dimanche, septembre 29, 2024
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La flamme d’une nouvelle espérance

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« Certains hommes sont faits pour diriger les autres hommes », a dit le premier président camerounais Ahmadou Ahidjo. Alfa Ibrahima Sambégou, entré dans l’histoire sous le nom de Karamoko Alfa mo Timbo, est de cette trempe. Choisi dans la première moitié du 18ème siècle parmi les chefs des neuf provinces qui composaient l’Etat théocratique du Fouta Djallon pour en être le premier chef spirituel et temporel, commandeur des croyants, sous le titre d’Almamy (de l’arabe Al imam) pour sa droiture, sa sagesse, sa vaillance au combat et son immense érudition dans le Coran et la tradition islamique, il a établi un Etat de droit, de justice, d’égalité et de protection des faibles. Il a joué un rôle capital dans le développement humain et culturel de toute la région qui formait à l’époque une véritable nation, comme on le verra plus loin. Mort en 1776, son esprit est aujourd’hui encore aussi vivant qu’à ses premiers jours.

S’inspirant de cet esprit, la Fondation Karamoko Alfa a été créée le 8 Août 2014 à Conakry en Guinée (Récépissé d’enregistrement : MATD N° 7428). Organisation à vocation culturelle, elle a pour objectif principal de rassembler tous les Guinéens dans le respect, la tolérance et la solidarité, sans aucune distinction à caractère régional, ethnique ou religieux afin de mettre en œuvre des actions destinées à :

  • promouvoir l’histoire, la culture et l’art guinéens et africains ;
  • favoriser la mise en place des moyens nécessaires au développement de l’enseignement et de l’éducation de la jeunesse ;
  • participer au développement du tissu social pour favoriser, dans la diversité, le « mieux vivre ensemble » ;
  • faire émerger les talents et les compétences au profit de la Guinée ou de tout pays dans lequel la Fondation est représentée ;
  • promouvoir l’unité nationale et l’épanouissement de l’homme en Guinée et dans les pays africains.

Un Bureau exécutif national provisoire, présidé par Alpha Oumar Barry, a été mis sur pied pour préparer le Congrès constitutif qui se tiendra à Conakry dans les tout prochains mois. Conformément aux statuts de la maison mère, tous les Guinéens sont invités à prendre part massivement à cette nouvelle organisation. Ceux qui vivent à l’étranger sont conviés à créer une antenne de la Fondation Karamoko Alfa dans chacun de leur pays d’accueil.

C’est ainsi que l’antenne France a été mise sur pied, le 7 Août 2016, au 58 Rue Armand Carrel du 19e Arrondissement à Paris. Un Bureau exécutif provisoire a été désigné en attendant le Congrès constitutif. Il est à noter que l’antenne Belgique a déjà vu le jour. Il en sera ainsi bientôt en Grande Bretagne, aux Pays Bas, en Allemagne, en Suisse, dans le sud de l’Europe, en Russie et dans les autres pays de l’Est, ainsi qu’en Amérique du Nord et en Asie.

Que la Fondation Karamoko Alfa se fixe comme objectif principal de promouvoir l’unité nationale en Guinée s’inscrit tout à fait dans le cadre de l’action qu’a menée toute sa vie durant celui dont elle porte le nom, fondateur du Fouta Djallon. A la base de cet Etat théocratique fut la bataille de Talansan, du nom d’une localité proche de Timbo sur la rive droite du Bafing (affluent du fleuve Sénégal) en 1727.

Contrairement à ce qui a été dit, la bataille de Talansan n’a pas opposé les Peuls aux autres ethnies du Fouta Djallon, en l’occurrence Malinkés, Djallonkés, Sarakolés et Diakankés, formant la communauté Mandingue. « Cette guerre a été déclenchée par les musulmans de toutes ethnies contre les animistes de tous bords »(1). Il y avait d’un côté, Peuls et Mandingues islamisés, et de l’autre, Peuls (appelés Poullis) et Mandingues attachés à leurs traditions et coutumes fétichistes. L’histoire mentionne les noms des chefs Mandingues ayant combattu aux côtés des Peuls musulmans : Fôdé Ishaqa Kâressi de Timbo-Dalaba, Fôdé Abdourahmane, Fôdé Mahmoudou Kali et Fôdé Ousmane, tous trois de Koûrou, Fodé Ahmadou de Saaré Bôwal et Fôdé Saliou de Dalato(2). L’histoire retient également le nom des chefs des Peuls animistes les plus redoutables : Dian Yéro et Yéro Yholo.

