REQUÊTE AUX FINS D’ANNULATION D’UNE DÉCISION ADMINISTRATIVE ILLÉGALE
A Monsieur le Premier Président de la Cour suprême, Madame la Présidente de la Chambre administrative, Mesdames et Messieurs les Conseillers de la Chambre administrative de la Cour Suprême
POUR :
Les Conseillers communaux dont les noms, prénoms et domiciles sont déclinés ci-dessous
Élisant domicile en l’étude de leurs conseils Maîtres Amadou DIALLO, Salifou BEAVOGUI et Alseny Aissata DIALLO, Avocats au Barreau de Guinée, au quartier Kipé Dadya, à l’Immeuble Restaurant le BAMBOU, 1er étage, Commune de Ratoma, tél 664 20 20 49, Conakry, République de Guinée ;
DEMANDERESSE
CONTRE :
- Le décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux ;
- L’Agent judiciaire de l’État, sise au quartier Boulbinet, Commune de Kaloum Conakry, représentant l’État et y élisant domicile.
DEFENDERESSE
PLAISE A LA COUR SUPREME
La présente requête vise l’annulation du décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux. Le dispositif tel que transcrit dudit décret est ainsi libellé :
« Le Président de la République décrète :
Article 1 : Les Conseils communaux sont dissous sur l’ensemble du Territoire national, conformément aux dispositions du Code révisé des Collectivités locales du 24 février 2017. Ils seront remplacés par des délégations spéciales.
Article 2 : La gestion des affaires courantes est assurée par les Secrétaires généraux des communes jusqu’à l’installation des délégations spéciales.
Article 3 : Aucun membre d’une délégation spéciale ne peut faire acte de candidature aux prochaines élections communales.
Article 4 : Le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation est chargé de mettre en place les délégations spéciales, conformément aux dispositions du Code révisé des Collectivités locales.
Article 5 : Le présent décret qui abroge toutes dispositions antérieures contraires prend effet à compter de la date de sa signature et sera enregistré et publié au Journal Officiel de la République.
Conakry, le 27 mars 2024
Général de Corps d’Armée Mamadi DOUMBOUYA »
L’exposé sommaire des faits, moyens et conclusions de la présente requête laisse apparaître que ce décret est illégal en ce sens qu’il viole délibérément la loi applicable, notamment le Code révisé des Collectivités locales du 24 février 2017 et la Charte de la Transition du 27 septembre 2021 (l’article 2 points 2 et 9, les articles 8 et suivants et l’article 81).
Curieusement, ces deux textes sont cités par le décret contesté, aussi bien dans ses visas que dans son dispositif.
Or, une lecture, même sommaire, des dispositions relatives à la dissolution des Conseils communaux permet de se rendre compte que ce décret du Président de la Transition est un excès de pouvoir manifeste qui mérite annulation pour violation de la loi.
Par violation de la loi, il faut entendre une méconnaissance des règles juridiques (bloc de légalité) et de leur hiérarchie ( les sources de la légalité).
I – EXPOSÉ SOMMAIRE DES FAITS ET RAPPEL DU DROIT APPLICABLE
Le 27 mars 2024, le présentateur du Journal de la Télévision nationale a fait lecture du décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux sur l’ensemble du Territoire national et leur remplacement par des délégations spéciales.
Il convient de rappeler que les requérants ont été élus au suffrage universel direct le 4 février 2018. Que ces élections locales ont été organisées après plusieurs années de retard, le mandat des élus locaux avait expiré depuis 2010. Que pour obtenir l’organisation de ces élections locales, il a fallu plusieurs manifestations pacifiques de l’Opposition républicaine réprimées dans le sang par les Forces de Sécurité.
Normalement, le calendrier électoral tel qu’il découle des lois électorales doit être respecté par l’État de Guinée, conformément à l’article 2 point 2 du Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO qui dispose : « Les élections à tous les niveaux doivent avoir lieu aux dates et périodes fixées par la Constitution ou les lois électorales ».
A cet égard, il convient de rappeler ci-dessous les dispositions respectives du Code révisé des Collectivités locales (CCL) et du Code électoral (CE) en vigueur :
« Article 88 du CCL : Les membres des Conseils communaux sont élus suivant les dispositions du Code électoral pour un mandat de cinq (5) ans renouvelables.
