Le ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD) a récemment procédé à l’évaluation des partis politiques en Guinée, entraînant la suspension d’une trentaine d’entre eux. Une décision qui suscite des interrogations et des critiques, notamment de la part de Me Mohamed Traoré, ancien bâtonnier du Barreau de Guinée et démissionnaire du Conseil national de la Transition (CNT).
Parmi les motifs avancés par le MATD, deux éléments méritent une attention particulière : la « non validité » des agréments et « l’existence d’un conflit interne empêchant le bon fonctionnement du parti ».
Une « non validité » des agréments : une notion floue
Selon les articles 7 à 19 de la Charte des partis politiques, un parti politique est régulièrement constitué et autorisé à exercer ses activités quand il remplit certaines conditions et fournit un dossier comportant des pièces indiquées dans le même texte. Avant d’accorder l’autorisation d’existence à un parti politique, le ministre chargé de l’Intérieur fait procéder aux enquêtes, investigations et vérifications nécessaires pour constater la conformité ou la non-conformité du dossier à la réglementation.
Dès lors, Me Mohamed Traoré s’interroge sur son compte Facebook: « Comment une autorisation d’existence d’un parti politique (agrément) accordée à un parti politique peut être non valide après toute cette procédure ? Lorsqu’un agrément n’est pas valide, est-ce la suspension ou la dissolution qui s’impose ? Comment cet argument peut être régularisé ? »
Ce flou juridique et administratif soulève des préoccupations. Un agrément étant délivré après une enquête approfondie, comment peut-il être remis en cause après coup ? Si des irrégularités existent, la voie la plus logique ne serait-elle pas la régularisation plutôt qu’une suspension brutale ?
Conflits internes : un critère contestable
L’autre argument avancé par le MATD concerne les conflits internes au sein des partis politiques. Selon l’administration, ces dissensions entraveraient le bon fonctionnement des formations concernées. Or, Me Mohamed Traoré rappelle que : « Outre le fait que cet élément n’est pas visé par la Charte des partis politiques, il faut admettre que les conflits internes sont inhérents au fonctionnement d’un parti politique. Si le conflit s’aggrave au point d’entraver le fonctionnement du parti politique, il se règle, en pratique, par une scission, le départ de certains membres pour fonder un autre parti politique ou pas, etc. Car il s’agit souvent d’un rapport de force. Et la position des militants est très importante dans ce type de conflits. »
Dans l’histoire politique, nombreux sont les partis ayant connu des crises internes, sans pour autant être inquiétés par les autorités administratives. L’exemple ivoirien du Front Populaire Ivoirien (FPI) est parlant : lorsque Pascal Affi N’Guessan et Laurent Gbagbo se sont opposés sur la direction du parti, ce dernier a choisi de fonder une nouvelle formation, le PPA-CI, plutôt que de livrer un bras de fer interminable.
Me Mohamed Traoré illustre cette dynamique : « En Côte d’Ivoire, lorsque Pascal Affi N’Guéssan a voulu s’emparer du Front Populaire Ivoirien (FPI), co-fondé par Laurent Gbagbo, ce dernier a choisi de créer un autre parti, le PPA-CI alors qu’il aurait pu chercher à récupérer ‘son parti’. Mais il a préféré laisser Pascal Affi N’Guéssan partir avec ‘l’enveloppe vide’, c’est-à-dire l’appellation ‘FPI’, en gardant le contenu, c’est-à-dire les militants, pour le paraphraser. »
Pour Me Traoré, même en cas d’impasse, il existe des solutions internes ou judiciaires : « En cas de conflit interne dans un parti, l’ultime recours pourrait être la justice encore que cela soit très délicat parfois. En prenant, par exemple, l’exclusion d’un membre, comment pourrait s’exécuter une décision judiciaire qui ordonne sa réintégration ? »
Cependant, il met en garde contre toute ingérence de l’État dans les querelles internes des partis : « Mais le plus important, c’est d’éviter à tout prix que l’Administration intervienne dans un conflit au sein d’un parti politique ou se fonde sur un conflit interne pour prendre une mesure contre lui. C’est dangereux pour la démocratie. »
Une menace pour la démocratie
Au-delà des justifications avancées, cette vague de suspensions interroge sur la conception même du pluralisme politique en Guinée. L’administration ne devrait pas se positionner en arbitre des tensions internes des partis ni en juge de la légitimité de leur agrément une fois qu’il a été accordé.
En démocratie, l’existence de partis politiques aux sensibilités diverses est un gage de vitalité politique. Toute décision administrative restreignant cet espace doit être prise avec précaution et dans le strict respect des textes en vigueur. Faute de quoi, elle pourrait être perçue comme une tentative de mise sous tutelle du jeu politique.
Laguinee.info