition. En ce qui concerne ce texte, Mory Condé se base sur la disposition précise qui dit que le Président de la Transition » …Détermine la politique de la Nation et assure par son arbitrage le bon fonctionnement des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État « .
– Article 81 de la Charte de la Transition : » Sauf abrogation expresse, les dispositions de la législation et de la réglementation en vigueur non contraires à la présente Charte demeurent entièrement applicables. »
– Article 82 : » En tant que de besoin, les dispositions de la présente Charte de la Transition seront complétées par des textes législatifs du Conseil National de la Transition. «
– Article 83: » Jusqu’à la mise en place des organes de la Transition, le Comité National du Rassemblement pour le Développement prend les mesures nécessaires au fonctionnement des pouvoirs publics, à la vie de la Nation, à la protection des citoyens et à la sauvegarde des libertés. «
Avant la signature du décret controversé, les modalités de désignation des responsables de quartiers et de districts étaient régies par les dispositions de l’article 99 de la loi organique 039 du 24 février 2017 portant Code électoral révisé. Aux termes de l’article 100 dudit Code « Un arrêté du ministre en charge des collectivités locales précise, conformément à l’article 3 du Code des Collectivités locales, à l’instar des Conseils communaux, le nombre de conseillers pour chaque quartier ou district.
Il définit également les attributions, l’organisation et le mode de fonctionnement, y compris le régime disciplinaire, du Conseil de district ou de quartier et les avantages liés à l’intérêt de la fonction de membres desdits Conseils. «
En parlant de l’article 3 du Code des collectivités locales, le Code électoral révisé vise certainement le Code des collectivités locales de 2006 puisqu’il est antérieur au Code révisé des collectivités locales de 2017. L’alinéa 2 de l’article 3 du Code des collectivités locales de 2006 dit simplement que les quartiers et les districts sont des sections des communes urbaines (CU) et des Communautés Rurales de Développement(CRD). À noter au passage que les Communautés Rurales de Développement (CRD) sont devenues depuis 2010 des Communes Rurales.
Aucun des textes cités par Mori Condé ne confère à une autorité politique ou administrative le pouvoir de nommer les responsables des quartiers et des districts.
Même si les dispositions de l’article 99 du Code électoral révisé n’ont pas été appliquées, à cause du refus systématique du régime précédent de favoriser leur mise en œuvre, il n’en demeure pas moins que ce sont elles qui régissent la désignation des responsables de quartiers et de districts. Une disposition d’une loi ne peut être remplacée par un décret fut-il d’un président de République démocratiquement élu à plus forte raison d’un putschiste. Et seule une loi organique abrogeant ou modifiant les dispositions de l’article 99 du Code électoral révisé peut se substituer à celui-ci.
Par ailleurs, le décret du chef de la junte est intervenu au moment où tous les organes de la Transition, en particulier le Conseil National de la Transition, sont déjà en place (référence aux articles 82 et 83 de la Charte de la Transition). Pourquoi le chef de la junte a préféré court-circuiter son propre Conseil National de la Transition ? Avait-il peur que son projet anti-démocratique soit rejeté, même si le CNT est considérée comme étant à sa solde ?
Avec cette arrogance propre à tous les imposteurs qui conduisent la présente transition, Mory Condé déclare que ceux qui critiquent le décret de son patron ont eu la paresse de fouiller dans les textes relatifs à la déconcentration et à la décentralisation en Guinée. Mais on a beau fouiller dans ces textes, on se réfère à ceux qui sont en vigueur. Ces derniers ne donnent aucun pouvoir de désignation des responsables de quartiers et de districts par voie de nomination. Il ne peut en être autrement car il y va de la démocratie à la base.
« Déterminer la politique de la Nation, assurer par son arbitrage le bon fonctionnement des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État », ce n’est pas une disposition passe-partout qui permet au Président de la Transition de faire n’importe quoi y compris prendre les décrets les plus illégaux. Dévoyer les textes, les vider de leur contenu à des fins politiques, cela aussi fait partie des » erreurs du passé« .
Mory Condé soutient, sans honte, que les acteurs politiques qui critiquent ce décret cherchent à avoir une mainmise sur les quartiers et districts à des fins électorales. Mais qu’est-ce qui prouve que, dans sa tentative de confisquer le pouvoir, la junte militaire ne cherche pas elle aussi à travers la nomination des responsables de quartiers et de districts par des gouverneurs de Régions eux-mêmes nommés par lamême junte, à avoir la mainmise sur les mêmes quartiers et districts. Mory Condé s’emploie à faire croire que la nébuleuse CNRD pose tous ses actes sans arrière-pensée politique contrairement aux acteurs politiques qu’elle tente par tous les moyens de diaboliser. Mais depuis le 5 septembre 2021, les putschistes sont dans la politique politicienne en croyant que personne ne comprend quelque chose à leur petit jeu. Il est temps qu’ils réalisent qu’ils ne sont pas plus patriotes que les hommes et femmes qui se battent sincèrement pour faire de la Guinée un pays uni et prospère où les notions de liberté, de démocratie et d’État de droit ne seraient pas des concepts vides de contenu.
SEKOU KOUNDOUNO
RESPONSABLE DES STRATEGIES ET PLANIFICATION DU FNDC