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Guinée : Un fonds souverain, oui — mais pas avant l’État (Par Abdourahamane Diallo)

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La Guinée est-elle prête à gérer les milliards du projet Simandou ? Alors que le gouvernement annonce la création d’un fonds souverain, le contrat du projet reste toujours non publié — en violation du Code minier — ce qui jette une ombre sur la transparence et la légitimité de l’opération. Dans le même temps, les autorités avancent des chiffres extravagants sur sa valeur, évoquant 200 voire 300 milliards de dollars, au mépris de toute rigueur économique. Ce flou et cette surenchère entachent la crédibilité de l’État. La question posée ici n’est donc pas seulement économique. Elle est éthique, générationnelle, existentielle.

Richesse minière, pauvreté institutionnelle

Le projet de minerai de fer de Simandou, évalué officiellement à 20 milliards de dollars, pourrait doubler les revenus du pays. Un miracle économique en puissance. Mais l’histoire récente invite à la prudence. Malgré des décennies d’exploitation de la bauxite et de l’or, la Guinée reste un pays aux routes défoncées, aux hôpitaux sous-équipés et aux enseignants mal payés.

Le danger est connu. les ressources naturelles peuvent affaiblir l’État au lieu de le renforcer, si elles sont captées sans vision, sans contre-pouvoirs, sans institutions.

Un pacte sur dix ans : investir d’abord, épargner ensuite

Je propose un chemin clair, réaliste, en cinq étapes sur dix ans :

1. Stabiliser les finances publiques

Entre 2021 et 2024, le déficit budgétaire moyen de la Guinée s’est élevé à 370 millions $ par an (1,6 % du PIB). Garantir chaque année 370 millions $ (plafond à 400 millions $) au budget de l’État éviterait de recourir à l’endettement pour financer les salaires, le service de la dette et les services publics essentiels.

2. Investir massivement en interne pendant sept ans

Dès que l’assise budgétaire est validée, 100 % du surplus (recettes minières au-delà de 370 M$) alimente un Fonds de Développement Prioritaire (FDP) pendant sept ans, pour:

• Transformation agricole (20 %): irrigation solaire, semences performantes, pistes et entrepôts frigorifiques

• Soutien aux PME et industries locales (15 %): microcrédits, incubateurs et co-investissements (raffineries d’alumine, agro-usines)

• Infrastructures & capital humain (65 %): construction d’écoles, d’hôpitaux, formation professionnelle, électrification et ponts

Créer de l’emploi, former des compétences, moderniser l’État: voilà la vraie urgence. Ce n’est qu’en transformant nos ressources sur place — plutôt qu’en exportant du minerai brut — que nous pourrons capturer une véritable richesse. Cette phase d’investissement intensif est primordiale avant toute ouverture vers l’extérieur.

3. Commencer à épargner sans freiner le développement interne

Entre la 8ᵉ et la 10ᵉ année, une fois les grands chantiers lancés, le surplus est réparti ainsi:

• 60 % pour le Fonds de Développement Prioritaire (dernier tour)

• 30 % pour le lancement du Fonds Souverain d’Épargne (FSE)

• 10 % pour le budget général

Ce partage garantit la poursuite des projets intérieurs, amorce l’accumulation d’une épargne nationale et soulage le Trésor. Car on ne peut pas prétendre épargner sérieusement quand les besoins vitaux ne sont pas encore couverts. C’est comme dans une famille: on utilise d’abord son salaire pour payer le loyer, les repas, la santé, l’électricité. Ce n’est que ce qui reste, une fois les urgences réglées, qu’on peut envisager de mettre de côté ou d’investir. Il en va de même pour l’État: investir à l’étranger avant d’avoir investi chez soi serait une fuite en avant.

4. Lancer le Fonds souverain à maturité

Après dix ans, le FDP s’arrête. Les excédents sont répartis:

• 65 % pour le FSE

• 35 % pour le budget general

Le FSE est divisé en deux poches:

• 33 % pour absorber les chocs économiques (liquidités)

• 67 % pour l’épargne de long terme: actions, infrastructures, énergies vertes

Chaque année, seuls les rendements du FSE sont utilisés:

• 20 % pour l’agriculture

• 15 % pour les PME

• 65 % pour l’éducation, la santé et la dette

Règle d’or: “manger les fruits, pas l’arbre.”

5. Encadrer par la loi et la transparence

Ce modèle exige des garde-fous:

• Inscription dans la loi des seuils, durées et répartitions

• Gestion indépendante, rapports publics, audits annuels

• Tolérance zéro pour la corruption

Ce qu’il faut retenir

La Guinée peut bâtir un fonds souverain. Mais pas aujourd’hui. Et surtout, pas sans un État de droit, une justice indépendante, une liberté d’expression garantie, une administration méritocratique et une gouvernance intègre. Tant que notre pays figurera parmi les derniers en matière de transparence, de liberté d’expression, de respect des droits de l’homme, de personnification de l’État, de lutte contre la corruption et de sécurité des dépôts publics, un fonds souverain ne sera pas un levier de développement, mais une trappe à illusions.

Pour que cette richesse devienne une bénédiction, nous devons d’abord libérer notre peuple, puis nos institutions. Aucune stratégie économique ne peut réussir sans un retour rapide à l’ordre constitutionnel. L’urgence, aujourd’hui, est d’organiser des élections libres, transparentes et inclusives, dans le respect de la charte de transition.

Abdourahamane Diallo est économiste guinéo-américain. Il conçoit des scénarios macroéconomiques et géopolitiques pour le secteur financier international. Il milite pour une gestion souveraine des ressources africaines.

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