Les commémorations du massacre de Conakry se tiennent aujourd’hui, en Guinée, quelques semaines après le verdict du 31 juillet qui a vu condamnés à de lourdes peines de prison d’anciens hauts responsables.
- La FIDH, l’OGDH et l’AVIPA demandent aux juges d’appel de retenir la garantie de l’État Guinéen pour le paiement des sommes allouées aux victimes
- Les trois ONG s’inquiètent du climat délétère dans lequel va se poursuivre ce procès historique.
Conakry, 28 septembre 2024. La 15e journée de commémoration du massacre de Conakry, en Guinée, se tient aujourd’hui. Elle revêt un caractère particulier, après quelques semaines du verdict prononcé le 31 juillet dernier et qui a vu condamnés à de lourdes peines de prison pour crime contre l’humanité d’anciens hauts responsables, notamment Moussa Dadis Camara, ancien président et chef du CNDD, la junte au pouvoir à l’époque. Alors que tous les condamnés sauf un ont fait appel, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et son organisation membre en Guinée, l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme et du citoyen (OGDH), ainsi que leur partenaire, l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), ont décidé de demander aux juges d’appel de se prononcer sur des points essentiels concernant les réparations dues aux victimes et la situation des disparu⋅es.
« Le verdict a rappelé que personne n’est au-dessus des lois, du respect des droits et de la dignité humaine. Pour la première fois, un 28 septembre, nous pouvons dire que nous ressentons une relative satisfaction, même si la douleur subsiste et subsistera toujours, » déclare Me DS Bah, vice-président de l’OGDH et avocat coordinateur du collectif d’avocat⋅es des parties civiles. « Ce procès crucial entre dans une seconde phase. La FIDH, l’OGDH, l’AVIPA restent déterminées et mobilisées aux côtés des victimes pour contribuer à la lutte contre l’impunité et au renforcement de l’État de droit en Guinée ».
« Les réparations ne pourront jamais remplacer ce qui a été perdu, mais elles peuvent contribuer à restaurer la dignité des victimes et à leur permettre de reconstruire leur vie », rappelle Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA. « Nous demandons aux autorités de tenir leurs promesses en mettant en place les mécanismes nécessaires afin que les réparations soient versées à chaque victime dans les plus brefs délais. »
La question centrale des réparations
La FIDH, l’OGDH et l’AVIPA demandent spécifiquement que l’État soit solidairement condamné afin de garantir que les victimes soient effectivement dédommagées et indemnisées. Le jugement du 31 juillet, qui octroie des montants importants aux victimes, implique en effet que ce soient les personnes condamnées qui s’acquittent de ces montants. Les trois ONG demandent aussi que la décision judiciaire soit complétée avec la liste exhaustive des victimes à indemniser. Enfin, les trois ONG rappellent que la question du sort des disparu⋅es – ces hommes et ces femmes dont les corps n’ont jamais été retrouvés – doit être adressée. En particulier, toute la lumière doit être faite sur les fosses communes mentionnées pendant l’instruction.
Pour rappel, le 28 septembre 2009, le 28 septembre 2009, des manifestant⋅es pacifiques s’étaient réuni⋅es au grand stade de la ville pour demander une transition démocratique et la tenue d’élections libres. Des agents des forces de défense et de sécurité guinéennes, dont des membres de la garde présidentielle, ont alors orchestré un massacre. Au moins 156 personnes ont été tuées, des dizaines portées disparues. Plus d’une centaine de femmes ont été victimes de viol ou d’autres formes de violences sexuelles y compris de mutilations sexuelles et d’esclavage sexuel.
Dès 2009, l’OGDH et la FIDH ont mené des enquêtes sur les violations commises. En2010, la FIDH, l’OGDH et l’AVIPA se sont constituées parties civiles. Depuis septembre 2022, elles ont représenté plus de 730 victimes dans un procès emblématique pour la justice pénale internationale.
Contexte du procès en appel : rétrécissement de l’espace civique et démocratique
Les trois ONG estiment que la justice guinéenne a réussi jusqu’à présent à mener ce procès hors norme. Cependant, elles s’inquiètent du climat délétère dans lequel elles doivent désormais opérer alors que le contexte politique se durcit. Les autorités guinéennes s’emploient à restreindre l’espace civique en réprimant violemment toute manifestations et en multipliant les arrestations et les disparitions forcées parmi les leaders de la société civile et même parmi les forces de défense et de sécurité,Les attaques contre les libertés fondamentales — d’expression, d’association et de presse – atteignant un niveau très inquiétant.
« Ce procès, par sa portée politique et pédagogique, doit marquer un tournant décisif dans l’histoire de la Guinée en brisant le cycle de l’impunité pour les violations graves des droits humains qui sont régulièrement commises depuis 1958 par des forces de défense et de sécurité et de hauts responsables politiques, » insiste Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH, avocat des victimes et membre du Groupe d’action judiciaire de la FIDH. « Les autorités guinéennes doivent rétablir l’État de droit et le respect des droits humains en cette période de transition politique encore incertaine. »
La FIDH, ses organisations membres en Guinée, l’OGDH et Mêmes droits pour tous (MDT), ainsi que l’AVIPA vont mener, la semaine prochaine, une mission de plaidoyer à Conakry auprès de la société civile, des acteurs politiques et des institutions internationales pour faire part de leurs préoccupations et de leurs recommandations.