Chaque année, le 5 octobre, la Guinée célèbre la Journée internationale des enseignants. Dans les discours officiels, on parle de « reconnaissance », de « progrès » et de « réformes ». Pourtant, derrière ces mots bienveillants se cache une réalité crue : celle de milliers d’enseignants guinéens qui vivent et travaillent dans des conditions déplorables, malgré quelques avancées qui ne font que masquer les lacunes profondes d’un système éducatif à l’agonie.
Qu’on se le dise, l’enseignant guinéen, en dépit de sa mission cruciale, est l’un des travailleurs les plus maltraités du pays. Son salaire ? À peine suffisant pour joindre les deux bouts. À Conakry, capitale dévorée par la flambée des prix, la rémunération d’un enseignant de base ne permet même pas de couvrir les besoins alimentaires d’une famille. Et que dire des enseignants des zones rurales, ceux qui se battent au quotidien dans des écoles sans toits, avec des tableaux ébréchés et des salles de classe surpeuplées ? Ces héros oubliés sont contraints de mener une double, voire une triple vie pour survivre. Enseignement le matin, commerce l’après-midi, ouvrier la nuit, pour ainsi le dire. Voilà ce que devient le quotidien d’un enseignant guinéen.
Certes, le gouvernement a pris des mesures pour augmenter légèrement les salaires ou octroyer quelques primes. Mais ces miettes suffisent-elles ? Non. Ces mesures relèvent d’une hypocrisie profonde : on éponge les plaies sans jamais les guérir. Les récentes « avancées » ne sont que des pansements sur une gangrène sociale et économique. Comment peut-on exiger l’excellence dans l’éducation lorsqu’on abandonne ceux qui la portent ?
Les enseignants guinéens sont aussi des victimes de l’isolement. Dans certaines régions, ils doivent parcourir des kilomètres à pied pour rejoindre leurs établissements. Le manque d’infrastructures et d’équipements est alarmant. Comment enseigner sans manuel ? Comment inspirer sans outils pédagogiques ? La précarité des conditions de travail ne fait qu’alimenter la fuite des cerveaux. Nombreux sont ceux qui, fatigués d’attendre des changements concrets, quittent la profession ou migrent vers d’autres pays à la recherche de meilleures opportunités ou simplement, ils livrent à d’autres activités pour survivre.
L’État guinéen, pourtant conscient de la nécessité d’une éducation de qualité, traite ses enseignants comme des citoyens de seconde zone. La formation continue, indispensable pour améliorer la qualité de l’enseignement, est quasi inexistante. Les enseignants sont laissés pour compte, formés sur des systèmes obsolètes, et sont forcés d’improviser face aux défis modernes de l’éducation.
Et que dire de la protection sociale ? Maladies, décès, accidents de travail… ces drames touchent aussi les enseignants, mais sans couverture sociale digne de ce nom, ils sont laissés à eux-mêmes, abandonnés par un État qui les considère comme des variables d’ajustement budgétaire.
Aujourd’hui, si les enseignants guinéens se plaignent, dénoncent , c’est parce qu’ils n’ont plus rien à perdre. Chaque grève précédente a été un cri de détresse, un appel désespéré à l’aide. Mais, comme toujours, ces appels sont étouffés sous les promesses creuses de réformes futures. On parle d’investissements dans l’éducation, mais ces fonds ne parviennent jamais à ceux qui sont au cœur du système. Les enseignants demeurent invisibles, leurs souffrances reléguées au second plan.
Si la Guinée souhaite réellement un avenir meilleur, il est temps de cesser de jouer avec l’éducation. Il est temps de valoriser, enfin, ceux qui sont les véritables architectes de notre société : nos enseignants. Tant que leurs conditions de vie et de travail ne seront pas améliorées de manière substantielle, nous ne ferons que construire un avenir sur des fondations fragiles, prêtes à s’effondrer à la moindre crise.
Les enseignants guinéens méritent mieux. Ils méritent respect, reconnaissance et un soutien véritable, et non ces demi-mesures qui ne font que retarder l’inévitable effondrement du système éducatif. Tant que l’État se contentera de réformettes, l’éducation guinéenne restera un champ de ruines.