vendredi, novembre 22, 2024
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Grande interview: « Le béton armé n’est pas la solution pour nos routes… », Balla Moussa Konaté, ingénieur de ponts et chaussées

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Depuis l’indépendance à nos jours, la Guinée peine toujours à relever ces défis majeurs lié aux infrastructures routières. Ces défis sont nombreux et multiples à travers tout le pays plus précisément dans la capitale Conakry. Pour pallier ces problèmes majeurs et relever ce défi dans ce secteur, la transition guinéenne dirigée par le Général Mamadi Doumbouya, a porté son choix sur le béton armé dans divers endroits de la capitale. Dans les grands ronds-points, les chantiers de béton armé voient le jour. Pour comprendre des avantages, des inconvénients et des risques liés au béton armé sur la route, la rédaction de Laguinee.info à travers un de ses journalistes reporter est allé à la rencontre de Balla Moussa Konaté, Ingénieur de routes, ponts et chaussées. Dans cet entretien, le spécialiste aborde largement la question liée au choix de ce béton.

Laguinee.info : Aujourd’hui en Guinée, il y a des chantiers sur la construction des routes qui sont ouverts dans la capitale guinéenne par l’État, mais nous constatons toujours que le pays est loin de se trouver avec des bonnes routes. En tant qu’ingénieur, quel est votre regard sur ce secteur ?

Il faut savoir que depuis une dizaine d’années, la Guinée est dans une dynamique pour faire face à ses routes. Malgré cette volonté affichée, les défis restent encore pendants. Je crois que l’orientation stratégique que nous devons avoir doit s’appuyer sur des solutions aux défis majeurs que nos routes ont pour que le secteur routier soit un secteur porteur de croissance qui pousse les autres secteurs du développement du pays. Ces défis sont à trois niveaux:

Il y a le défi de géométrie. Ça, c’est particulièrement au niveau de nos routes urbaines précisément à Conakry. Vous constatez que nos routes sont très exiguës. En principe, aujourd’hui même, ce qu’on appelle les 2 × 2 voies: Fidèle Castro, le Prince, par rapport à la sollicitation, à l’avenir, je dirais jusqu’à 50 ans et au-delà, nous sommes au bout du rouleau en matière d’intensité de circulation. Il aurait fallu que ces routes soient projetées pour qu’à l’avenir, nous puissions quitter 2 × 2 voies et aller à 2 × 4 voies, c’est-à-dire, chaque chaussée soit dotée de 4 bandes de circulation. On pense que construire des routes se limite simplement à la partie circulatoire des véhicules, il y a aussi ce qu’on appelle les chaussées et les bandes d’arrêt d’urgence et les caniveaux. On oublie que là où des véhicules doivent garer, cet endroit doit être large pour que quand les véhicules se garent, la route ne soit pas encombrée.

Le deuxième défi, c’est le défi de résistance. Généralement, nos routes ne sont pas construites en rapport avec les spécificités géographiques de notre pays. Nous sommes à Conakry, une région très pluvieuse. Il faudrait tenir compte dans le choix des matériaux et dans l’exécution des travaux, être très minutieux et très attentif par rapport à chaque opération que l’on pose. Il faudrait que le système de drainage soit efficient. Les caniveaux qu’ils font ne sont pas la solution. Plus nous construisons des routes plus, nous avons des problèmes pour gérer l’eau. Je crains que des inondations artificielles ne soient plus inquiétantes pendant la saison pluvieuse prochaine.

Le troisième défi, c’est celui de l’exploitation. L’exploitation de nos routes est si mal organisée que même les bonnes routes ne sont pas exploitées à bon escient. Ce sont les marchés publics notamment, Entag, Matoto, Km36 etc. qui réduisent pratiquement tout ce que la route pouvait nous rapporter à ce que j’appelle un petit rien. Ça, c’est une question du civisme. C’est une question qui reste pendante et qui doit être résolue par d’autres secteurs à savoir le ministère des Travaux publics, le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, les mairies, etc. Sans oublier que dans la construction d’une route, toutes les parties doivent prendre part à savoir, l’EDG, le ministère des Travaux publics, le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, la SEG et la citoyenneté, etc. Ces parties sont forcément concernées dans la construction des routes.

  • La Guinée bascule vers le béton armé. Des chantiers de routes en béton armé sont visibles partout. Pourquoi le béton au lieu du goudron ?

