Qu’est-ce que c’est le Kondén Wara ? c’est un diable, un lion,un fétiche ou un vautour ?
La réponse viendra plus tard. Mais avant, il convient de rappelerque Tombony est une jeune Sous-préfecture de SEKE, ancien District de SEKE Kolita. Elle est rattachée à la Préfecture de Siguiri/ Région de Kankan, République de Guinée.
Avec la décentralisation, la culture de Kondén qu’incarnait Kolita (premier village de SEKE) a été acceptée pour les différents Districts afin qu’ils puissent avoir un masque sacré pour les événements culturels. Ainsi, le Kondén va servir de fête de communion, de protection, de bonheur dans le village et corridors mais aussi une identité culturelle.
Un peuple sans culture est un peuple sans histoire. En dépit de la colonisation occidentale et arabe, la zone de SEKE au cœur de l’ancien empire du Mali (Mandén) a su garder des valeurs à la marge des civilisations arabo-chrétiennes.
A date, on dénombre plus de vingt (20) Kondéns dans l’arrondissement de SEKE qui célèbrent chaque année.
L’intérêt de cet article est de faire connaitre une belle culture très ancienne mais peu connue par certains guinéens.
Les Kondéns partagent essentiellement la même identité et les mêmes conditions d’adhésion à la confrérie. En revanche, l’histoire de chaque chacun est particulière bien que celui de Kolita demeure la source d’inspiration de tous. Ces éléments seront complétés par la préparation et la sortie de Kondén, le mythe autour de lui, les avantages liés à sa sortie et ma dernière expérience avec le Kondén de Tombony en juin 2023.
I- L’historique de Kondén et les conditions d’adhésion à la confrérie
Au Mandingue il y a plusieurs masques qui se distinguent les uns des autres de par leurs fonctions et leurs traits caractéristiques dont, le Koma, le Gnadjan, le Nama, le Kondén et chacun est riche d’une histoire propre à lui.
La pratique de Kondén Wara est une activité culturelle dans la zone. Ce masque est d’autant plus important qu’il bénéficie d’une place particulière qui lui est réservée dans la société mandingue. D’ailleurs, il fait partie des biens culturels que le colon n’a pas pu l’avoir pour l’exporter.
Sur l’origine, je partage l’avis de Monsieur Siaka BARRY, l’ex Ministre chargé de la Culture guinéenne, quand il dit que le Kondén Wara n’est pas à confondre avec le Kondén-Diarra décrit par Camara Laye dans son célèbre roman « enfant noir ».
Toutefois, rendons hommage à Kalabi Bomba fils de LahilatoulKalabi, qui introduisit le rite de « Kondén Diara », qui afortement inspiré la création de Kondén Wara selon nos informations.
Avec l’éclatement de l’empire du Mandigue, les histoires et l’actualité de Kondén dépendent des communautés. Ainsi, dans l’arrondissement de SEKE, ancienne Sous-préfecture de DOKO, les Kondéns de Tombony, Kolita, Nafadji, Garima, Mansala,Kignèbakoura, Kounkoun, Tinko, Sidao Kognonfra, Oudoula,pour ne citer que ceux-ci, sont portés par les membres de certaines sociétés initiatiques.
Le Kondén est un DO ou un Goundou qui signifie un dogme, un secret à garder durant toute la vie.
Le premier Kondén de SEKE sortait à Kolita et c’est là où tout le monde venait le regarder. D’année en année, Tombony a sollicité avoir son propre Kondén mais le vestibule de Kolita n’aurait pas pu accéder à cette demande. Le premier Kondén Fa de Tombony, feu Mara–Mory CONDE, étant un grand menuisier a eu la malice de venir regarder la forme du masque de Kondén de Kolita. Il l’a fait pendant plusieurs années afin de fabriquer leur propre masque. La technique qu’il a utilisée consistait à venir chaque année, observer minutieusement une partie du masque pour aller l’appliquer à celui qu’il fabriquait. Après plusieurs années, il a fini par avoir le masque de Tombony, prototype de celui de Kolita.
