Il y a tout juste un an, le colonel Mamadi DOUMBOUYA, alors Commandant du Groupement des Forces Spéciales, appelait les Guinéens à faire l’amour à la nation. Ce, à la suite du renversement du pouvoir d’Alpha Condé, présenté comme une rupture avec les mauvaises pratiques du passé. Malheureusement, douze mois après, il est regrettable de constater que nombre de Guinéens peinent à croire à la volonté réelle de changement promise par le colonel-président. Conséquence, Conakry renoue avec la tension et les violences, les médias sociaux deviennent le théâtre des hostilités entre pro et anti-pouvoir militaire. La cohésion sociale s’affaiblit également ! On peut dès lors se poser la question : « Faire l’amour à la Guinée, une promesse intenable ? » En tout cas, les ingrédients sont réunis ou sont en train d’être réunis pour nous amener à nous poser sérieusement la question.
Face à un énième espoir suscité par l’accession de Monsieur Alpha Condé au pouvoir, les Guinéens ont été malheureux de constater au fil des années, les principes démocratiques s’effriter et laissant place à une restriction à outrance de l’espace civique à travers la violation flagrante et répétée des droits de l’Homme et une condition de vie précaire, le tout sur fond d’une gouvernance chaotique.
Comme une fatalité, face à ce régime résolument déterminé à user de tous les moyens pour maintenir son pouvoir et assouvir ses caprices, le citoyen guinéen s’était quasiment résigné. Il s’est mis à prier incessamment pour une chute qui permettrait sa discontinuité.
Contre toute attente, le 5 septembre 2021 est venu exaucer le plein vœu longuement formulé par les Guinéens épris de gouvernance démocratique vertueuse et de justice sociale. Les hommes en uniforme paradaient dans les rues de Conakry et recevaient des bains de foule, perçus comme les héros salvateurs. Cette harmonie était tellement magnifique, qu’elle ne pouvait laisser personne dans l’indifférence.
Pour tenter de rassurer les Guinéens qui se souvenaient encore de la transition chaotique de 2008-2010, le leader des Hommes du 5 septembre 2022 — après avoir peint les maux qui caractérisaient le régime déchu —, a promis qu’à partir de l’avènement de cette nouvelle junte militaire, ceux-ci ne seraient que des lointains mauvais souvenirs et que seul et seulement l’amour serait fait désormais à notre belle Guinée. Une phrase qui a eu toute sa résonnance et qui a influencé les attitudes et les convictions des Guinéens, mêmes celles des plus pessimistes. Meilleure, elle est devenue le slogan des Guinéens aspirants vivre enfin le bonheur toujours souhaité, et le principal baromètre devant évaluer les actes de tous et de chacun et surtout de ceux chargés de guider cette période de transition.
Malheureusement, l’instrumentalisation, les égos dans les discours et les actes et radicalismes renaissent face aux contestations et des revendications, laissant constater ou croire à des velléités d’une confiscation prolongée du pouvoir. La volonté d’aller vers l’instrumentalisation et rapport de forces que de vouloir instaurer un environnement favorable au dialogue franc et sincère. Oui, un dialogue au cours duquel les divergences objectives, les inquiétudes (mêmes infondées ou illusoires) peuvent être discutées et aplanies sur la base des éléments factuels et tous guidés par l’ambition d’une Guinée démocratique, unie, méritante et de justice sociale.
Au-delà des intérêts partisans et de toute volonté de vaincre l’autre, nul n’a intérêt que « faire l’amour à la Guinée » soit une promesse intenable et que le pays replonge dans son cercle vicieux de violences, de morts d’hommes, de destruction de biens et de traumatismes post-violences. Car ceci laissera place à un pessimisme profond et un retard de plus dans notre challenge à nous d’avoir enfin une nation et un pays compétitif au rang des nations émergentes. De toute évidence, les carottes ne sont pas encore cuites. Alors, les ingrédients nécessaires à une bonne sauce qui peut satisfaire notre appétit commun peuvent être encore apportés. Cela ne peut être possible que lorsque chaque individu, chaque partie accepte les critiques, refuse la délation et intègre un cadre de concertations normatif. Ainsi, je plaide pour :
La déclaration des biens des acteurs majeurs de la gestion de la transition : l’une des finalités visées par cette transition est la moralisation de l’administration publique et aussi celle privée. Ce qui est largement apprécié par la bonne partie des populations, car elle est d’une importance capitale. La mise en place de la Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières (CRIEF) et les actions jusque-là posées bénéficient d’une forte adhésion. Cependant, comme l’a dit Nicolas Sarkozy lors de son allocution de défaite aux élections présidentielles française de 2012 : «… la meilleure manière de défendre des valeurs, c’est de les vivre … ».
