La Guinée, terre de richesse inestimable et d’une histoire aussi vibrante que complexe, semble être prisonnière d’un sombre destin. Ce pays, béni par des ressources naturelles abondantes et une culture profondément enracinée, aurait pu être un modèle de développement et de démocratie en Afrique de l’Ouest. Pourtant, depuis son indépendance en 1958, la Guinée semble condamnée à tourner en rond dans un cycle vicieux de dictature et d’oppression.
De Sékou Touré à Mamadi Doumbouya, en passant par Lansana Conté, Moussa Dadis Camara et Alpha Condé, chaque leader qui s’est emparé du pouvoir a suivi le même chemin : celui de la répression des libertés, de la consolidation d’un pouvoir absolu, et de l’écrasement des aspirations populaires. Ce cycle infernal a transformé la dictature en une sorte de tradition nationale, un fléau dont le pays peine à se défaire. Sous ces régimes autoritaires, les droits des citoyens sont systématiquement piétinés, les voix dissidentes réduites au silence, et la liberté, tant convoitée, reste un mirage inaccessible.
Mais ce drame national ne se joue pas seulement au sommet de l’État. Ce cercle vicieux est alimenté par un environnement complice, où des intellectuels corrompus, des artistes dévoyés, et des journalistes alimentaires jouent un rôle crucial dans la pérennisation du système. Par leur silence, leur soutien intéressé, ou leur participation active à la propagande, ces acteurs contribuent à nourrir et à renforcer ce monstre de l’autoritarisme qui dévore la Guinée depuis des décennies.
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Sékou Touré : le pionnier de la répression
Sékou Touré, acclamé comme le père de l’indépendance guinéenne, a rapidement échangé son costume de libérateur contre celui de tyran implacable. À peine le pays avait-il arraché sa liberté des griffes coloniales que Sékou Touré, animé par une soif de pouvoir absolu, a instauré un régime de terreur qui allait marquer l’histoire de la Guinée au fer rouge. L’euphorie de l’indépendance a été brutalement remplacée par un climat de peur et de suspicion, où chaque citoyen pouvait devenir, du jour au lendemain, la victime d’un régime paranoïaque.
Sous Sékou Touré, la délation était érigée en modèle de patriotisme. Les Guinéens étaient encouragés, voire contraints, à dénoncer leurs voisins, leurs amis, voire leurs propres familles, pour des crimes souvent imaginaires contre l’État. Le moindre soupçon de dissidence, qu’elle soit réelle ou supposée, était suffisant pour être jeté dans les sombres entrailles de Camp Boiro, ce tristement célèbre centre de détention où des milliers d’opposants ont trouvé la mort dans des conditions inhumaines. La simple idée de contester le pouvoir en place devenait une condamnation à une mort lente et torturante.
Sous le règne de Sékou Touré, le rêve d’une Guinée libre et prospère s’est rapidement mué en un cauchemar sans fin. La promesse d’un avenir radieux, portée par les espoirs d’indépendance, s’est effondrée sous le poids d’une dictature qui ne tolérait ni contestation ni débat. Les intellectuels, censés être la lumière de la nation, ont pour la plupart choisi de plier l’échine. Plutôt que de s’élever contre les injustices flagrantes et de défendre les principes de liberté et de justice, beaucoup ont préféré se taire, se complaire dans les privilèges accordés par le régime, et se transformer en complices silencieux de l’oppression. Dans cet univers dystopique façonné par Sékou Touré, la conscience nationale a été muselée, étouffée par la peur, et les voix qui auraient dû défendre le peuple se sont tues, laissant la dictature s’enraciner profondément dans le sol guinéen.
Lansana Conté : la dictature de l’habitude
Après la mort de Sékou Touré, Lansana Conté a pris le relais, et avec lui, la dictature a changé de visage. Moins brutale en apparence, elle est devenue plus insidieuse, se glissant dans les habitudes quotidiennes des Guinéens comme un poison lent mais mortel. Sous Conté, le pays est resté enchaîné, mais cette fois-ci, les chaînes étaient dorées pour ceux qui savaient se montrer loyaux envers le régime. Le clientélisme, autrefois méfiant, est devenu une norme acceptée, presque banale. Les liens du sang, de l’ethnie, et de l’allégeance personnelle au chef ont remplacé toute notion de mérite ou de justice.