Avant d’appeler à la guerre sainte contre les fétichistes, Karamoko Alfa s’y est ardemment préparé. S’inspirant du prophète Mohammad (Paix et salut sur lui !), il accomplit une retraite mystique de jeûne et de prières (khalwa, dans la tradition peule) dans une case au mont Helaya (au mont Yhewrougol, selon d’autres sources), près de Timbo, qui dura 7 ans, 7 mois et 7 jours. Après quoi, il acquit une réputation de sainteté et l’estime générale.

« Il se mit immédiatement en rapport avec les marabouts [lettrés musulmans] disséminés dans les provinces. Il groupa autour de lui ses proches parents et compagnons. Il convia à un congrès, à Fougoumba, tous les musulmans dirigés par les marabouts installés dans les divers points du pays. »(3). Les neuf chefs religieux les plus influents agissant en tant que délégués de leur région d’origine répondirent à l’appel. Le congrès décida à l’unanimité l’organisation du Djihad, la guerre sainte, contre les fétichistes. Une résolution générale fut adoptée qui invitait au renforcement de l’unité musulmane et à la mobilisation générale.

A la tête des troupes musulmanes, Karamoko Alfa éleva au rang de généralissime son jeune cousin, l’intrépide et valeureux Ibrahima Sory, futur Almamy Ibrahima Sory Mawdho. Galvanisés par leur foi, les musulmans mirent en déroute la puissante armée des fétichistes, dix fois plus nombreuse, lors de la bataille de Talansan (en 1727). A noter l’étrange similitude avec l’histoire du Prophète et de son cousin et gendre Seydina Aliya (4e des 4 Califes les « bien dirigés » de l’Islam).

Cette victoire va constituer une étape majeure dans l’islamisation du Fouta Djallon. A l’origine, celui-ci était composé de huit provinces (Dîwé) dirigées chacune par un marabout combattant. Ce sont :

  • 1. Timbo (Alfa Ibrahima Sambégou, qui entrera dans l’histoire sous le nom de Karamoko Alfa mo Timbo)
  • 2. Timbi Tounni (Thierno Souleymane)
  • 3. Kébâli (Alfa Moussa)
  • 4. Koyin (Thierno Saliou Balâ)
  • 5. Kollâdhè (Alfa Amadou) avec pour chef-lieu Kankalabé
  • 6. Bhouria (Thierno Samba)
  • 7. Fougoumba (Alfa Mamadou Sadio)
  • 8. Labé (Alfa Mamadou Cellou, qui sera connu sous le nom de Karamoko Alfa mo Labé).

A la suite de la bataille de Talansan, Karamoko Alfa convoque le 2ème Congrès du Fouta Djallon, en 1743, qui s’est tenu chez le doyen des karamokos (maîtres d’école coranique, terme d’origine mandingue), Thierno Souleymane, à Timbi Tounni, et qui avait pour ordre du jour le compte-rendu des résultats de la guerre sainte menée dans les provinces, l’organisation politique et administrative du pays, la désignation des chefs de province et celle du chef suprême du Fouta Djallon. Les Peuls étaient devenus les maîtres du pays.

En reconnaissance de la part importante prise par les Mandingues dans la guerre sainte, une neuvième province est créée et appelée Fôdé Hadji. Elle est située à l’est de Timbo, sur la rive droite du Bafing. Peuplée majoritairement de Malinkés, elle sera dirigée par Mâma Fôdouyé.

C’est par consensus que le chef suprême du Fouta Djallon fut désigné. Alfa Mamadou Cellou, chef du Labé, la plus grande et la plus riche des provinces, ne brigua pas la fonction. L’hôte du congrès, le doyen Thierno Souleymane (Timbi Tounni), fit disposer les sièges en forme d’hémicycle et en plaça un au centre. Il fut convenu secrètement qu’Alfa Ibrahima Sambégou arriverait après que tous les autres se fussent installés. Lorsqu’il arriva, il ne restait plus qu’une place. Alfa Mamadou Cellou (futur Karamoko Alfa mo Labé) l’invita à s’y asseoir. Ipso facto, il fut considéré comme l’élu du congrès. Il fut proclamé Almamy, chef suprême du Fouta Djallon, avec le titre de Karamoko Alfa.

Il nomma les autres chefs religieux et militaires, chacun en ce qui le concerne, chef de province. Chacun d’eux fut invité à choisir le titre qui lui convenait entre « Thierno » (lettré qui a étudié, récité, traduit et commenté le Coran ; tous les dignitaires présents l’étaient) et « Alfa » (dignitaire provincial).

Une Constitution, inspirée de la « sounna » islamique et des coutumes peules, fut adoptée, ainsi que divers textes règlementaires sur l’information (palabre, tabala, courrier et messages), la justice (code pénal fondé sur le Coran et les hadiths), l’éducation (l’enseignement est rendu obligatoire pour tous le enfants, garçons et filles, à partir de l’âge de 7 ans, dans les écoles coraniques, ce qui explique qu’à la fin du 19e siècle, il n’y aura pas d’analphabètes au Fouta Djallon), les mesures de capacité et de longueur, la règlementation des guerres, le mode d’élection de l’Almamy et l’organisation de la vie sociale.

