La manipulation des constitutions pour prolonger les mandats présidentiels est devenue une réalité troublante dans de nombreux pays africains. Ce phénomène, loin d’être isolé, menace les fondements mêmes de la démocratie sur le continent et soulève des questions cruciales sur la gouvernance et l’avenir de l’Afrique.
Les constitutions, documents fondamentaux de tout État démocratique, sont censées représenter le contrat social entre les dirigeants et leurs citoyens. Elles définissent les règles du jeu politique, y compris la durée et le nombre de mandats que peut exercer un président. Pourtant, dans de nombreux pays africains, ces règles sont constamment violées par des dirigeants qui cherchent à prolonger leur emprise sur le pouvoir.
Lorsque les présidents manipulent ou ignorent les constitutions pour se maintenir en place, ils trahissent non seulement les principes démocratiques, mais aussi la confiance du peuple. Cela affaiblit les institutions et crée un dangereux précédent où la loi devient subordonnée aux ambitions personnelles. Le risque est une érosion continue de l’État de droit, où les systèmes judiciaires, législatifs et autres contre-pouvoirs se retrouvent instrumentalisés ou neutralisés au service du pouvoir en place.
Les conséquences des mandats prolongés sont souvent dramatiques. Au-delà de l’affaiblissement des institutions, ils entraînent une stagnation politique qui empêche l’émergence de nouvelles solutions aux défis économiques et sociaux. L’absence de renouvellement des élites et des idées se traduit par une gestion de plus en plus inefficace des affaires publiques, laissant les citoyens dans une situation de désillusion et de frustration. Dans de nombreux cas, cette frustration se transforme en violence post-électorale, en coups d’État, ou en conflits civils.
L’exemple le plus récent et emblématique est celui de la Guinée. En 2020, le président Alpha Condé, après avoir achevé ses deux mandats constitutionnels, a fait modifier la constitution pour briguer un troisième mandat. Cette manœuvre a engendré une crise politique profonde, marquée par des protestations populaires sévèrement réprimées. Le 5 septembre 2021, ce climat de tension a culminé avec un coup d’État militaire qui a renversé le régime de Condé. Ce putsch a mis en lumière les dangers inhérents aux mandats prolongés et à la manipulation des constitutions pour des intérêts personnels.
Depuis lors, les autorités de transition en Guinée ont entrepris un processus de révision constitutionnelle pour restaurer l’ordre démocratique. L’avant-projet de constitution, publié récemment, vise à refonder les institutions du pays et à prévenir les dérives du passé. Cette initiative, bien qu’encore en cours, reflète une tentative de corriger les erreurs historiques et de poser les bases d’une gouvernance plus respectueuse des principes démocratiques.
Face à ces dérives de violations récurrente des constitutions dans beaucoup de pays africains, la société civile et l’opposition se trouvent en difficulté. La répression des voix dissidentes est devenue une norme, avec des médias indépendants muselés et des militants harcelés. Cette restriction de l’espace démocratique limite considérablement les possibilités d’une alternance pacifique du pouvoir, faisant peser un risque accru de radicalisation parmi les populations, en particulier les jeunes, qui voient leurs aspirations étouffées.
La communauté internationale, bien qu’elle dénonce souvent ces abus de pouvoir, semble parfois complice ou inefficace dans ses réponses. Les sanctions et les condamnations n’ont généralement que peu d’effet sur les dirigeants déterminés à rester en place. Pire encore, certains pays étrangers, motivés par des intérêts économiques ou stratégiques, continuent de soutenir ces régimes, affaiblissant ainsi toute pression pour le respect des normes démocratiques.
L’Afrique, un continent riche en potentiel, ne pourra pleinement s’épanouir que si ses dirigeants respectent les limites constitutionnelles et promeuvent une véritable culture de la démocratie. Cela nécessite une prise de conscience collective des citoyens, des institutions, et des jeunes, qui doivent tous œuvrer pour protéger leurs constitutions et exiger une gouvernance transparente et responsable. Les organisations régionales, telles que l’Union Africaine, ont un rôle crucial à jouer en imposant des mécanismes contraignants pour prévenir les manipulations constitutionnelles et garantir une alternance pacifique du pouvoir.
Alors que les yeux du monde sont tournés vers l’Afrique, il est impératif que le continent démontre son engagement envers des principes démocratiques solides, où l’alternance au pouvoir n’est pas seulement une option, mais une norme inviolable.
Ibrahima Diallo