En plein cœur de Kankan, dans le quartier Senkenfara, un groupe d’artisans perpétue une tradition vieille de plusieurs siècles : la fonderie. Dans un environnement où le métal brûlant danse avec le feu, Siaki Kabiné Camara, maître fondeur, nous ouvre les portes de son monde, où chaque objet fabriqué raconte une histoire.
Il est à peine 8 heures du matin, mais déjà, la chaleur se fait sentir dans l’atelier de fonderie de Senkenfara, à Kankan. Au milieu des éclats métalliques et des flammes qui crépitent dans les fourneaux, un nuage de poussière flotte dans l’air, transportant avec lui une odeur âcre de métal brûlé et de bois calciné. Tout autour, le bruit sourd du marteau frappant contre l’enclume résonne, créant une cadence hypnotique, presque rituelle.
Assis près d’un feu rugissant, Siaki Kabiné Camara, maître fondeur depuis plus de trois décennies, se concentre sur sa tâche du jour. Devant lui, une marmite en devenir, une « biki » comme on l’appelle ici, prend forme sous ses mains expertes. Le métal fondu coule doucement dans le moule préparé à l’avance, comme de l’eau chaude remplissant une jarre. Le souffle de Camara, rythmé et précis, semble suivre le mouvement fluide de la matière en fusion.
« J’ai commencé ce métier grâce à un ami, si non moi, j’étais forgeron au départ », raconte-t-il d’une voix rauque, son visage marqué par des années de travail intense. « Mon ami avait des parents forgerons, je l’accompagnais souvent à l’atelier quand j’étais encore élève. Peu à peu, je me suis pris de passion pour ce travail. Cela fait aujourd’hui près de 35 ans que je fais de la fonderie», ajoute-t-il en essuyant la sueur qui perle sur son front.
Autour de lui, une trentaine d’apprentis s’activent dans une chorégraphie bien huilée. Les plus jeunes, encore novices, s’occupent des tâches simples : ils façonnent des couvercles ou des petits ustensiles. Plus loin, on peut voir des adultes manier avec assurance de lourds morceaux de métal pour en faire des marmites et des fourneaux. Les outils, rudimentaires mais efficaces, semblent eux aussi être empreints de ce passé riche, où chaque coup de marteau résonne comme un écho d’une histoire millénaire.
« Il n’y a pas d’électricité ici ! »
Malgré l’importance de cette activité pour la communauté, la fonderie à Kankan est loin d’être une partie de plaisir. Les difficultés sont omniprésentes, à commencer par le manque criant de matériel. « Nous devons aller chercher nous-mêmes le sable au fleuve, l’aluminium est difficile à trouver et nous devons acheter des fagots de bois pour alimenter les fourneaux, car il n’y a pas d’électricité ici», explique Camara en remuant doucement le feu avec une longue tige de fer. On entend le crépitement du bois qui se consume sous la chaleur, tandis que des étincelles volent dans l’air.
« Pendant la saison des pluies, c’est encore plus compliqué. Parfois, on ne peut même pas travailler. Pourtant, nous arrivons à produire environ 100 marmites par jour », dit-il en tapotant délicatement une marmite fraîchement sortie du moule, encore brûlante au toucher. Mais derrière cet effort, une amertume se fait sentir : « Si l’État nous aidait, on pourrait en faire bien plus. Avec du matériel moderne, on pourrait produire jusqu’à 500 marmites par jour», lance-t-il, le regard fixé sur les braises incandescentes.
Le manque de soutien, d’équipement et l’isolement n’ont pourtant pas découragé Kabiné Camara et ses camarades. L’atelier résonne encore de leurs efforts, jour après jour. «Aujourd’hui, ce travail me fait vivre. J’ai construit ma maison, je suis marié, et j’ai même acheté quatre motos grâce à la fonderie », raconte-t-il avec une fierté palpable. Son visage s’illumine brièvement, le temps d’un sourire.
« La concurrence avec les produits occidentaux »
Dans cet atelier, chaque objet façonné est non seulement utile, mais porteur d’une histoire. Pourtant, la modernité frappe à la porte, avec des produits manufacturés bon marché qui inondent les marchés locaux. « La concurrence avec les produits occidentaux est rude, mais nos clients savent apprécier la qualité de nos objets», confie Kabiné Camara, tout en caressant une marmite refroidie, sa surface lisse et brillante sous la lumière du soleil.
Les clients viennent toujours passer des commandes, preuve que malgré les difficultés, le savoir-faire de la fonderie conserve une place particulière dans la société. Des seaux, des marmites, des fourneaux… tout un arsenal d’ustensiles de cuisine indispensable à la vie quotidienne continue de sortir de cet atelier en plein air, sur la terre battue de Kankan.
Les oubliés de l’État !
À Kankan, dans cet atelier où le métal et le feu se rencontrent chaque jour, la fonderie se bat pour sa survie. Si le soutien de l’État reste une chimère pour l’instant, ces artisans résistent, armés de leur passion et de leur fierté. Leur travail n’est pas seulement une question de subsistance, mais une lutte pour préserver un héritage, une mémoire vivante forgée dans la chaleur et la poussière. Le bruit des marteaux sur le métal, le sifflement du feu et la danse des flammes continueront de résonner, tant qu’il restera des mains pour les guider.
De Kankan, Karifa Kansan Doumbouya, pour Laguinee.info