Après leur départ de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en janvier 2024, le Mali, le Burkina Faso et le Niger viennent d’annoncer leur retrait de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Cette nouvelle décision marque un tournant majeur dans leur politique étrangère et leur volonté d’affirmation souveraine.
Si ces choix s’inscrivent dans une dynamique de rupture avec les institutions multilatérales perçues comme inféodées à l’Occident, ils soulèvent néanmoins de nombreuses questions : quelles en seront les conséquences concrètes ? Comment ces pays comptent-ils combler le vide laissé par ces retraits successifs ? Et surtout, vers quel modèle de coopération se dirigent-ils ?
Une rupture politique et symbolique avec l’ordre multilatéral
Le départ de l’OIF n’est pas un simple acte administratif. Il s’agit d’un signal politique fort, un acte de défiance vis-à-vis d’une organisation perçue comme un instrument d’influence de la France et de ses alliés.
Dans leur communiqué officiel, les trois États ont justifié leur décision en affirmant que la Francophonie « s’est écartée de ses principes » et a contribué à « justifier des sanctions » contre leurs régimes militaires. Cette déclaration fait écho à des tensions de plus en plus marquées entre ces pays et les institutions internationales, notamment l’Union européenne et certaines agences de l’ONU.
Ce retrait s’inscrit dans une stratégie globale de distanciation vis-à-vis des anciennes puissances coloniales et de recherche d’une souveraineté totale. Depuis les coups d’État qui ont porté au pouvoir les juntes militaires dans ces pays, les relations avec la France et l’Europe se sont considérablement détériorées, au profit d’un rapprochement avec des puissances comme la Russie ou la Turquie.
En quittant l’OIF, les États de l’Alliance des États du Sahel (AES) affirment donc leur volonté de redéfinir leurs relations internationales sur de nouvelles bases. Mais cette décision n’est pas sans conséquences.
Les répercussions d’un retrait aux implications multiples
1. Un risque d’isolement diplomatique accru
L’OIF n’est pas une simple organisation culturelle : elle est aussi un espace diplomatique où les pays francophones peuvent discuter de leurs intérêts communs et peser sur la scène internationale. En s’en retirant, le Mali, le Burkina et le Niger se privent d’un levier d’influence important.
Ce départ pourrait détériorer davantage leurs relations avec certains États africains encore attachés à la Francophonie. Des pays comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire ou le Bénin restent très engagés au sein de l’organisation et pourraient voir cette décision comme un acte de rupture.
La Francophonie servait aussi de passerelle pour des coopérations avec l’Europe et le Canada, notamment en matière de formation, de développement économique et d’appui institutionnel. Leur sortie pourrait donc limiter ces opportunités.
À moyen terme, ces pays risquent de voir leur voix se marginaliser sur certaines grandes questions internationales, notamment celles qui nécessitent des alliances fortes dans des forums comme l’ONU ou l’Union africaine.
2. Un impact sur l’éducation et la coopération culturelle
L’OIF joue un rôle essentiel dans la promotion de la langue française et dans l’éducation en Afrique. Plusieurs programmes d’alphabétisation, de formation des enseignants et d’échanges universitaires sont financés par l’organisation.
Avec ce retrait, des initiatives éducatives soutenues par l’OIF risquent d’être suspendues, privant ainsi ces pays de financements et d’expertises précieuses.
Les enseignants et étudiants pourraient être affectés par la perte de certaines opportunités d’échanges et de formation.
Sur le plan culturel, les artistes et créateurs de ces pays perdront un accès direct aux réseaux et financements de la Francophonie, notamment en matière de promotion de la littérature, du cinéma ou des arts.
Toutefois, ces États pourraient compenser cette perte en renforçant la valorisation de leurs langues nationales et en développant des partenariats culturels avec d’autres nations non francophones, notamment en Afrique et au Moyen-Orient.
3. Une nécessité de trouver des alternatives
Pour éviter un vide institutionnel et culturel, le Mali, le Burkina et le Niger devront impérativement se tourner vers d’autres formes de coopération :
Un renforcement des relations avec des puissances émergentes : La Russie, la Chine, la Turquie et d’autres pays émergents se présentent comme des alternatives à la coopération occidentale. On observe déjà un rapprochement militaire et économique avec la Russie, qui pourrait s’étendre au domaine éducatif et culturel.
Une coopération intra-africaine à renforcer : L’AES, qui se veut une alternative à la CEDEAO, devra accélérer la mise en place de structures propres pour pallier le manque de soutien international. La création d’une organisation culturelle et éducative commune pourrait être une option.
Une promotion accrue des langues nationales : La sortie de la Francophonie pourrait être l’occasion d’un véritable débat sur le rôle des langues locales dans les systèmes éducatifs. Certaines voix souverainistes appellent à une africanisation plus poussée des programmes scolaires et à la valorisation des langues comme le bambara, le mooré ou le haoussa.
Vers une reconfiguration du paysage diplomatique africain ?
Le départ de l’OIF par les trois États du Sahel s’inscrit dans une transformation plus large des relations internationales en Afrique de l’Ouest. Cette dynamique met en évidence plusieurs tendances :
L’affaiblissement des organisations traditionnelles : Après la CEDEAO, c’est maintenant la Francophonie qui est remise en question. Ces institutions, perçues comme des instruments d’ingérence occidentale, risquent de perdre leur influence dans une partie du continent.
L’émergence de nouveaux blocs géopolitiques : L’AES pourrait, à terme, se structurer en un pôle de coopération autonome, cherchant de nouveaux partenaires et s’éloignant de la sphère d’influence française.
Une montée du nationalisme et de l’anti-impérialisme : Ce retrait est aussi un signal adressé aux populations, qui, dans ces trois pays, expriment de plus en plus un rejet des anciennes puissances coloniales et un désir d’autonomie totale.
La grande question reste de savoir si cette stratégie permettra aux États de l’AES de véritablement renforcer leur souveraineté ou si elle risque de les priver d’appuis essentiels, notamment en matière de développement, d’éducation et de diplomatie.
Ce qui est certain, c’est que l’Afrique de l’Ouest entre dans une nouvelle ère de recomposition politique et diplomatique. Entre ruptures et nouvelles alliances, le Mali, le Burkina Faso et le Niger tentent de tracer une nouvelle voie. Mais à quel prix ?
Laguinee.info