Moi, je pense que c’est un grand tort. L’État, des techniciens et une partie de la population pensent que le béton armé est forcément la solution à nos problèmes de défis de résistance. C’est un tort. La première fois que le béton armé a été mis sur nos routes à Conakry, ce n’était pas pour des raisons de résistance, mais plutôt pour des raisons liées aux faibles taux de travail des sols naturels. Du Pont 8 novembre jusqu’à l’université Gamal sur la route Fidèle Castro en tout cas, dans les années 1960, la zone était marécageuse. On avait mis du béton jusqu’au carrefour Donka. À l’époque, le poids-lourd se limitait au maximum à 25 tonnes et aujourd’hui, on part jusqu’à 30 tonnes. Cela veut dire que ce n’était pas la raison. La raison, c’était par rapport au sol, le comportement peu résistant des sols d’assises. Si nous devons faire le béton armé, c’est au niveau des carrefours. Là, on peut à travers le cisaillement et la torsion, comprendre. À ce niveau, des remorques en tournant, ça peut avoir des effets sur la route goudronnée. Vous avez vu, sur la route Fidèle Castro de Matoto jusqu’à Tombolia, la route n’a pas été bien faite avec soin. Les gens ont pensé que c’était fini, mais à chaque fois une partie cède, ils continuent de mettre le béton armé, mais cela n’a rien donné.

  • Le béton armé est utilisé, mais par endroit, ça ne dure pas, Est-ce qu’on ne s’interroge pas sur le type de béton armé qu’il faut ?

Le béton armé n’est pas la solution pour nos routes de façon générale. Le goudron n’a pas atteint ses limites dans notre pays. Regardez les routes en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Brésil, les zones tropicales à travers des informations que mes collègues m’ont fournies, ça ne se fait pas. Les gens pensent que le fait que nos routes ne résistent pas, c’est parce qu’on n’utilise pas le béton armé. C’est une erreur majeure. Par contre, on a vu ici des travaux de béton armé qui laissent à désirer. Cela veut dire que c’est la manière pour faire qui est aussi un problème. Dans les pays comme la France, les États-Unis à 80 %, c’est le goudron qu’ils utilisent. Le béton armé doit intervenir lorsque tous les travaux préalables sont achevés, c’est-à-dire des installations de tuyaux et autres. Mais si tout cela n’est pas fait comme le cas guinéen, après 10 ans, il faut enlever encore tout pour des installations alors que le béton ne se colle pas.

  • Entre le goudron et le béton armé, qu’est ce qui est beaucoup plus avantageux pour la Guinée en termes économiques ?

Le béton armé, malgré sa résistance et sa qualité indiscutable par rapport au goudron, est plus cher en termes de matériaux, de temps d’exécution, et de soin. Vous ne verrez pas les bailleurs de fonds financer le béton armé. C’est cher et ça n’en vaut pas la peine. Sur tous les plans, si on a la maîtrise dans l’exécution des travaux en tenant compte de l’eau, du système de drainage, et du respect des poids, le goudron reste le meilleur matériau de construction en Guinée comme ailleurs.

  • Quels sont les inconvénients du béton armé pour les conducteurs d’engins roulants ?

En matière de sécurité routière, le goudron est la meilleure option. Parce que, avec sa texture noire, on peut mettre des bandes blanches pour communiquer. Quand on veut freiner sur une chaussée non mouillée en ce qui concerne le goudron et le béton, l’écart est de 25 %. C’est-à-dire, si vous devez vous arrêter à 100 mètres si la chaussée est mouillée, tu vas passer à 125 mètres. Si la distance d’arrêt sur le béton armé sec, c’est à 100 mètres, en chaussée mouillée, il faut aller jusqu’à 140 mètres. Cela veut dire que le béton armé mouillé est plus dangereux lorsqu’on veut s’arrêter. Je parle de béton qui est bien fait et non celui qui est dans un état de dégradation.

Comparez le béton armé au goudron, le béton est plus résistant. Ce qui veut dire que si vous bétonnez une route, c’est pour 50 ans et au-delà, mais si vous avez oublié de faire certains travaux en dessous et que vous soyez obligé à casser ou à reprendre, c’est que ces matériaux seront irrécupérables. Alors que le goudron, on peut fendre des endroits et reconstituer plus facilement. Le plus grave, c’est quand on ne fait pas un bon boulot, en termes de conséquence pour le béton, c’est plus grave que le goudron. Parce que le béton armé ne se colle pas. Alors que tout le temps, la SEG installe des tuyaux. Si les préalables ne sont pas faits avant de mettre le béton, donc c’est du gaspillage.

Quels sont vos conseils pour que la Guinée puisse se doter de routes de qualité et durable ?

Intervenir dans les routes, c’est un couteau à double tranchant. Quand vous le faites bien, pendant un petit temps, les populations sont contentes. Mais quand vous ne le faites pas pour un avenir plus élargi, la balle se retourne contre l’État. Ça veut dire que l’État doit  faire avec des bons techniciens. Il faudrait responsabiliser les techniciens quelle que soit leur responsabilité en les mettant au centre. Je ne connais pas un dirigeant qui ne veut pas satisfaire les besoins de sa population et la rendre heureuse. À travers les bons techniciens, on peut toujours créer l’harmonie entre la population et les plus hauts dirigeants du pays en matière de développement d’infrastructures. Mais si vous faites des travaux avec des techniciens qui n’ont que de noms pour cela malheureusement, les populations resteront toujours à leur faim.

Interview réalisée par

 Ibrahima Alhassane Camara, pour Laguinee.info

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