Malheureusement, ce premier masque a été dérobé par un étranger qui serait parti dans la Sous-préfecture de kènè Mandén Gnagassola pour des fins d’intérêt culturel.
Depuis cette époque, le Kondén est géré par génération (Karé). Lorsque, par illustration, la génération de 2000 gère le Kondén, il appartiendra aux générations de 1999, 1998 et 1997 d’assurer le tapage des tambours pendant au moins trois (3) ans. La dévolution de la gestion de Kondén se faisait de manière triennale.
La période historique de la sortie de Kondén était le printemps : pendant l’hivernage, les groupes de jeunes (générations) s’organisaient pour aider les parents dans des travaux champêtres en passant à tour de rôle faire des labours presque chez tous les chefs de familles du village. Quand les récoltes sont bouclées, tout le monde est content, c’est en ce moment qu’on programme la sortie de Kondén. Cette date permettra à tout le monde y compris les ressortissants du village qui sont à l’aventure d’y revenir afin de participer à la fête.
Elle est l’occasion de communier, de se pardonner et de faire cultiver l’esprit de tolérance entre les habitants du village.
Pour adhérer à la confrérie de Kondén Wara, le candidat doitêtre un homme accompli, appartenir à l’une des familles de la notabilité, puis, adresser directement une demande verbale au père de Kondén ou par truchement d’un initié membre influent,ensuite, envoyer une poule à la loge sacrée (Gbè-tou) encore présenter un tambour afin de passer la nuit (Signana) avec les membres et enfin être présent à l’aube pour la première sortie de Kondén. On le (candidat) fait assoir à un endroit isolé (entre le village et le lieu sacré (loge où on habille le Kondén). Le Kondén viendra le surprendre à cet endroit et son assistant lui demandera de donner le nom authentique de Kondén. Tant qu’il ne donne pas ce nom, le Kondén continuera à le frapper avec les longs fouets qu’il détient en image. Ce nom authentique dont je tais, doit être connu de tout candidat.
En revanche, les familles griottes (Gnamakalla), les traitres, les indiscrets, infidèles et les personnes non accomplies ne peuvent nullement être membres de l’Association sécrète de Kondén Wara de Tombony.
II- La préparation et la sortie de Kondén Wara
La nuit qui précède la sortie de Kondén ou la veillée, (Kondén signana) est une nuit exceptionnelle, terrible et merveilleuse, qui passe lentement dans une veille totale. Les membres passent la nuit à jouer aux tam-tams et aux tambours. A préciser que les joueurs des tam-tams et tambours sont formés spécialement pour les types de danses de Kondén.
Cette nuit permet de préparer les Kondéns sur tous les plans, de statuer sur les candidatures d’adhésion à la confrérie de Kondén du village et d’initier les nouveaux à deux dimensions de la vie dont l’une mythique et l’autre éducative.
Tout cet événement est parrainé par un Kondén Fa ou père du Kondén, qui est issu du monde des personnes âgées. Pour le cas de Tombony, le Kondén Fa actuel s’appelle Adama CONDE dit Dame. De la création à 2023, Tombony a eu huit (8) Kondén Fa, il s’agit : Maramory CONDE, suivi de Sinimaghan CONDE, Kèdjoukou Sékou KOULIBALY, Yoro CONDE, KénémakanCONDE, Sanké CONDE, Moussa CONDE et Adama CONDE (Dama), actuel père de Kondén.
Il est choisi en fonction de ses connaissances et sagesse en matière de protection des membres de la confrérie contre le mal de tout genre, notamment la sorcellerie. Il prend place sur le mirador (gbala) qui se trouve sur la place publique (sanctuaire). Bien que les fauteuils et chaises peuvent remplacer ce mirador par circonstance.
