Un empire logistique sous les projecteurs de la justice. Un collectif panafricain vient de déposer une plainte explosive visant le groupe Bolloré, son fondateur Vincent Bolloré et son fils Cyrille, pour recel et blanchiment d’actifs. En toile de fond : une gestion opaque et controversée des concessions portuaires africaines pendant deux décennies.
Le Parquet national financier (PNF) a confirmé à l’AFP avoir reçu mardi cette plainte, « actuellement à l’étude ». Un rappel cependant : « les investigations doivent rester secrètes », a précisé le parquet, visiblement agacé par la médiatisation immédiate de cette action judiciaire.
Mais la discrétion n’est pas à l’ordre du jour pour les plaignants. Le collectif Restitution pour l’Afrique (RAF), qui regroupe des ONG de Guinée, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire et Cameroun, accuse le groupe Bolloré d’avoir mis en place un véritable système de prédation économique, dissimulé derrière des partenariats publics-privés. En clair : soutien politique contre avantages logistiques.
Une gestion sous influence ?
La plainte, consultée par l’AFP, dénonce des pratiques troubles dans l’octroi et la gestion des ports de Lomé, Conakry, Douala, Kribi, Tema et Abidjan : financement de campagnes électorales, nominations douteuses de responsables politiques au sein des filiales, contrats obtenus sans appels d’offres…
En 2010 déjà, Bolloré avait été soupçonné d’avoir aidé, via sa filiale de communication Euro RSCG (devenue Havas), les campagnes présidentielles de Faure Gnassingbé et Alpha Condé. En 2021, le groupe acceptait de payer 12 millions d’euros d’amende pour éviter des poursuites. Mais en 2024, le parquet financier français demandait un procès pour corruption contre Vincent Bolloré lui-même.
Aujourd’hui, l’affaire rebondit. Les plaignants ciblent notamment le recel de favoritisme et de trafic d’influence, en s’appuyant sur des rapports accablants, comme celui de la Commission nationale anti-corruption du Cameroun. Ce dernier évoque 60 millions d’euros de redevances non reversées à l’État.
Une mécanique bien huilée
À Tema, au Ghana, le consortium Bolloré/Maersk aurait convaincu le président Mahama d’attribuer le contrat du port sans appel d’offres. Résultat : une perte sèche estimée à 4,1 milliards de dollars pour le pays. En Côte d’Ivoire, l’attribution du port d’Abidjan de gré à gré par Laurent Gbagbo en 2003 avait déjà provoqué un tollé : « Une entorse majeure à la bonne gouvernance », selon la Banque mondiale.
Au cœur de la plainte, la vente en 2022 de la branche Bolloré Africa Logistics à MSC pour 5,7 milliards d’euros. Une opération qui aurait, selon les ONG, permis de blanchir les profits issus de concessions obtenues illégalement.
« Le groupe a déjà reconnu certaines pratiques douteuses. Mais est-ce que ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt ? », s’interroge Me Antoine Vey, avocat du collectif RAF. Pour lui, l’enjeu est clair : « s’attaquer enfin aux corrupteurs, pas seulement aux corrompus ».
Restituer aux peuples ce qui leur a été volé
La plainte ambitionne de s’appuyer sur la loi française de 2021 sur les « biens mal acquis », qui permet d’utiliser les avoirs saisis pour financer des projets de développement dans les pays lésés.
« L’idée, c’est de rendre aux peuples africains ce que les puissants leur ont confisqué », affirme Jean-Jacques Lumumba, président du collectif RAF. Pour lui, cette démarche marque un tournant : « On ne parle plus seulement de dirigeants africains véreux, mais aussi de multinationales occidentales complices. »
Le groupe Bolloré, sollicité par l’AFP, n’a pas encore réagi à ces accusations. Mais le silence ne suffira peut-être pas à éteindre l’incendie. Cette plainte inédite risque bien de relancer un débat crucial sur la responsabilité des entreprises dans les économies africaines.
Derrière la façade des investissements, le soupçon d’un pillage moderne organisé. La justice française, désormais saisie, devra trancher : opération légitime ou stratégie systémique de captation des richesses africaines ? Le port est ouvert. À l’instruction d’accoster.
Laguinee.info