Ils prennent fonction lors de la première séance du Conseil.
Article 89 CCL : Lorsque le Conseil d’une commune a perdu, pour quelque cause que ce soit, le tiers au moins de ses membres, il est tenu une élection partielle afin de remplacer les conseillers manquants.
Ces élections partielles sont tenues suivant les dispositions du Code électoral. Elles ont lieu dans un délai maximum de six (6) mois à compter de la dernière vacance.
Dans le même délai des élections ont lieu en cas de dissolution du conseil ou de démission de l’ensemble de ses membres.
ARTICLE 105 du CE : Les Conseils communaux sont élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle pour un mandat de cinq ans renouvelable.
ARTICLE 106 du CE : Si, par le fait de vacance survenue, le Conseil communal a perdu le tiers de ses membres, il est procédé à des élections complémentaires dans un délai de six mois, à compter de la dernière vacance.
Dans le même délai, des élections ont lieu en cas de dissolution du Conseil et de démission de l’ensemble de ses membres. Dans l’année qui précède le renouvellement général des Conseils, des élections complémentaires ne sont obligatoires qu’au cas où le Conseil aurait perdu la moitié de ses membres».
Contrôle de l’Etat sur les collectivités locales : Principes généraux
Article 69 du CCL : L’État exerce un contrôle sur les autorités locales, dans les cas et selon les procédés que la loi prévoit expressément.
Le contrôle s’applique aux organes des collectivités locales (Conseils régionaux ou communaux et leurs exécutifs), aux décisions et aux actes de ces organes, et aux modalités de leur exécution. Il ne porte que sur la légalité et non sur l’opportunité.
Il n’implique pas la subordination hiérarchique des organes décentralisés et ne doit pas entraver la libre administration des collectivités locales.
Article 70 du Code révisé des Collectivités locales dispose : Le contrôle ne se présume pas ; il n’existe que dans la mesure et les limites fixées par la loi. Lorsque le contrôle a été exercé dans des conditions illégales, les autorités locales peuvent contester les mesures prises par la voie de recours administratif ou juridictionnel.
Article 80 du Code révisé des Collectivités locales dispose : « Le Conseil d’une collectivité locale dont le tiers au moins des membres ont été reconnus coupables par le Tribunal de première instance d’avoir commis des crimes ou délits peut être dissous par sur proposition du Ministre en charge des collectivités locales.
La dissolution est prononcée par Décret du Président de la République, sur proposition du Ministre en charge des collectivités locales ».
Le Conseil communal
Article 85 du CCL : Le Conseil de la commune représente la population qui l’a élu et exerce ses attributions au nom de cette population.
Article 100 du CCL : Le Conseil d’une commune ne peut être dissous qu’en vertu de l’article 80 de la présente loi.
Article 101 du CCL : En cas de dissolution du Conseil d’une commune ou de démission de tous ses membres en exercice, ou en cas d’annulation devenue définitive de l’élection de tous ses membres, ou lorsque des élections communales ne peuvent être tenues par suite de troubles graves empêchant le fonctionnement, une délégation spéciale remplit les fonctions du conseil.
Article 105 du CCL : Lorsque le Conseil d’une commune a été dissous ou que, par application de l’article 103, une délégation spéciale a été nommée, il est procédé à l’élection d’un nouveau Conseil communal dans les six mois à compter de la dissolution ou de la dernière démission, à moins que l’on ne se trouve dans les trois (3) mois qui précèdent le renouvellement général des Conseils communaux dans l’impossibilité de tenir des élections à l’expiration de ce délai.
Les fonctions de la délégation spéciale expirent de plein droit dès que le Conseil communal est reconstitué.
Un examen sommaire des dispositions combinées des articles 80 et 100 du Code révisé des Collectivités locales permet de se rendre compte que le décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux n’a pas respecté la seule condition requise par la loi pour dissoudre un Conseil communal : à savoir le fait que le tiers au moins des membres du Conseil d’une collectivité locale aient été reconnus coupables par le Tribunal de première instance d’avoir commis des crimes ou délits.
Or, les requérants estiment qu’ils doivent rester en fonction jusqu’à l’élection de leurs remplaçants, car ils n’ont pas été reconnus coupables par le Tribunal de première instance d’avoir commis des crimes ou délits. C’est pourquoi, ils ont décidé de contester la validité du décret devant la Cour suprême.