A l’aube, tous les membres du groupe se déplacentobligatoirement dans la brousse, à leur siège (le lieu sacré) pour préparer le Kondén et assistent aux autres réunions et différentes cérémonies de danse. Avant la sortie du premier Kondén, les sages réunis du village au lieu sacré, font un grand sacrifice qui leur permet de savoir tout ce qui se passera courant l’année. Aussi, pour savoir s’il n’aura pas d’incident pendant la fête. Chaque candidat va présenter sa poule et deux noix de cola blancs. Ainsi, ils égorgent toutes ces poules et se partagent lesdits colas. Tout membre qui consomme celui-ci est astreint à s’abstenir de toute relation intime avec sa femme pendant les jours de fête, faute de quoi, il mourra. A cette occasion, le père de Kondén prépare les journées de fête contre tous malfaiteurs.
Très tôt le matin, le söma Kondén, soit le premier Kondén de la journée fait son apparition. Il procède à la présentation des condoléances aux familles endeuillées conformément à la liste des décès de l’année écoulée dont dispose le père de Kondén.
Puis, un autre fera sa sortie mais on ira plus en brousse pour l’habiller. L’association dispose d’un siège au village qui sert de lieu d’échange. Le Kondén qui sort en début d’après-midis’appelle Télédö Kondén. Il fait des mouvements fracassants. Il frappe tout le monde, il s’en fou de l’argent. Il entre dans les maisons des jeunes garçons, les ghettos afin de mobiliser tout le monde derrière lui et imposer ainsi, son caractère sacré. Ces frappes sont insusceptibles de voies de recours donc une sorted’exception à l’atteinte à l’intégrité physique.
Aussi, il court derrière les garçons et fouette ceux qu’il rattrapeavec une verge (fouets). Ça fait peur aux enfants. Les parents usent de cette peur tout au long de l’année, pour amener les enfants à obéir. La phrase fétiche à prononcer est : « Le Kondén viendra te chercher si tu n’es pas sage. »
Ensuite, plus tard dans l’après-midi un autre fait sa sortie, il s’agit de bradassa Kondén : celui-ci est ultra motivé, instable, met de l’enthousiasme et mobilise tout le monde vers le sanctuaire et balise ainsi le terrain avant la sortie des derniers Kondéns. Ces derniers qui animent la soirée sont des véritables et meilleurs danseurs. Ce sont eux qui ferment la journée festive.
III- Le mythe autour de Kondén
Il convient de rappeler que le Kondén est le masque le pluscélèbre dans la zone du mandingue. De sorte qu’en dépit de toute frappe, les gens continuent à l’aimer, à le suivre et à l’obéir avec plaisir. Il peut faire danser les membres de la confrérie dont on ignore leur appartenance à l’association et frapper ceux qui ne tapent pas fort les tambours.
Il est mystérieux. Sur la tête est placée un masque sur lequel sont fixés de petits miroirs et des petits cauris de couleur rouge.Il porte une ceinture en cauris blancs. Le masque et la tenuearborée qu’il porte sont symboliques et confectionnés de manière annuelle. Les personnes non initiées ne doivent pas les toucher sans autorisation du père de Kondén. J’émets une réserve sur le nom de l’arbre qui sert du masque et celui de la tenue arborée.
Quand le Kondén sort, tous les sorciers, féticheurs, marabouts essaient de l’anéantir. C’est pourquoi le père de Kondén doit être surdoué, puissant spirituellement pour le protéger et protéger ceux qui guident ou assistent le Kondén dans le village et au sanctuaire. Il incarne le mystère et la frayeur pour ceux qui en savent.
Une fois au sanctuaire, le Kondén vient s’agenouiller devant le Kondén Fa (père de Kondén) pour recevoir une autorisation, des instructions puis il salut certaines personnes distinguées. Parmi ces personnes à saluer, ne figurera pas de femmes. Le Kondén ne serre pas la main à une femme. L’une des conséquences, s’il serre la main d’une femme qui est en début de grossesse, elle peut la perdre de façon spirituelle.