Timbo est décrétée capitale politique avec résidence de l’Almamy (qui dirige en plus directement la province du même nom) ; et Fougoumba, capitale religieuse, lieu de couronnement de l’Almamy, siège du Congrès et du Conseil des Anciens (tenant lieu de Sénat), c’est-à-dire du pouvoir législatif, et de ce fait, elle est proclamée ville neutre. Il fut décidé que le Fouta Djallon se constituerait en Etat islamique, souverain et fédéral, divisé en neuf provinces largement autonomes, et que la charge suprême se transmettrait par la voie héréditaire à vie. La fonction principale du Conseil des Anciens était de limiter et de contrôler le pouvoir des Almamys pour empêcher qu’ils n’exercent un pouvoir tyrannique. Pouvoir et contre-pouvoir existaient donc dans l’administration du Fouta Djallon au moment même où, en Europe, Montesquieu élaborait le « principe de la séparation des pouvoirs ».

A la suite de la maladie de Karamoko Alfa, après 19 expéditions victorieuses contre les fétichistes, son cousin et chef des armées, Alfa Ibrahima Sory, fut désigné Almamy par intérim, période qui dura trois ans jusqu’à la mort de l’illustre fondateur de l’Etat du Fouta Djallon, en 1776. L’héritier constitutionnel, Alfa Saliou, âgé de 15 ans seulement, ne pouvait pas assumer la succession. Adjoint dévoué, jouissant d’un grand prestige et ayant assuré l’intérim avec succès, Alfa Ibrahima Sory fut élu 2ème Almamy. « Grand guerrier, il fut un grand chef et continua l’œuvre entreprise par la lutte contre les fétichistes qui avoisinaient le Fouta. Grâce à sa combativité, il élargit les frontières du pays en envoyant des armées jusqu’au nord-est, et en Gambie à l’ouest. »(4). Il organisa 20 batailles victorieuses, accumula une grande fortune et acquit un immense prestige.

Après 11 ans de règne d’Alfa Ibrahima Sory (appelé désormais Ibrahima Sory Mawdho, ce qui signifie le Grand), les descendants de Karamoko Alfa, appuyés par le Conseil des Anciens, réclamèrent l’application stricte de la Constitution initiale et purent le démettre en 1787, malgré son immense prestige. Alfa Saliou, fils aîné du fondateur du Fouta Djallon, est élu 3ème Almamy.

A partir de ce moment, un avenant est ajouté à la Constitution qui prévoit que désormais le pouvoir sera exercé alternativement par les descendants de Karamoko Alfa et les descendants d’Ibrahima Sory Mawdho. Dès lors, deux partis politiques voient le jour : le parti Alfaya (descendants et partisans du premier) et le parti Sorya (descendants et partisans du second). Malheureusement, ce compromis constitutionnel n’empêchera pas les luttes fratricides entre les deux camps qui dureront jusqu’à la conquête coloniale (après, il est vrai, une accalmie qui a suivi la rébellion Houbbou au milieu du 19ème siècle) au lendemain de la mort tragique de l’Almamy Bocar Biro, en 1896.

Historiquement, des pactes d’amitié et des alliances ont été conclus entre le Fouta Djallon et les communautés de Haute Guinée et de Basse Guinée. « Il faut préciser qu’au moment du déclenchement de la guerre sainte, d’autres communautés de la sous-région étaient déjà islamisées. Avec elles, le Fouta Djallon post-Talansan a rapidement tissé des alliances. Tel a été le cas avec les communautés Maninka Mori du Bâtè, y compris, plus tard, avec leurs diasporas en Basse Guinée (Moriya, notamment). Celles qui se sont islamisées un peu plus tard, notamment en Basse Guinée, ont noué avec le Fouta des relations fraternelles, spirituelles et matrimoniales, qui s’ajoutèrent aux relations économiques plus anciennes qui existaient déjà. »(5). A titre d’exemple, les membres actuels de la branche familiale Ramata-Fodé qui descendent de Nèn Ramatoulaye, une authentique fille du Timbo, peuvent en témoigner.

L’Almamy Oumarou (10ème Almamy) conclut avec l’Almamy Samory, dont l’empire s’étendait jusqu’en Guinée Forestière, un traité d’amitié et de défense mutuelle qui fut scrupuleusement respecté. Les deux souverains ont fait cause commune pour combattre les animistes et les islamiser. A titre d’exemple, ils se sont ligués pour réduire la rébellion Houbbou menée au Fouta Djallon par le marabout Alfa Mamadou Diouhè.

