La presse privée guinéenne traverse une zone de turbulence. Certains groupes sont dans la gueule du loup. D’autres dans le ventre même du loup. Retour sur trois décennies d’un combat sans repos ni répit pour la liberté de la presse.
Le début d’une nouvelle ère
Il y a 40 ans, disparaissait le responsable suprême de la révolution. Avec lui, la pensée unique aussi. Ce fut le début d’une nouvelle ère. Celle de la liberté d’entrer et de sortir du territoire et bien sûr celle d’exprimer son opinion sans crainte. Entre la dissolution du parti unique, consécutive au coup d’Etat du 3 avril 1984, et l’instauration du multipartisme, sept années se sont écoulées. Durant cette transition entre deux systèmes que tout oppose, le nouveau pouvoir a posé les jalons du futur Etat de droit. Avec entre autres, la politique de la décentralisation et bien évidemment l’avènement de la révolution médiatique, avec l’apparition des premiers journaux privés.
Il est superflu de dire que ce changement ne s’est pas fait sans grincements de dents voire une farouche résistance de la part de ceux qui, jusque-là, n’avaient vécu que dans un Etat monolithique. Les premiers journaux privés sont perçus comme des tracts. Au début des années 90, deux grands groupes de presse voient le jour. Avec respectivement l’Indépendant et le Lynx. Devant l’engouement suscité par les deux journaux, leurs fondateurs, Aboubacar Sylla et Souleymane Diallo, trouvent qu’un seul journal par semaine est insuffisant. Le premier sort son deuxième titre, le Démocrate. Le second renforce le Lynx par la Lance. Dans un pays qui n’a connu jusqu’ici que l’unique journal gouvernemental Horoya, ces premiers journaux sont achetés comme de petits pains. Ceux qui n’ont pas les moyens de s’en procurer empruntent. Les articles les plus pertinents sont photocopiés et distribués dans tout le pays.
Véritable lieu de pèlerinage pour les journalistes
Très vite, l’immeuble Baldé Zaïre, siège du satirique Le Lynx, devient un repère pour les journalistes à la fois guinéens et étrangers. C’est le rendez-vous de l’intelligentsia africaine. Avec des journalistes, des écrivains et des artistes revenus de tous les horizons pour se mettre à la disposition du pays, la presse naissante ne manque pas de talents. On se souvient entre autres de l’écrivain feu Williams Sassine, qui animait la chronique assassine dans le satirique Le Lynx ou encore le dramaturge feu Ahmed Tidiane Cissé qui signait également dans le même journal.
Les pionniers
Grâce à ce dynamisme dans la diversité et la richesse d’opinions, d’autres intellectuels créent leurs propres organes de presse. Feu Aboubacar Condé lance Le Soleil, Tibou Kamara fait de même pour L’Observateur, feu Siaka Kouyaté lance Le Citoyen. Plus tard, d’autres organes, comme La Nouvelle Tribune d’Abdoulaye Condé, Nouvelle Elite de Sékouba Savané, Le Populaire d’Alpha Abdoulaye Diallo, Le Défi de Thierno Mamadou Bah, L’Enquêteur de Boubacar Yacine Diallo ou encore Le Diplomate de Sanou Kerfalla Cissé enrichissent le paysage médiatique. La liste n’est évidemment pas exhaustive. Il y aura des centaines d’autres titres dont la plupart disparaîtront d’eux-mêmes.
Les premières difficultés
La décennie 90 a été donc marquée par une grande vitalité médiatique. Mais aussi par quelques difficultés inhérentes à tout début. Certains journalistes, comme l’Administrateur général du Lynx, M. Diallo Souleymane et certains de ses employés font face à cinq procès et deux séjours en prison. Sans compter l’astreinte à un contrôle judiciaire avec le Directeur de la radio Lynx FM plus récemment en 2019.