Les requérants estiment que cette décision de dissoudre les Conseils communaux est une décision préméditée, car le Président de la Transition l’avait annoncé dans son discours de fin d’année, en décembre 2023.
II – MOYENS D’ANNULATION DE LA DÉCISION ATTAQUÉE
Le présent recours pour excès de pouvoir est engagé contre le décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux sur le fondement de la Loi Organique L/2017/003/AN du 23 février 2017 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour Suprême, notamment en ses articles 2, 49 et suivants, 88 et suivants.
Le caractère illégal de la décision attaquée apparaît clairement à travers les moyens de droit ci-après :
1 – Moyen tiré de la violation de l’article 80 du Code révisé des Collectivités locales
L’expiration du mandat des élus locaux est le motif invoqué dans le décret pour justifier la dissolution des Conseils communaux. Or, aucune disposition du Code des Collectivités locales et du Code électoral ne prévoit qu’à l’expiration du mandat des Conseillers communaux, les Conseils communaux doivent être dissous pour être remplacés par des délégations spéciales.
L’expiration du mandat ne fait pas partie des motifs pour lesquels, un Conseil communal peut-être dissout. A cet égard, l’article 80 du Code révisé des Collectivités locales dispose : « Le Conseil d’une collectivité locale dont le tiers au moins des membres ont été reconnus coupables par le Tribunal de première instance d’avoir commis des crimes ou délits peut être dissous par sur proposition du Ministre en charge des collectivités locales.
La dissolution est prononcée par Décret du Président de la République, sur proposition du Ministre en charge des collectivités locales ».
Il va sans dire que pour dissoudre un Conseil communal, la condition posée par cet article est donc la suivante : Il faut que le tiers au moins des membres aient été reconnus coupables par le Tribunal de première instance d’avoir commis des crimes ou délits. Or, en l’espèce, c’est l’expiration du mandat des élus locaux qui est illégalement invoqué comme motif de dissolution des Conseils communaux.
C’est pourquoi, il est respectueusement demandé à la Cour d’annuler purement et simplement le décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux pour violation délibérée de l’article 80 du Code révisé des Collectivités locales.
2 -Moyen tiré de la violation de l’article 100 du Code révisé des Collectivités locales
Aux termes des dispositions du Code révisé des Collectivités locales, l’expiration du mandat des élus locaux ne peut en aucun cas être un motif légitime et légal pouvant justifier la dissolution des Conseils communaux. A cet égard, l’article 100 du Code dispose : “Le Conseil d’une commune ne peut être dissous qu’en vertu de l’article 80 de la présente loi”.
La Cour constatera que les dispositions de l’article 80 du Code révisé des Collectivités locales, sont confortées par celles de l’article 100 du même code. Il reste entendu que ces dispositions sont impératives et d’ordre public ; c’est-à-dire qu’on ne peut y déroger par une volonté contraire.
C’est pourquoi, il est respectueusement demandé à la Cour d’annuler purement et simplement le décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux pour violation délibérée des dispositions combinées des article 80 et 100 du Code révisé des Collectivités locales.
3 -Moyen tiré de la violation des dispositions combinées des articles 1, 9 et 69 du Code révisé des Collectivités locales garantissant le principe de la libre administration des Collectivités locales.
En procédant illégalement à la dissolution des Conseils communaux démocratiquement élus au suffrage universel pour les remplaçer par des délégations spéciales, le Gouvernement de Transition a pris des actes administratifs contraires aux dispositions combinées des articles 1, 9 et 69 du Code révisé des Collectivités locales qui garantissent le principe de la libre administration des Collectivités locales.
En violant les dispositions de ce code, le décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux porte une atteinte grave aux droits constitutionnels des élus locaux et des citoyens des localités concernées. C’est une remise en cause de la décentralisation et de la démocratie locale.
A cet égard, l’article 69 du code dispose :” L’État exerce un contrôle sur les autorités locales, dans les cas et selon les procédés que la loi prévoit expressément.
Le contrôle s’applique aux organes des collectivités locales (Conseils régionaux ou communaux et leurs exécutifs), aux décisions et aux actes de ces organes, et aux modalités de leur exécution. Il ne porte que sur la légalité et non sur l’opportunité.
