La Guinée ! Ce pays où l’on aime tant encourager l’initiative privée… du moins en théorie. Car en pratique, il semble que tout projet qui émerge avec un peu trop d’enthousiasme doive forcément rencontrer un mur, histoire de rappeler à ses initiateurs que rêver grand est une activité à haut risque.
Le Festival Lafidi en a fait l’amère expérience. Alors qu’il était à son dernier jour, après des efforts considérables de jeunes organisateurs passionnés, une urgence nationale a soudain surgi : un terrassement devait être effectué immédiatement, sans attendre une seule journée de plus. Il fallait donc, sans discussion possible, mettre un terme à l’événement, faire remballer les stands, forcer les entrepreneurs à plier bagage, et disperser les festivaliers. Une affaire de la plus haute priorité, assurément.
Un plat qui manque de chance
Le Lafidi, ce plat pourtant consensuel, n’a visiblement pas eu la chance de naître sous de meilleurs cieux. Pendant que nos voisins ivoiriens et sénégalais transforment leur gastronomie en fierté nationale et en produit d’exportation – le Thieboudienne sénégalais est même inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO – chez nous, un festival dédié à l’un de nos plats emblématiques est traité comme un obstacle gênant.
On aurait pu imaginer un soutien des autorités, des discours de valorisation, voire une ambition commune : faire du Lafidi un symbole national et un levier de nation branding. Mais non. Ici, l’énergie est plutôt mise à trouver des raisons de bloquer, de décourager, de rappeler subtilement aux jeunes entrepreneurs que l’initiative privée doit toujours rester sous contrôle… ou mieux encore, ne jamais trop prospérer.
Et si des pays étrangers avaient été invités ?
Imaginons un instant que les organisateurs aient eu l’idée malheureuse, au vu du contexte d’inviter des représentants de pays étrangers à cet événement. Quelle honte cela aurait été !
Nos invités auraient été accueillis par un festival amputé, des exposants sommés de déguerpir avec leurs marchandises, et une organisation anéantie par une décision sortie de nulle part. Quel message aurions-nous envoyé au monde ? Que nous sommes incapables de soutenir nos propres initiatives ? Que nous considérons nos traditions culinaires comme si insignifiantes qu’elles peuvent être balayées en quelques heures pour cause de terrassement ?
Pendant que d’autres pays transforment leurs spécialités locales en outils de diplomatie culturelle et en opportunités économiques, nous, nous les expulsons du terrain avant même qu’elles ne prennent racine.
L’innovation, une menace à contenir?
Il faut dire que ce n’est pas une première. Combien de jeunes porteurs de projets ont vu leurs idées freinées, non pas par manque de talent ou de travail, mais par des décisions arbitraires, des lenteurs administratives, ou des manœuvres aux intérêts inavoués ?
- Un entrepreneur ambitieux ? Il devient soudain une cible.
- Un événement qui prend de l’ampleur ? Il dérange.
- Un projet qui pourrait briller à l’international ? Il est saboté bien avant d’en arriver là.
C’est une mécanique bien huilée, qui s’applique avec une régularité fascinante. À croire que nous avons trouvé la formule parfaite pour empêcher l’émergence d’un écosystème entrepreneurial dynamique.
Une question de priorités
Au fond, tout est une question de choix. La Guinée aurait pu décider de transformer ses traditions en atouts économiques, de soutenir ses créateurs et de construire une véritable politique de valorisation culturelle. Mais il semblerait que nous ayons pris une autre voie : celle où chaque initiative est vue comme un danger potentiel, chaque succès comme une anomalie à rectifier, et chaque ambition comme un excès d’optimisme à tempérer.
Alors, combien de temps encore allons-nous jouer contre nous-mêmes ? Combien de jeunes talents vont-ils se heurter à ce mur invisible mais bien réel, avant de comprendre que, peut-être, leur avenir se trouve ailleurs ?
Le Lafidi, lui, survivra. Il continuera d’être dégusté dans les foyers, de génération en génération. Mais l’opportunité de le transformer en symbole national et en produit d’exportation, elle, vient peut-être de s’évaporer sous les coups de pelleteuse d’une décision aussi précipitée qu’inexplicable. C’est là toute la différence entre ceux qui avancent… et ceux qui s’enterrent eux-mêmes.
Laguinee.info