Monsieur le Président, vous comprendrez aisément qu’il sera difficile pour nous de croire à cette bonne volonté si vous et vos collaborateurs impliqués dans la gestion publique ne déclarez pas vos biens. D’ailleurs, pourquoi cette volonté de refuser d’obéir à cette pratique aussi basique et aussi simple mais fondamentale. S’il vous a été fait croire que cela n’avait aucun sens, rassurez-vous que soit c’est un leurre ou une volonté délibérée de masquer des intentions douteuses. Monsieur le Président, veuillez refuser et exigez que chacun des hauts cadres de l’administration publique publie ses biens. Rassurez-nous et permettez-nous de l’exiger à vos successeurs.
L’instauration d’une justice sociale : elle est fondée sur l’égalité des droits pour tous les peuples et la possibilité pour tous sans discrimination de bénéficier du progrès économique et social. La promotion de la justice sociale ne consiste pas simplement à augmenter les revenus et à créer des emplois. C’est aussi une question de droits, de dignité et de liberté d’expression pour les individus, ainsi que d’autonomie économique, sociale et politique. A mon avis, il ne peut y avoir développement et paix durables sans justice sociale. Elle reste et demeure le fondement des actes, législation et politique entrepris dans l’édification de toute nation.
L’instauration donc de cette justice sociale doit empêcher toute idée de restreindre l’émergence d’opinions et de discours contraires à celle pensée par la classe gouvernante. Même quand ils sont minoritaires, ils méritent une attention et une analyse soignée et équidistante pour évaluer leur pertinence et leur faisabilité pour ensuite apporter une réponse proportionnée qui heurte ni la sensibilité, ni la dignité de ceux qui les soutiennent. La volonté d’instaurer une justice nous éloignera de toute volonté délibérée d’entretenir des frustrations et des accumulations de haines.
La cessation de toute forme de revendication et répression violente : la sourde oreille entretenue par les différents gestionnaires publics pendant les régimes précédents a inculqué chez le Guinéen l’expression violente de toute nature de ses revendications et de son opinions. Malheureusement, cela a occasionné des centaines de morts que nous n’avons pas encore fini de pleurer et pour lesquelles nous attendons que justice soit rendue. A ce stade, nous n’avons pas besoin d’en rajouter car une goutte de sang versée de nouveau sera une de trop. Un bien de plus détruit sera un de trop.
Ainsi, nul ne doit appeler à une manifestation, sachant que les appelés à manifester n’ont pas encore la culture d’une manifestation pacifique et ne peuvent respecter le droit de « vaquer à leurs affaires » pour ceux qui ne se sentent pas concernés par l’appel à manifester. De ce fait, il n’est pas assez approprié de se focaliser à la promotion des droits de réunions et de manifestations publiques sans faire autant pour l’éducation civique qui pourrait favoriser leur déroulement sans incidents.
Il convient également de notifier que l’encadrement des manifestations publique a fortement progressé ces derniers temps. Cependant, des manquements notoires sont encore présents. Il s’agit d’usage disproportionné de la force et ce selon la zone de revendication. Cette attitude renforce la haine et détériore le climat de cohabitation entre les Forces défense et de sécurité et la population civile. Cela pourrait rendre certaines zones très sensibles et très vulnérables à la culture de la violence, de la délinquance et de la criminalité.
L’instauration d’un cadre permanent de dialogue franc : nous sommes tous unanimes que quel que soit le degré d’une divergence des positions, elles ne pourront se rapprocher que par le dialogue. Le médecin et psychanalyste français Jacques Lacan a dit : « Le dialogue paraît en lui-même constituer une renonciation à l’agressivité … Ce que je cherche dans la parole, c’est la réponse de l’autre ». Cette citation d’un des adeptes du célèbre philosophe Spinoza nous laisse comprendre les conditions et les attentes qui soutiennent un dialogue. Nous ne devrons entretenir des dialogues de façade dont l’objectif est de satisfaire plus les conditions de mobilisation de ressources et de faveurs extérieures, mais plutôt dans l’intérêt de rapprocher nos positions et de regarder vers un idéal commun qui doit absolument être le rayonnement de la Guinée et l’épanouissement de ses fils et filles. Il appartient donc à chaque partie prenante d’ouvrir des couloirs de concessions qui nuisent aux fondements de la démocratie et des principes qui l’encadrent. Le Gouvernement de transition sans aucune prétention ou aveu de faiblesse doit très rapidement mettre en place des mécanismes et des conditions d’un dialogue franc autour des questions essentielles à la réussite de la transition. Ça y va dans l’intérêt de tout le monde !
Citoyen Béta