La récente condamnation d’Aliou Bah, président du Mouvement Démocratique Libéral (MoDeL), à deux ans de prison ferme continue de susciter des réactions, notamment sur la question des disparitions en Guinée. Me Mohamed Traoré, avocat, a exprimé ses préoccupations sur les répercussions de cette décision judiciaire, qui, selon lui, risque de mettre en danger des personnes disparues, ainsi que ceux qui pourraient être amenés à aborder ces disparitions publiquement.
Dans une prise de parole, Me Traoré a souligné que cette condamnation constitue un recul majeur pour la démocratie, l’état de droit et la liberté d’expression en Guinée. Il a ajouté que cette décision met en danger des personnalités telles qu’Oumar Foniké Menguè Sylla, Billo Hadjass, Habib Marouane Camara, et Saadou Nimaga, dont les disparitions n’ont toujours pas été élucidées. Selon l’avocat, cette condamnation implique également un message dangereux : celui que l’État ne peut être tenu responsable de ces disparitions.
« La condamnation de Aliou Bah signifie que personne ne doit désormais imputer à l’État une quelconque responsabilité dans leur enlèvement et leur disparition. C’est comme si on contraignait tout le monde à s’en tenir désormais à l’une ou l’autre hypothèse présentée par deux ministres de la Transition. On ne doit pas réfléchir, on ne doit pas analyser, on ne doit faire aucune sorte de déduction sur la base d’éléments fournis par les témoins de ces événements douloureux pour les familles et les amis des victimes », a-t-il affirmé.
Me Traoré a ensuite pointé du doigt les déclarations de certains membres du gouvernement, qui ont alimenté la confusion autour des disparitions. Un ministre avait notamment déclaré que des adultes avaient le droit de disparaître, une affirmation qui a choqué l’opinion publique. Un autre ministre a quant à lui soutenu que des malfrats déguisés en militaires étaient responsables des enlèvements. Ces déclarations, selon l’avocat, laissent peu de place à toute autre interprétation : « Le citoyen doit tenir pour vraie l’une ou l’autre de ces deux déclarations. En tout cas, pas les deux ».
L’avocat a également insisté sur le fait que les témoignages des témoins des disparitions demeurent sans réponse. « Que dire alors des témoignages concordants sur les circonstances de l’enlèvement des trois premiers ? Ont-ils été sérieusement démentis ? », a-t-il questionné, soulignant que les témoins avaient parlé à visage découvert et sans crainte.
Cependant, selon Me Traoré, les autorités ont clairement fait passer le message qu’il ne faut plus évoquer ce sujet : « Désormais, personne ne doit évoquer ce sujet. En terme de message, on ne peut être plus clair et c’est bien compris ».
L’avocat a rappelé que l’État a une responsabilité fondamentale envers la sécurité de tous ses citoyens, qu’ils soient des figures publiques ou non, et que cette responsabilité ne saurait être éludée sous aucun prétexte. « Oumar Sylla, Billo Bah, Habib Marouane Camara, Saadou Nimaga ont beau être des démons, des diables, des monstres, ils sont et demeurent des citoyens guinéens. L’État a un devoir envers eux sur le plan de la sécurité et d’autres droits et libertés », a-t-il affirmé.
Pour Me Traoré, la condamnation d’Aliou Bah semble avoir un rôle dissuasif : « C’est ce qu’Aliou Bah a voulu dire d’une autre façon. Mais mal lui en a pris. C’est comme si on voulait que son cas serve d’exemple à d’autres qui voudraient aborder le même sujet dans les mêmes termes ». L’avocat dénonce ce qu’il considère comme une tentative de faire taire les voix critiques, et une volonté d’imposer le silence et l’oubli sur les disparitions.
Il a conclu en avertissant que désormais, toute prise de parole sur ces sujets devra être soigneusement réfléchie : « Dorénavant, il faut prendre d’infinies précautions de langage pour s’exprimer sur ce sujet ».
Laguinee.info