En outre, il est défendu à tout le monde d’indexer le Kondénpendant qu’il danse au sanctuaire. Si le père de Kondén n’autorise pas la prise de photo, il n’apparaitra dans aucune des photos. Si vous prenez une photo avec, vous, vous allez apparaitre dans la photo mais jamais le Kondén.
IV- Les avantages liés à la rencontre avec le Kondén Wara
Le Kondén est plaisant. Je n’ai jamais absolument entendu quelqu’un détester ce masque. J’ignore s’il est beau ou attrayant mais je puis affirmer qu’il est aimé et je l’aime bien.
Les deux derniers Kondéns qui animent la soirée sont très élégants, dansent avec une sensation impressionnante et indescriptible. Ils combinent la force et la vitesse extraordinaires pendant la danse en ayant toujours dans ses mains deux longsfouets constituant des véritables épouvantails pour les spectateurs. C’est en cela qu’ils procurent la joie, le plaisir et l’enthousiasme dans la foule. C’est un moment de communion et de vivre ensemble dans le village.
Ce n’est pas que cela, le Kondén sert d’éducation et d’enseignement.
Pendant un moment de la danse, il peut s’arrêter pour murmurer ou prédire quelques événements majeurs de l’année prochaine au père de Kondén et même certains événements en cours.
Le Kondén peut aider une femme stérile à avoir un enfant. Pour ce faire, on fait renter la femme dans sa chambre sans l’en informer que le Kondén viendra chez elle. Il passera lasurprendre pour la fouetter conséquemment et avant la prochaine cérémonie annuelle de Kondén, elle aura un enfant.
Enfin, si l’on fait sortir le Kondén au nom d’une seule personne, l’intéressée aura au-delà de ce privilège, des avantages dans la vie.
V- Ma rencontre avec le Kondén de Tombony en 2023
Le Kondén de Tombony à l’image d’autres de SEKE, est le plus célèbre masque dans la Sous-préfecture de Tombony. Il est sacré et maintient encore toute sa valeur dans les cérémonies solennelles et surtout annuelles.
Il importe de relever que pendant mon cursus primaire, je n’ai jamais songé à croiser le regard de Kondén a fortiori de rêverpercer le mystère de ce croquemitaine. Depuis mon examen d’entrée en 7è année en 2004 jusqu’en 2023, je n’avais plus eu la chance de revoir le Kondén de Tombony, soit depuis 19 ans. Ainsi, les autorités traditionnelles ont décidé de m’honorer par la sortie exceptionnelle de ce Kondén lors de cette fête d’Aïd El Kébir (Tabaski) en guise de reconnaissance et d’amour pour ma modeste personne.
A mon jeune âge, comprenez mon émotion et permettez-moi de leur dire, merci vigoureusement pour cet immense geste traditionnel sans précédent dans leur histoire.
Je mesure la place de ce célèbre masque et sacré, le KONDEN WARA qui incarne le symbole de mystère, de frayeur, d’éducation et de récréation dans la tradition Mandingue.
Depuis mon enfance, sans être initié, on nous a enseigné que le simple fait de voir le Kondén et de lui offrir de l’argent quel que soit le montant vous apportera de la chance de l’année en cours.
Surtout les personnes qui auront la chance de croiser le premier Kondén du matin ont beaucoup d’avantages.
Le Kondén est considéré comme étant un oiseau (vautour) pour certain et un diable pour d’autres. C’est pourquoi le colon a été berné dans ce jeu commercial.
Certes, beaucoup de localités de la Guinée ont tendance à renoncer à leurs anciennes pratiques sous l’influence de la modernité ou de la religion musulmane, mais SEKE en général et Tombony en particulier font un effort pour garder jalousementla pratique de Kondén Wara encore et ce depuis plusieurs décennies.
La Guinée incarne de belles cultures !
Djibril MAGASSOUBA