La grâce présidentielle accordée à l’ex-capitaine Moussa Dadis Camara continue de susciter des réactions en Guinée. Pour Maître Amadou DS Bah, président de l’Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH), cette décision était déjà planifiée par les autorités du Conseil National du Rassemblement pour le Développement (CNRD). Il affirme que cette mesure aurait été préparée bien avant même le début du procès, laissant présager une issue politique plutôt qu’une véritable quête de justice.
Dans un entretien accordé à Reflet Guinée, Me DS Bah a exprimé son absence de surprise face à cette annonce, affirmant que cette issue était attendue depuis le début du procès. « Écoutez, moi je ne suis pas surpris puisque depuis que cette affaire a commencé, depuis que le procès a été ouvert, nous vivons en réalité sous la hantise d’un décret« , a-t-il déclaré. Il explique que de nombreuses personnes, dont lui-même, avaient anticipé une intervention politique destinée à contourner la justice.
Le président de l’OGDH estime que cette grâce présidentielle constitue une « solution politique » préjudiciable aux victimes. « Nous savions tous qu’à un moment ou à un autre, une issue politique allait être envisagée, malheureusement au détriment des victimes. C’est ce qui s’est produit aujourd’hui », a-t-il martelé. Il rappelle que les nombreuses mobilisations de la société civile et des organisations internationales avaient pour but d’éviter une telle manipulation du système judiciaire, mais que ces efforts semblent aujourd’hui anéantis.
Un timing controversé
Au-delà du principe même de la grâce, Me DS Bah dénonce également le moment choisi pour cette décision, qui intervient seulement 48 heures après l’annonce de l’indemnisation des victimes du massacre du 28 septembre 2009. « Ce qui nous a déçus, c’est le fait que cette grâce arrive si peu de temps après la publication du décret sur l’indemnisation des victimes. Cela vient saper tous les efforts consentis pendant plus d’une décennie pour rendre notre justice plus effective et indépendante », a-t-il déploré.
Il souligne que cette simultanéité des annonces semble être une manœuvre destinée à calmer l’opinion publique, en donnant d’une main une compensation financière aux victimes tout en relâchant, de l’autre, l’un des principaux accusés du massacre. « Cela donne l’impression que l’indemnisation n’était qu’un écran de fumée pour mieux faire accepter la libération de Dadis Camara. C’est une insulte aux victimes et à la justice », s’insurge-t-il.
Un revers pour la justice guinéenne
Selon Me DS Bah, cette décision compromet la crédibilité du système judiciaire guinéen et affaiblit la lutte contre l’impunité. « Depuis le départ, ce plan était déjà dans les cartons du CNRD. Après le procès, la grâce était prévisible« , a-t-il indiqué, soulignant que cette issue relève davantage d’une volonté politique que d’une justice indépendante.
Il rappelle que le procès de Moussa Dadis Camara et de ses coaccusés constituait un moment historique pour la Guinée. « Pour la première fois, un ancien chef de l’État était jugé pour des crimes graves commis sous son régime. C’était un espoir pour toutes les victimes de violences d’État. Aujourd’hui, cet espoir est piétiné », regrette-t-il.
Pour l’OGDH, ce développement représente un recul dans la quête de justice et de responsabilisation des auteurs de crimes graves en Guinée. Me DS Bah regrette que cette affaire, qui aurait pu être une jurisprudence historique pour la justice guinéenne, se conclue de manière aussi politique, mettant ainsi à mal les espoirs d’une justice impartiale et efficace. « Comment expliquer aux victimes que celui qu’ils considéraient comme un des principaux responsables de leurs souffrances est libre aujourd’hui, sans avoir purgé une seule peine ? », questionne-t-il avec amertume.
Il appelle ainsi la société civile et les institutions internationales à ne pas baisser les bras et à continuer à exiger une véritable justice pour les victimes des violences de 2009. « Nous devons rester vigilants et poursuivre la lutte pour qu’en Guinée, la justice ne soit plus un instrument au service du pouvoir politique, mais bien un pilier de l’État de droit », conclut-il.
IAC, pour laguinee.info