Alfa Yaya, chef de la province du Labé établit également une alliance militaire avec Dinah Salifou, autre farouche résistant à la pénétration coloniale française. D’étroits liens d’amitié et d’échanges ont été tissés entre le Fouta Djallon et le Rio Pongo, ainsi qu’avec le Kania (Kindia), le Tabounsoun, le Kaloum-Kaporo et le Soumbouya-Wonkifong.

Les jeunes de Kankan, la capitale de la Haute Guinée, savent-ils pourquoi certains de leurs quartiers portent des noms de chefs-lieux de provinces du Fouta Djallon tels que Timbo ou Fougoumba ? C’est en souvenir du séjour de ressortissants du Bâtè en ces lieux venus s’y abriter lors d’invasions animistes.

L’Etat théocratique a été un centre culturel qui rayonnait dans toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà. Des universités de renom s’y développaient comme Koula, Zâwiya, Dalen, Mombéya, Bassara, Daralabé, Toûba, Mâci ou Kolen. Des savants de haut niveau en sciences coraniques ont laissé à la postérité des œuvres de portée universelle comme Ogirdé malal (Le Filon du bonheur éternel, traduit en français par l’éminent professeur Alfa Ibrahima Sow) de Thierno Samba Monbéya ou les poèmes de Thierno Aliou Bhoûbha Ndiyan (1855-1927) qui ont su élever le poular au statut de langue littéraire écrite.

Le Fouta Djallon était, à l’intérieur de ses frontières, une véritable nation, ayant sublimé ses clivages ethniques et régionaux. Les différentes ethnies, Peuls, Malinkés, Djallonkés, Sarakollés, Diakankés et Torobhés (Toucouleurs, venus du Bhoundou et du Fouta Toro) vivaient en symbiose dans l’entente et la fraternité. « On aurait tort de ne pas mentionner les relations fraternelles qui ont été tissées entre la grande famille Kourouma, celle des Koly, des Béavogui et leurs alliés de N’Zérékoré, et de nombreuses familles du Fouta Djallon, particulièrement celle de l’Almamy Ibrahima Sory Dara de Mamou »(6).

La coexistence entre les différentes ethnies a conduit à des emprunts linguistiques réciproques. A titre d’exemple, les titres Alfa et Almamy, courants en Haute Guinée et en Basse Guinée, viennent du Fouta Djallon, tandis que ceux de Fodé et Karamoko utilisés au Fouta sont mandingues. Sans oublier que la pierre sur laquelle sont creusés neuf trous symbolisant le Fouta Djallon porte le nom de « Dîwanou konondo » (Neuf provinces), en malinké. Elle existe aujourd’hui encore à l’entrée de la ville de Timbo.

La Fondation Karamoko Alfa peut donc, à juste raison, se fixer comme objectif primordial de promouvoir l’unité nationale des Guinéens. Organisation à vocation culturelle, elle va s’employer à cultiver le « mieux vivre ensemble » dans une communauté de destin.

D’aucuns ne manqueront pas de dire que nous prônons un retour vers le passé. Ils se trompent lourdement. Nous n’avons nullement le regard tourné vers l’arrière. Bien au contraire, du passé nous faisons un tremplin pour nous projeter vers l’avenir. Les civilisations qui meurent sont celles qui oublient leur passé.

A l’instar de Jomo Kenyatta sur le Kilimandjaro, nous allons allumer un flambeau, le hisser au sommet du mont Nimba, afin qu’il éclaire la Guinée entière d’une lueur étincelante, la flamme d’une nouvelle espérance, celle d’un avenir meilleur pour tous les Guinéens.

  1. Appel des fils et filles du Timbo à l’unité nationale, document publié en 2015 par le Haut conseil des anciens du Timbo et l’Association pour le développement du Timbo, p. 8.
  2. Op. cit. : Appel des fils et filles du Timbo…, p. 8.
  3. Thierno Mamadou Bah : Histoire du Fouta Djallon – Des origines au XXème siècle, Société africaine d’édition et de communication, 1999, Tome I. L’auteur de cet ouvrage exceptionnel qu’il a laissé à la postérité est l’un des fils prestigieux de l’érudit Thierno Aliou Bhoubha Ndiyan dont il est question plus haut. C’était l’un des tout premiers hauts cadres guinéens à l’indépendance en 1958. Il a malheureusement été l’une des nombreuses victimes de la Ière République. Hommage à ce cadre de haut niveau et paix à son âme !
  4. Op. cit. : Histoire du Fouta Djallon…
  5. Op. cit. : Appel des fils et filles du Timbo…, p. 8.
  6. Op. cit. : Appel des fils et filles du Timbo…, p. 10.

Publié pour une première fois dans le Guepard.

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