mardi, avril 1, 2025
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Libération du capitaine Moussa Dadis Camara…(Tibou Kamara)

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Après le temps de la justice, l’heure des impératifs et de tous les possibles !

Toute affaire chargée de relents politiques et impliquant, peu ou prou, des dirigeants d’un moment clé de l’histoire d’un pays ne saurait connaître un traitement exclusivement judiciaire. L’issue définitive revêt nécessairement une connotation politique, pouvant se traduire par un acte de grâce, une loi d’amnistie ou, à défaut, un « arrangement » avec la justice. Il en a toujours été ainsi, à toutes les époques et pour toutes les générations. Et nous y voilà !
La justice, dans toute sa plénitude, est-elle au-dessus ou en deçà de la politique dans ses multiples déclinaisons ? Bien malin qui pourrait répondre à cette question à double tranchant.
Dans le quotidien des hommes ordinaires, chacun connaît ses limites et se conforme à la rigueur des lois. En revanche, dans l’arène politique, les « grands » n’ont souvent en tête que leurs objectifs, quitte à les réaliser à tout prix. De quel côté serait-on tenté de se ranger ?

En Guinée, chaque événement est un fragment d’histoire et rappelle la difficulté à forger un consensus sur les sujets les plus épineux. Si les contradictions sont inhérentes aux sociétés humaines, elles s’expriment ici avec une véhémence et une animosité exacerbées. La grâce présidentielle accordée au capitaine Moussa Dadis Camara, comme il fallait s’y attendre, ne laisse personne indifférent. Les faits pour lesquels il a été jugé et condamné sont chargés d’émotion, et l’homme lui-même n’est pas un inconnu : ayant dirigé la Guinée de décembre 2008 à 2009, il était attendu à la barre pour répondre d’accusations horribles qui ont longtemps pesé sur sa vie.
Dadis Camara a toujours souhaité avec insistance et obstination comparaître, afin de « dire sa part de vérité » et de laver éventuellement son honneur, ainsi que celui de sa famille. Il espérait une justice équitable, autant pour lui que pour les victimes. La quête de vérité et le besoin de justice ont été les seuls points communs entre les protagonistes de ce drame national.

Le procès tant attendu sur la tragédie du 28 septembre 2009, réclamé à cor et à cri, a finalement eu lieu après l’avènement du pouvoir militaire en septembre 2021.
Mais le verdict a laissé un goût d’inachevé et une bonne partie de l’opinion sur sa faim. Il y a eu comme un air de précipitation dans l’instruction du dossier, et des soupçons d’une justice à deux vitesses, faite pour les uns, dirigée contre les autres. Les incriminés ont paru triés sur le volet. Des maillons de la chaîne de commandement manquaient à l’appel ou se sont littéralement évaporés dans la nature ; tandis que les auteurs, les exécutants qui ont tué et violé au stade et alentours sont restés introuvables. Les manquements constatés ont entaché le travail des juges et affaibli la portée des sentences. Est-il juste alors de maintenir en prison certains condamnés tandis que d’autres personnes suspectées ou pointées du doigt courent toujours ?
La solution retenue, jugée équitable, vise à apaiser les victimes et leurs familles pour sortir d’un engrenage juridico-politique explosif, où équité et justice relèvent parfois du mirage.
Malgré tout, il y a des leçons d’histoire et de vie à tirer de ce feuilleton à multiples rebondissements : nul n’est au-dessus de la loi, et la justice aura toujours son mot à dire ; l’impunité n’est garantie pour personne dans la durée ; tôt ou tard, chacun sera rattrapé par son histoire.

LA RELIGION DU PARDON ET LE CULTE DE LA CLÉMENCE

Un verdict clôt une procédure mais n’en est pas toujours l’épilogue : il ouvre parfois la voie à des solutions extrajudiciaires, influencées par des contingences politiques, sociales ou historiques. La loi, faite par et pour les hommes, s’adapte aux époques et aux exigences du moment. Une fois énoncée, même en cas de désaccord ou de perception d’injustice, on s’incline devant son autorité. Toutefois, tous savent qu’elle ne constitue jamais une fin en soi.
En Guinée, l’opinion publique, bien que assoiffée de justice, cède souvent à la compassion pour les accusés. On invoque le pardon, on presse les juges à l’indulgence, et les politiques à l’empathie. Comme s’il fallait, après le jugement, « passer à autre chose ».
Une enquête d’opinion aurait probablement révélé que peu de Guinéens se réjouissaient des démêlés judiciaires du capitaine Moussa Dadis Camara – et encore moins soutenaient son maintien en détention sous des conditions à la fois drastiques et dégradantes.
Sa libération n’agite que le milieu des juristes et défenseurs des droits humains, tatillons sur la procédure et intransigeants sur les principes.
La majorité des citoyens – les profanes – saluent quant à eux un dénouement « heureux » et réclament la libération d’autres figures encore incarcérées, qu’il s’agisse de l’affaire du 28 septembre ou d’autres dossiers en instance devant les juridictions nationales. Les noms de personnalités de l’ancien régime reviennent inlassablement : Kassory Fofana, Amadou Damaro Camara, Ibrahima Kourouma…
Tout le monde semble désormais privilégier, à ce stade, la réconciliation nationale et la paix sociale à une justice qui, comme toute institution humaine, ne saurait être parfaite – et dont les décisions, fondées ou non, risquent de diviser la société et d’attiser les tensions politiques et sociales.

Tant qu’il était dans un rôle circonscrit de redresseur de torts et de justicier exigeant et implacable, l’actuel homme fort du pays ne pouvait saisir certaines complexités d’un Etat éprouvé, d’une nation en devenir. Maintenant qu’il se mue, peu à peu, en politique et a l’âme d’un candidat potentiel à la magistrature suprême, il réalise qu’il lui faudra séduire et plaire, lâcher du lest, accepter des compromis et se résoudre à des concessions hier encore impensables.
Il faudra donc s’attendre à d’autres actes et mesures rompant avec les premiers pas et s’écartant de certains engagements « matinaux ». La raison d’État, toujours plus forte que les passions humaines, voit la « Realpolitik » supplanter les professions de foi et assouplir des postures que l’on croyait jusque-là rigides.
« Alea jacta est » : le sort en est jeté. Désormais, plus rien ne doit surprendre, car il faut s’attendre à tout. Même ce qui relève de l’impossible.

Tibou Kamara

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