- Boubacar Yacine Diallo, ancien DG de la RTG – qui démissionna de son poste avant de fonder le bimensuel d’investigation L’Enquêteur, avait été arrêté lui aussi le 19 décembre 2002. Il lui était reproché d’avoir publié un article dans lequel il faisait état de la démission de l’inspecteur général des armées, le colonel Mamadou Baldé. La veille même, Abdoulaye Condé, Directeur de publication de la Nouvelle Tribune est convoqué et entendu au bureau de l’aide de camp du président Lansana Conté. M. Condé était accusé d’avoir publié un article intitulé « qui a tué Conté ? relatant le récit du voyage du chef de l’Etat à Djeddah, au cours duquel il serait tombé malade. Le journaliste avait été relâché le même jour, aucune charge n’ayant été retenue contre lui.
D’autres journalistes étrangers, seront expulsés. Ce fut le cas du Béninois Serge Daniel, correspondant de RFI. Obligeant cette station et la BBC à engager des correspondants de nationalité guinéenne, qui sont respectivement Mouctar Bah et Amadou Diallo. Pendant ce temps, Ben Daouda Sylla, célèbre présentateur du journal de la RTG, est le correspondant de la radio panafricaine, Africa N°1 à Conakry. Le trio, Mouctar, Amadou et Ben a souvent maille à partir avec le parti au pouvoir, le PUP. En juillet 2000, le conseil national de la communication (CNC) retire l’accréditation de ces trois journalistes. L’institution de régulation regrettant « que des journalistes guinéens, sous le couvert de la liberté de la presse n’hésitent pas à monnayer cette liberté contre quelques piges en devises pour traîner leur pays dans la boue ». Mouctar Bah avait déjà vu son accréditation suspendue du 24 décembre 1998 au 7 mai 1999. Feu Ben Daouda Sylla, fonctionnaire, a été souvent privé de son salaire.
La libéralisation des ondes
Malgré ces pressions à la fois psychologiques, administratives et économiques, les journalistes n’ont jamais baissé l’échine. Au contraire, ils exigeaient toujours davantage. Particulièrement la libéralisation des ondes. Eux, en premier lieu, l’opposition, la société civile et les partenaires au développement font de la libéralisation du secteur de l’audiovisuel une condition non négociable. Finalement, le président Conté cède. Le décret de libéralisation est signé le 20 août 2005. Toutefois, cette libéralisation est partielle. Les partis politiques et les confessions religieuses ne doivent pas posséder des radios. Les premières stations sont lancées l’année suivante. Nostalgie FM, qui est la toute première radio privée du pays, commence à émettre le 14 août 2006.
Contrairement à ce que certains prophètes de malheur avaient prédit et prévu, les radios privées ne jettent pas de l’huile sur le feu. Malgré certaines dérives, comme un appel lancé à l’insurrection populaire pendant la grève de janvier et février 2007 sur les antennes d’une radio, la plupart d’entre elles font preuve de beaucoup de responsabilités. Certaines émissions comme « Société débat » de Familia FM, brisent le tabou et donnent la parole aux acteurs politiques et sociaux du pays. Plus tard, des émissions interactives, comme la Grogne matinale sur Soleil FM, libérèrent définitivement la parole. Pour la première fois, un citoyen peut dire tout haut à l’antenne ce qu’il disait tout bas au café.
L’avènement de la presse en ligne
Les premières radios et télévisions privées sont suivies par un nouveau support d’information et de communication. C’est l’intru, qui était le moins attendu du monde par les médias. Les sites Internet. Plusieurs d’entre eux sont créés par des Guinéens de la diaspora. Parmi les pionniers, on peut citer : aminata.com, guineenews.com et bien d’autres comme neolearship.com. Déjà confrontés à la concurrence des radios privées, les journaux traditionnels font face à un autre concurrent de taille. Chaque matin, le premier geste d’un travailleur qui arrive à son bureau, c’est d’ouvrir son ordinateur pour consulter les sites internet. Mais ils ne sont inaccessibles qu’à une minorité qui a un ordinateur connecté à internet. Plus tard, le téléphone Android viendra révolutionner définitivement l’accès à internet. Inutile de dire que ce développement fulgurant de nouveaux outils de communication a porté un coup, parfois fatal, à la presse écrite.