Lansana Conté a perfectionné l’art de l’oppression douce. Les opposants politiques n’étaient plus systématiquement envoyés en prison ou exécutés comme sous Sékou Touré. À la place, ils étaient souvent réduits au silence par des moyens plus subtils : l’intimidation, la marginalisation, ou la corruption. Ceux qui ne pliaient pas risquaient de voir leur carrière ruinée, leur réputation salie, ou leurs proches harcelés. Le pouvoir ne frappait plus de manière frontale, mais se faufilait dans les vies, tissant un réseau de peur et de dépendance.
Dans ce climat, une génération entière d’intellectuels s’est égarée. Là où ils auraient dû s’élever en défenseurs des droits et des libertés, beaucoup ont choisi la compromission. Ils ont troqué leur voix, leur dignité et leur influence contre quelques miettes de la table du pouvoir. Les voix dissidentes se sont éteintes dans un marécage de compromission et de lâcheté, où les idéaux de liberté et de justice ont été noyés par l’appât du gain et la crainte des représailles. Lansana Conté a su maintenir une façade de normalité, tout en maintenant fermement les rênes d’une dictature qui étouffait lentement mais sûrement l’esprit de la nation guinéenne.
Moussa Dadis Camara : la farce tragique
Puis vint Moussa Dadis Camara, un personnage dont l’irruption sur la scène politique guinéenne aurait pu être tirée d’une comédie absurde, si son règne n’avait pas été aussi tragique. En l’espace de quelques mois, il a transformé la Guinée en un théâtre grotesque où la violence devenait un spectacle quotidien et où la peur était érigée en norme de gouvernance. Sous son régime, la brutalité était non seulement tolérée, mais elle était aussi mise en scène, comme si le pouvoir se délectait de ses propres excès. Les conférences de presse de Dadis, diffusées en direct, ressemblaient à des parodies, mais derrière ce masque d’absurdité, se cachait une réalité bien plus sombre.
Le massacre du 28 septembre 2009 pour lequel lui et quelques personnes reconnues coupables en fin juillet 2024 dernier, est sans doute l’événement le plus marquant et le plus sinistre de son passage éclair au pouvoir. Ce jour-là, des centaines de manifestants pacifiques, réunis pour réclamer la fin de la junte militaire et le respect de leurs droits, ont été abattus, violés, et mutilés par les forces de sécurité dans le stade de Conakry selon les rapports des organisations nationales et internationales. Ce massacre, d’une cruauté inouïe, reste une tache indélébile dans l’histoire du pays, un témoignage effrayant de ce que l’absence de contrôle démocratique et de respect des droits humains peut engendrer.
Pourtant, malgré l’horreur de ces événements, beaucoup de ceux qui auraient dû s’élever avec force contre ce régime de terreur sont restés étrangement silencieux. Des intellectuels, des artistes, des journalistes, tous ceux qui auraient pu user de leur influence pour dénoncer l’injustifiable, ont préféré détourner le regard, se réfugiant dans l’apathie ou, pire encore, trouvant des justifications pour rationaliser l’irrationalité. Ce silence assourdissant a non seulement trahi les victimes de la répression, mais il a aussi contribué à l’enracinement d’un système où la violence et l’arbitraire sont devenus les piliers d’un pouvoir illégitime.
Alpha Condé : la trahison de la démocratie
Alpha Condé, longtemps perçu comme le farouche opposant aux régimes dictatoriaux, a fini par succomber aux charmes empoisonnés du pouvoir absolu. Celui qui, pendant des décennies, incarnait l’espoir de voir enfin une Guinée démocratique, s’est révélé être un champion de la trahison de ses propres idéaux. Sa quête d’un troisième mandat, en totale violation de la constitution qu’il avait lui-même juré de respecter, a marqué le point de non-retour dans sa dérive autoritaire.
Alpha, qui s’était construit une réputation de défenseur des droits et libertés, a progressivement érigé un régime où la répression est devenue la réponse systématique à toute forme de contestation. Sous son règne, les voix dissidentes ont été étouffées, et les droits humains, déjà précaires, ont été foulés aux pieds. Les manifestations contre son troisième mandat ont été violemment réprimées, avec des dizaines de morts, des arrestations arbitraires. Le pays, qui espérait se tourner vers un avenir démocratique, s’est retrouvé plongé dans une nouvelle ère de peur et de méfiance.
Pourtant, Alpha Condé n’a pas agi seul. Il a été accompagné dans cette entreprise de confiscation du pouvoir par une armée d’intellectuels corrompus, de journalistes à la solde du régime, et d’artistes qui, autrefois chantres de la liberté, se sont mués en griots du pouvoir. Ces derniers, loin de critiquer ou de s’opposer à cette dérive, ont au contraire alimenté le mythe d’un Condé visionnaire, justifiant l’injustifiable et participant ainsi à la déconstruction d’une démocratie naissante. Ils ont choisi le confort des privilèges et des honneurs plutôt que la rigueur de la vérité et de la justice, trahissant ainsi une nation qui avait tant espéré en eux.
