En Tunisie, les nuits présidentielles sont décidément agitées. Dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 mars, Kaïs Saïed a, sans fournir la moindre explication, démis de ses fonctions le Premier ministre Kamel Madouri. Ce technocrate, nommé en août 2024 lors d’un vaste remaniement, n’aura tenu que quelques mois à la tête du gouvernement. Il est aussitôt remplacé par Sarra Zaafrani Zenzri, ministre de l’Équipement, tandis que le reste du cabinet demeure inchangé.
Aucune justification officielle, aucun commentaire. Juste une annonce laconique de la Présidence, confirmant une habitude bien rodée : gouverner par décret, dans un style abrupt et sans appel.
Pouvoir sans partage, décisions sans explication
Ce limogeage rappelle un autre, survenu le 6 février dernier, lorsque la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, avait été évincée en pleine nuit. Là encore, aucune explication, mais un remplacement immédiat par la magistrate Michket Slama Khaldi. Depuis 2021, Kaïs Saïed s’est octroyé des pouvoirs sans limites, s’appuyant sur une Constitution révisée à sa mesure. Il gouverne seul, révoque ministres et magistrats à sa guise, sans avoir à s’en justifier.
L’opposition et les ONG, tunisiennes comme étrangères, dénoncent une régression inquiétante des libertés. Depuis deux ans, des dizaines d’opposants, des hommes d’affaires et des journalistes croupissent en prison, symbole d’un climat politique toujours plus tendu.
Économie en berne, alliances stratégiques
Si la politique est verrouillée, l’économie, elle, vacille. En 2024, la Tunisie affichait une croissance anémique de 0,4 %, un chômage grimpant à 16 % et une dette flirtant avec les 80 % du PIB. Kaïs Saïed a pourtant claqué la porte aux négociations avec le Fonds monétaire international, refusant un prêt de 2 milliards de dollars en échange de réformes touchant aux subventions étatiques.
Pour tenir, le pays mise sur son voisin algérien, qui lui fournit hydrocarbures et crédits à prix d’ami. Un soutien précieux, mais qui interroge sur l’avenir : combien de temps cette dépendance pourra-t-elle compenser une économie à bout de souffle ?
Un président seul aux commandes
Réélu en octobre 2024 avec plus de 90 % des suffrages, dans un scrutin marqué par une abstention record (moins de 30 %), Kaïs Saïed continue d’imprimer sa marque : une gouvernance solitaire, des décisions abruptes et une économie sous perfusion.
Le limogeage de Kamel Madouri s’inscrit dans cette logique. Une décision brutale, prise en pleine nuit, qui laisse planer une question : qui sera le prochain à tomber ?
Laguinee.info