Pour éviter la disparition pure et simple, les journaux se sont adaptés à la nouvelle donne. Transformant le NewsPaper en site internet. De nos jours, en Guinée comme ailleurs, rares sont les journaux qui ont pu résister face à la nouvelle situation. Dans notre pays, il y a encore quelques titres, comme le Lynx-la Lance qui ont survécu devant les quotidiens en ligne qui publient instantanément les informations. Comme pour la presse écrite quelques années plus tôt, une multitude de sites voient le jour. Et, comme son frère aîné, le journal, le site internet lui aussi est à l’épreuve. Beaucoup meurent de leur mort naturelle.
Rapport entre le pouvoir exécutif et les médias
Chaque fois que les thuriféraires racontaient au président Conté que tel ou tel autre a écrit telle ou telle autre chose sur lui ou sur son gouvernement, il leur rétorquait de faire leur travail et de laisser les journalistes faire le leur. Après sa disparition, son successeur, le capitaine Moussa Dadis Camara, n’a jamais caché son admiration pour les journalistes. C’est la raison pour laquelle il aurait nommé au poste de ministre un ancien journaliste pour lequel il confessera publiquement son admiration. En l’occurrence Justin Morel Junior. Et certains témoins au procès sur la tragédie du 28 septembre 2009 en cours indiquent que le capitaine Camara avait de la sympathie pour eux. L’homme savait que dans la société les médias ont leur place et leur importance. Fait inédit : un groupe de journalistes rend visite au capitaine Dadis, au sommet de sa gloire. Parmi ces journalistes, il y a un qui souffre d’un handicap physique. A la question du capitaine de savoir « si ce monsieur est journaliste » la réponse est affirmative. Séance tenante, il ordonne qu’une voiture neuve soit remise à ce journaliste.
Jusqu’ici donc les différents chefs d’Etat qui se sont succédé en Guinée ces trente dernières années se sont bien accommodés de la presse. Certains ont même été des modèles. La Guinée ayant dépénalisé les délits de presse avec la loi organique portant liberté de la presse : L/2010/002/CNT du 22 juin 2010. Un bémol tout de même. Ces dernières années, des officiers de la police judiciaire et des magistrats, soumis à de très fortes pressions, ont usé et abusé de la loi ordinaire L/2016/037/AN relative à la Cybersécurité et de la protection des données à caractère personnel pour arrêter et juger un grand nombre de journalistes.
Malgré son irritation vis-à-vis de la presse, le président Alpha Condé ne franchira pas le Rubicon de fermeture. Des émissions talk-show comme « Les Grandes Gueules » d’Espace FM, Africa 2015 de Nostalgie, Mirador de FIM FM et même On refait le monde de Djoma FM pour ne citer que celles-là ne sont parfois pas tendre avec le pouvoir. Mais ce dernier s’en accommode. Sachant que toute tentative de faire taire les médias devait avoir plus d’inconvénients que d’avantages. En effet, le président Condé n’était pas bienveillant avec les journalistes. Il l’avait fait savoir d’ailleurs. Affirmant qu’il n’écoute pas la radio, ne lit pas les journaux, ne va sur Internet. Mais en même temps, connaissant le rôle dévolu à chaque entité dans une société, il s’était abstenu de fermer les radios et télévisions. Ni directement ni indirectement, comme c’est le cas actuellement.
Conclusion
L’histoire retiendra donc que les radios privées- qui sont brouillées aujourd’hui- sont le fruit de la politique d’ouverture d’un officier de l’armée guinéenne. De l’avis de beaucoup d’observateurs, si Sékou Touré est le père de l’Indépendance de la Guinée, Lansana Conté demeure incontestablement le père de la Démocratie. Les radios et télévisions agréées par un officier seront-elles fermées par un autre officier ? L’avenir immédiat nous apportera la réponse.
Voilà campés près de 40 ans de lutte sans merci pour la liberté de la presse et la liberté tout court. Jusqu’à la fin de l’année 2023, tous les observateurs étaient unanimes que la presse restait le dernier rempart de la démocratie en Guinée. En l’espace de quelques semaines, cette presse est complètement assommée. Asphyxiée par les pouvoirs publics, elle est désormais entre la vie et la mort. Et bien malin est celui qui va prédire le sort qui sera le sien dans un avenir immédiat.
Habib Yembering Diallo
Journaliste-écrivain
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