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La Mamaya et le Kania Soly : symboles vivants d’une renaissance culturelle en Guinée

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À l’occasion de la fête de Tabaski, alors que les regards étaient tournés vers les rites religieux et les retrouvailles familiales, un autre événement, tout aussi significatif pour l’âme guinéenne, a vu le jour ou plutôt, a resurgi avec éclat. Deux régions naturelles de notre pays ont profité de cette fête sacrée pour offrir au reste de la Guinée un précieux cadeau : la démonstration éclatante d’une culture qui refuse de mourir. En Haute-Guinée, c’est la légendaire Mamaya de Kankan qui a déployé ses fastes. En Basse-Guinée, c’est le majestueux Kania Soly de Kindia qui a revêtu ses plus beaux habits. Deux cultures, deux expressions identitaires profondes, un même message : nos traditions sont vivantes, vibrantes, indestructibles.

Le Kania Soly

La Mamaya n’est pas une simple danse. C’est un théâtre du temps, un espace où s’expriment la noblesse des anciens, la joie des jeunes et la solidarité des familles. Sa chorégraphie circulaire, répétitive mais toujours maîtrisée, est à l’image de la vie communautaire mandingue : harmonieuse, ordonnée, solidaire. La Mamaya ne se danse pas seule ; elle se vit ensemble, dans une communion quasi sacrée entre les corps et les esprits. Voir la population de Kankan, jeunes et moins jeunes, revêtir leurs tenues traditionnelles, se donner la main et faire corps dans cette ronde envoûtante, c’est assister à un acte de résilience culturelle. C’est dire au monde : « Voici qui nous sommes, et nous refusons de disparaître. »

À quelques centaines de kilomètres de là, en Basse-Guinée, c’est le Kania Soly qui a pris la relève. Moins connu du grand public, mais tout aussi significatif, ce pan de la culture soussou revêt une profondeur historique remarquable. C’est une célébration des valeurs communautaires, de l’élégance locale, des rythmes traditionnels et de l’identité kania. Le Kania Soly n’est pas seulement un spectacle visuel, c’est une mémoire vivante. C’est la matérialisation du lien sacré entre les hommes et leurs origines. Cette année, les habitants de Kindia ont redonné à cette culture toute sa grandeur, avec une créativité qui force l’admiration. Des costumes chatoyants, des prestations artistiques organisées, des réseaux sociaux envahis par des images vibrantes : la culture soussou a su se raconter à nouveau, avec fierté et sans complexe.

Ces deux événements ne sont pas de simples festivités passagères. Ils sont des actes de résistance culturelle, dans un monde où l’uniformisation menace de tout aplatir. Alors que les modes étrangères s’imposent à coups de clics, de likes et de vidéos virales, ces deux régions ont su démontrer qu’il est possible de s’ouvrir au monde tout en restant profondément ancré dans son histoire.

En tant que Guinéen, je ne peux qu’applaudir cette dynamique. Elle témoigne d’un réveil. Mieux : d’une prise de conscience. Nos cultures ne sont pas de vieilles reliques à conserver dans des vitrines poussiéreuses. Elles sont des outils de fierté, des moyens de cohésion, des réservoirs d’inspiration, des richesses inestimables à transmettre aux jeunes générations. Ce que Kankan et Kindia ont fait n’est pas anodin : c’est une leçon de patriotisme culturel.

Car oui, célébrer la Mamaya ou le Kania Soly, ce n’est pas revenir en arrière, ce n’est pas rejeter la modernité. C’est, au contraire, refuser de marcher vers l’avenir en étant amnésiques. C’est dire aux enfants d’aujourd’hui : « Tu peux être moderne, connecté, diplômé, mais tu dois savoir d’où tu viens. Tu dois pouvoir nommer les danses de ta terre, les chants de tes ancêtres, les couleurs de ton peuple. »

La Mamaya

L’État guinéen, les collectivités locales, les écoles, les médias et les familles doivent tirer les leçons de cette Tabaski pas comme les autres. Il est temps de reconnaître que la culture n’est pas un luxe, ni un simple divertissement. Elle est un pilier du développement durable. Elle peut être source d’emplois, d’éducation, de tourisme, de paix. Il est donc crucial de soutenir, encadrer, institutionnaliser et célébrer ces initiatives. La Mamaya et le Kania Soly doivent être documentés, promus dans les manuels scolaires, intégrés dans les politiques culturelles régionales, appuyés par des projets de valorisation économique et patrimoniale.

En clair, au-delà de la fierté locale et du sursaut culturel, un autre enjeu mérite notre attention : le potentiel de ces traditions dans la stratégie de nation branding. Dans un monde où l’image d’un pays influence autant les flux touristiques que les investissements étrangers ou la diplomatie culturelle, la culture devient une arme douce mais puissante. Et la Guinée, avec la Mamaya et le Kania Soly, dispose d’un atout authentique et rare.

Le nation branding, ou « marque pays », consiste à valoriser à l’international l’identité, les valeurs, les produits et les talents d’un pays. Il ne s’agit pas seulement de communication ; c’est un levier de développement. Or, rien ne raconte mieux un pays que sa culture. Quand une nation réussit à faire reconnaître une de ses traditions comme un symbole de beauté, d’hospitalité ou de créativité, elle gagne en visibilité, en attractivité, en influence.

C’est exactement ce que font la Mamaya et le Kania Soly. Elles sont nos signatures culturelles. Elles peuvent et doivent être utilisées comme vitrines du génie guinéen. Intégrées dans les campagnes de promotion touristique, portées dans les expositions culturelles internationales, racontées dans nos ambassades, chantées dans nos festivals officiels, elles deviendront des ambassadrices silencieuses, capables de séduire le monde sans traduction.

Imaginez des campagnes institutionnelles qui montrent des jeunes dansant la Mamaya dans les rues de Kankan ou le Kania Soly sublimé dans un clip moderne tourné à Kindia. Imaginez des pavillons guinéens à l’international où ces traditions sont mises en scène avec fierté. Imaginez même une ligne de vêtements inspirée des costumes de ces fêtes, exportée sous le label « Made in Guinea ». C’est tout cela, le nation branding par la culture.

Mais pour cela, il faut une volonté politique. Il faut des investissements. Il faut une vision. Il faut sortir nos traditions du folklore pour les inscrire dans une stratégie de rayonnement. Il ne s’agit pas d’exploiter la culture, mais de lui donner les moyens de rayonner, de dialoguer avec le monde sans se dénaturer.

À tous les jeunes qui ont partagé ces moments sur les réseaux sociaux, je dis : continuez ! Montrez au monde que la Guinée ne se résume pas à ses difficultés, mais qu’elle regorge de richesses humaines et culturelles. À tous ceux qui doutaient de la capacité de nos traditions à toucher les nouvelles générations, je dis : regardez bien ces images. Écoutez ces tambours. Ils ne chantent pas le passé, ils battent pour l’avenir.

Puissent la Mamaya et le Kania Soly inspirer d’autres régions. Puissent-elles rappeler à chacun de nous que la véritable modernité, c’est d’évoluer sans jamais se renier.

Oui, la Tabaski a été belle. Mais grâce à Kankan et Kindia, elle a aussi été mémorable. Merci à ces régions de nous avoir rappelé que nos cultures sont vivantes, puissantes et plus que jamais nécessaires.

 

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