Il n’implique pas la subordination hiérarchique des organes décentralisés et ne doit pas entraver la libre administration des collectivités locales”. Or, il est indéniable que la dissolution illégale des Conseils communaux est une entrave a la libre administration des collectivités locales.
En règle générale, les bonnes pratiques consistent à laisser les élus continuer à exercer leur fonction jusqu’à l’élection de leurs remplaçants. Cette pratique est souvent prévue par la loi en vigueur, et à défaut, une nouvelle loi est adoptée spécialement pour proroger le mandat soit des élus locaux ou des députés. Il en a été ainsi en France où le mandat des élus locaux a été prorogé par une loi, car les élections ne pouvaient être organisées à bonne date à cause de la pandémie COVID-19.
De même, avant les élections communales du 4 février 2018, les élus locaux sont restés en fonction alors que leur mandat avait expiré depuis 2010. Il en est de même pour les députés élus en 2013 qui sont également restés en fonction après l’expiration de leur mandat.
En tout état de cause, au regard des principes de la décentralisation, un élu local dont le mandat a expiré a plus de légitimité qu’un Membre d’une délégation spéciale ; ce dernier fut-il désigné par le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation. La preuve en est que les élus locaux ont plus de pouvoirs que les membres d’une délégation spéciale.
A cet égard, l’Article 104 du CCL dispose : “Les pouvoirs de la délégation spéciale sont limités aux actes de pure administration courante.
La délégation spéciale ne peut engager les finances de la commune au- delà des ressources disponibles de l’exercice courant, sauf lorsque son mandat débuté durant le cours d’un exercice se termine durant l’exercice suivant.
Lorsque le mandat d’une délégation spéciale s’étend sur plus d’un exercice budgétaire, elle est alors autorisée à engager les finances de la commune à raison d’un douzième (1/12) des prévisions budgétaires de l’exercice durant lequel elle a débuté son mandat, pour chaque mois ou portion de mois durant lequel son mandat s’étend sur l’exercice suivant.
Elle ne peut ni préparer le budget de la commune, ni examiner les comptes de l’ordonnateur ou du receveur, ni modifier le personnel de la commune, leur affectation, leur rémunération ou leurs conditions de travail”.
Au regard de tout ce qui précède et des dispositions combinées des articles 1, 9 et 69 du Code révisé des Collectivités locales, la Cour constatera que la dissolution illégale des Conseils communaux est une entrave à la libre administration des collectivités locales. Pour ce seul motif, le décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux doit être annulé.
III – DISCUSSION
Sur le plan juridique, la Cour constatera qu’il y a eu excès de pouvoir de la part des Autorités de la Transition, en ce qui concerne la dissolution illégale et systématique des Conseils communaux et leur remplacement par des délégations spéciales. Cela est d’autant plus vrai que l’exercice de leur pouvoir ou autorité est strictement encadré par la loi.
En effet, la Charte de la Transition du 27 septembre 2021 à travers son préambule et son article 2 points 2 et 9, et ses articles 8 et suivants garantissent aux citoyens guinéens un certain nombre de droits et libertés, ainsi que le respect par les Autorités politiques et administratives des principes démocratiques et de l’État de droit.
C’est pourquoi, les dépositaires de l’autorité de l’État, aux premiers rangs desquels, figurent le Président de la Transition et le Ministre de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation, doivent en toute circonstance se conformer à la Charte de la Transition et aux lois non abrogées ou contraires à la dite Charte.
La référence au Code révisé des Collectivités locales du 24 février 2017 dans le décret de dissolution montre bien que ce texte est encore en vigueur et, par voie de conséquence, il doit être respecté. A cet égard, l’article 81 de la Charte dispose : « Sauf abrogation expresse, les dispositions de la législation et de la règlementation en vigueur non contraires à la présente Charte demeurent entièrement applicables ».
De même, aux termes de l’Ordonnance No2021/0001/PRG/CNRD/SGG du 16 septembre 2021 portant prorogation des lois nationales, des conventions, traités et accords internationaux en vigueur au 5 septembre 2021, le Code révisé des Collectivités locales du 24 février 2017 est toujours en vigueur.
