Dans un entretien accordé à Laguinee.info, Alseny Farinta Camara, membre du collectif Restitution Afrique et de l’association RENADE, revient sur une plainte inédite déposée contre le groupe Bolloré pour « recel » et « blanchiment » d’actifs. À travers cette action menée avec dix autres organisations africaines et françaises, les plaignants réclament justice pour les populations africaines et appellent à une restitution concrète des fonds issus de la corruption.
Une plainte a été déposée récemment par votre collectif. De quoi s’agit-il exactement ?
Effectivement, nous avons déposé une plainte avec le collectif Restitution Afrique, dont je suis membre avec mon association RENADE. Il s’agit d’une action inédite portée par onze organisations issues de six pays africains et de France. Cette plainte vise le groupe Bolloré et ses (ex)dirigeants pour des faits de « recel » et de « blanchiment » d’actifs. Nous voulons faire reconnaître les responsabilités de ceux qui ont alimenté ces pratiques, et obtenir que justice soit rendue aux populations africaines qui en ont été les premières victimes.
Que réclamez-vous à travers cette action en justice ?
Que la corruption soit pleinement reconnue, d’abord. Mais au-delà de la reconnaissance, nous appelons à une réparation concrète. Cela signifie que les gains tirés de ces pratiques doivent être saisis, puis réaffectés à des projets utiles aux populations : écoles, hôpitaux, infrastructures essentielles. Grâce à une loi adoptée en France en 2021, cette forme de restitution est aujourd’hui juridiquement possible, via des mécanismes de coopération avec des agences de développement.
Quels sont les éléments concrets mis en cause dans le dossier ?
Prenons le cas de la Guinée : en 2010, le groupe Bolloré a apporté un soutien financier à la campagne présidentielle d’Alpha Condé, à hauteur de 170 000 euros. Peu de temps après, il obtenait la gestion du port à conteneurs de Conakry. Il s’agit de faits précis, documentés, et d’ailleurs partiellement reconnus par l’entreprise elle-même dans une convention judiciaire conclue en France. Ce qui est important de souligner, c’est que ce n’est pas un épisode isolé : ce type de schéma s’est répété dans d’autres pays africains. C’est bien un système organisé.
À combien s’élèvent les sommes en jeu ?
Les sommes sont considérables. Rien que la cession de Bolloré Africa Logistics en 2022 a rapporté 5,7 milliards d’euros au groupe. Ce sont ces revenus que nous mettons en question, car une partie d’entre eux pourrait provenir de marchés obtenus de manière illégale. Il appartient bien sûr à la justice de déterminer les montants exacts, mais les ordres de grandeur sont déjà connus.
Concrètement, qu’est-ce que cela pourrait changer pour les Guinéens ?
Beaucoup de choses. Ce n’est pas de la théorie. Si ces fonds reviennent, on pourra parler d’écoles construites, de centres de santé équipés, de routes viables. C’est la vie quotidienne qui peut changer. Parce que la corruption, ce n’est pas abstrait : elle prive les enfants de scolarité, elle vide les hôpitaux, elle freine le développement.
Et maintenant ? Que va-t-il se passer ?
Le dossier est désormais entre les mains du parquet national financier de Paris. Nous faisons confiance à la justice pour qu’elle mène son travail avec sérieux et indépendance. De notre côté, nous restons mobilisés. Nous continuons à informer, à sensibiliser. Et j’en profite pour lancer un appel : si vous avez été témoin ou victime de pratiques similaires, ou si vous êtes une organisation engagée dans la lutte contre la corruption, votre témoignage ou votre action peuvent être précieux.
Vous pouvez nous écrire à l’adresse mail : contact@restitution-afrique.org
Laguinee.info