Mamadi Doumbouya : le recycleur des vieilles habitudes
Et aujourd’hui, c’est sous la férule de Mamadi Doumbouya que la Guinée tente de reprendre son souffle, ou plutôt, de survivre à une nouvelle ère de désillusion. Ce militaire, arrivé au pouvoir en promettant monts et merveilles, s’est vite révélé être un autre avatar du pouvoir militaire en Afrique de l’Ouest : un sauveur autoproclamé, prétendant libérer la nation de ses démons tout en la plongeant plus profondément dans le cycle infernal de l’autoritarisme.
Mamadi Doumbouya, avec son discours d’apparat sur le renouveau et la réforme, a d’abord séduit un peuple fatigué, en quête désespérée de changement. Mais bien vite, les promesses de liberté et de démocratie se sont évaporées sous le bruit sourd des bottes militaires et le claquement brutal des fouets sur les dos des citoyens qui osent encore rêver d’un avenir meilleur. Sous ce régime, les violations des droits humains ne se cachent même plus derrière des prétextes fallacieux : elles s’affichent à ciel ouvert, comme un défi lancé à ceux qui oseraient encore croire en la justice.
Et que dire des intellectuels, des journalistes et des artistes, ces soi-disant consciences de la nation ? Une fois encore, ils ont abdiqué devant le pouvoir en place. Eux qui auraient dû être les gardiens de l’éthique et de la vérité ont troqué leur plume acérée contre des miettes de privilèges, abandonnant la Guinée à son sort. Leur silence complice, leur soutien intéressé, ne sont que les échos de la lâcheté qui a permis à ce cycle de dictature de perdurer. Et ainsi, la Guinée, ce pays pourtant riche de promesses, se retrouve une fois de plus prisonnière de ses propres bourreaux, victimes des ambitions dévorantes de ceux qui, prétendant la sauver, ne font que la détruire davantage.
L’intellectuel complice : l’architecte de la tyrannie
Il est crucial de comprendre que ces dictateurs ne sont pas des figures isolées, surgies de nulle part. Ils ont été façonnés, soutenus, et même célébrés par une élite intellectuelle corrompue, des artistes dévoyés, et des journalistes qui ont troqué leur intégrité contre des avantages matériels. Ces derniers, au lieu de défendre la vérité et d’être la voix du peuple, ont choisi de devenir les instruments de la répression.
Ils ont justifié l’injustifiable, légitimé la violence d’État, et chanté les louanges de dirigeants dont les actes ont brisé des vies et anéanti des espoirs. Par leur silence complice ou leur soutien actif, ces « gardiens de la société » ont non seulement permis aux dictatures de se maintenir, mais ont aussi contribué à l’ancrage de l’autoritarisme dans le tissu même de la nation guinéenne. Ainsi, loin d’être de simples spectateurs, ils ont été les artisans, volontaires ou forcés, de ce cycle infernal de pouvoir absolu qui étouffe la Guinée depuis des décennies.
Il faut rompre le cycle !
Il est grand temps pour la Guinée de tourner la page de cette sombre tradition de dictature, qui a trop longtemps asservi son peuple et entravé son développement. Le destin de la nation ne doit plus être confisqué par une élite avide de pouvoir, insensible aux souffrances des citoyens ordinaires. Le peuple guinéen mérite de vivre sous un régime où la justice, la liberté, et les droits humains ne sont pas de vains mots, mais des réalités palpables.
Les intellectuels doivent renouer avec leur véritable vocation, celle d’être la conscience critique de la société, de questionner et de défier l’autorité quand elle devient oppressive. Les artistes doivent redevenir les porte-étendards de la liberté, utilisant leur créativité pour inspirer le changement et galvaniser le peuple. Quant aux journalistes, leur devoir est de parler pour les sans-voix, de mettre en lumière les abus de pouvoir, et de défendre sans relâche la vérité.
Pour briser ce cycle infernal, chaque citoyen doit refuser la soumission, rejeter la peur, et exiger une démocratie véritable. La Guinée doit se réveiller de ce long sommeil de compromission et de peur, pour enfin saisir son destin entre ses propres mains, et construire un avenir où le pouvoir appartient réellement au peuple.
La rédaction de Laguinee.info