Si l’on veut faire respecter les principes de l’État de droit dans notre pays et offrir aux citoyens, acteurs économiques (investisseurs) nationaux et étrangers la sécurité juridique et les garanties juridictionnelles nécessaires, il est indispensable que les actes administratifs manifestement illégaux des Autorités administratives soient annulés, conformément á la loi. Voir ci-joint une chronique de Jacque Attali intitulée : « la démocratie est menacée là où l’est la justice ». Il précise dans cette chronique : « …qu’une démocratie suppose un Etat de droit, c’est-à-dire la possibilité pour les citoyens de compter sur l’application égale d’une loi, votée démocratiquement, à tous, quels que soient leur statut social ou les circonstances.
Ce principe interdit au pouvoir exécutif d’agir contre la loi et au pouvoir législatif d’agir contre la Constitution, sauf à les ré- former en suivant les procédures prévues dans cette même Constitution ».
A cet effet, l’article 2 de la loi organique n0 003 du 23 février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de la Cour suprême dispose clairement que : « La Cour suprême est juge en premier et dernier ressort de la légalité des textes règlementaires et des actes des autorités exécutives … ».
Dans le contentieux administratif, le recours pour excès de pouvoir est le contentieux le plus original. Le recours étant dirigé non contre une personne mais contre un acte. C’est le procès fait à un acte, moyen le plus énergique et le plus démocratique de défense des administrés contre l’arbitraire et l’illégalité.
Comme vous le savez, les articles 2, 88 et suivants de la loi organique n0 003 du 23 février 2017 portant attribution, organisation et fonctionnement de la Cour suprême instituent le recours pour excès de pouvoir pour faire annuler par le juge une décision administrative illégale. C’est donc un moyen de protection efficace du citoyen contre l’administration, des libertés contre l’autorité, du droit contre l’arbitraire qui est consacré par cette loi organique.
Il reste entendu qu’en l’espèce, les conditions de recevabilité qui tiennent essentiellement à la qualité des requérants, à la nature de l’acte attaqué et au délai du recours, permettent au juge suprême de statuer au fond.
A cet égard, il convient de signaler que pour étayer la violation directe de la règle de droit invoquée par les requérants, le juge administratif suprême doit comparer le contenu de l’acte administratif contesté avec le contenu des normes légales qui s’imposent à cet acte. Autrement dit, comparer le contenu du décret attaqué avec le contenu des articles 1, 9, 69, 80, 100 et 104 du Code révisé des Collectivités locales.
Le résultat de cette comparaison montrera à la Cour une violation des dispositions citées ci-dessus du Code révisé des Collectivités locales par le décret attaqué. En effet, le motif de dissolution contenu dans le Code révisé des Collectivités locales est différent du motif contenu dans le décret attaqué :
-
- L’article 80 du CCL prévoit comme unique motif de dissolution : Il faut que le tiers au moins des membres aient été reconnus coupables par le Tribunal de première instance d’avoir commis des crimes ou délits ;
- Le décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 invoque comme motif de dissolution : l’expiration du mandat des élus locaux.
De tout ce qui précède, la Cour constatera que le motif invoqué pour dissoudre les Conseils communaux est illégal. En effet, l’article 100 du Code dispose : “Le Conseil d’une commune ne peut être dissous qu’en vertu de l’article 80 de la présente loi”.
PAR CES MOTIFS
Il est respectueusement sollicité de la Cour suprême :
En la forme : De déclarer le présent recours pour excès de pouvoir recevable, étant diligenté dans les formes et délais légaux ;
Au fond : De déclarer les moyes de droit invoqués par les requérants bien fondés et par conséquent :
- Constater la violation des articles 1, 9, 69, 80, 100 et 104 du Code révisé des Collectivités locales ;
- Constater la violation de la Charte de la Transition du 27 septembre 2021, notamment à travers son préambule et en ses articles 2 points 2 et 9, 8 et suivants ;
- Annuler purement et simplement le décret D/2024/0062/PRG/SGG du 27 mars 2024 portant dissolution des Conseils communaux ;
- Ordonner la publication du présent arrêt, conformément à la loi ;
- Mettre les frais et dépens à la charge de l’Agence judiciaire de l’État, sise au quartier Boulbinet, Commune de Kaloum Conakry, représentant l’État.
Sous toutes réserves
Conakry, le 15 mai 2024
L’un des avocats
Maître Salifou BEAVOGUI