vendredi, novembre 22, 2024
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RADIOSCOPIE : Menaces silencieuses sur la démocratie Sénégalaise

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En démocratie, le succès dun homme politique nest pas la manière dont il accède au pouvoir mais plutôt la façon dont il le quitte”.

 

 

5 mars 2021 — Manifestation de milliers de jeunes dans toutes les régions du Sénégal à la suite de la convocation et de l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko. Copyright : CNN

 

Depuis quelques années, les signaux envoyés par le Sénégal sont très alarmants et pour beaucoup d’observateurs très surprenants. Jadis vitrine d’une démocratie ouest-africaine, les libertés fondamentales y sont de plus en plus fragilisées. Des opposants politiques sont emprisonnés ou tout simplement forcés de s’exiler. La liberté de manifestation est de plus en plus contrôlée voir confisquée. Les médias privés subissent une restriction de leur signal afin de les empêcher d’émettre. Des activistes pro-démocraties s’exilent pour jouir de leur liberté de parole pendant que d’autres croupissent en prison. Les populations sont toujours dans l’attente des suites qui seront réservées aux rapports des institutions de contrôle qui ont épinglé des autorités publiques pour des questions de transparence et de redevabilité. La liste est longue … et ce tableau sombre constitue en partie le bilan de Macky Sall qui est arrivé au pouvoir en bénéficiant des gains d’un combat pour la limitation des mandats présidentiels à deux.

 

Le 29 mars 2012, je publiais sur mon blog avec beaucoup de fierté #SUNU2012 : La « Soft revolution » Sénégalaise définitivement réussie. Je ne pouvais pas m’imaginer onze (11) ans après, publier un article qui pointe du doigt des dérives sapant nos acquis démocratiques. J’étais loin d’imaginer que je tirerais sur la sonnette d’alarme à la veille d’une élection présidentielle après tout le travail de consolidation abattu par les Sénégalais pour oeuvrer à préserver et à défendre notre démocratie au prix de sueurs, de sang et de vies humaines. Il y a plus de dix (10) ans, les sénégalais se sont opposés à une volonté manifeste et “institutionnalisée” de confiscation du pouvoir par Abdoulaye Wade. Face à cet “abus de pouvoir” et à la violation flagrante des principes de limitation des mandats, les Sénégalais y ont opposé une réponse d’une maturité démocratique à la hauteur des aspirations citoyennes que nous portons.

 

Quand les aspirations démocratiques dépassent les propositions politiques, cela crée un vide dont se nourrissent les frustrations populaires. Quand la demande de démocratie et de bonne gouvernance des populations dépasse l’offre des acteurs du système administratif, les exigences citoyennes ne peuvent être comprises par les autorités.

 

Extrait de mon article #FreeSenegal : La révolte de la “Démocratie silencieuse”

 

 

La démocratie : un logiciel à maintenir à jour en tout temps

Faire d’un système politique et social une convergence entre la gouvernance, les intelligences, les opinions, les cultures ainsi que les hommes et les femmes pour l’aboutissement d’un processus qui priorise un État social résultant des aspirations citoyennes : C’est cela la DÉMOCRATIE.

 

Dans notre contexte africain, certains semblent comprendre “cette démocratie” autrement en la réduisant à un système politique dans lequel une minorité confisque les idées, impose et organise les opinions, déforme les cultures et hypothèque la gouvernance au profit d’intérêts engendrant les inégalités. L’erreur qu’il faut éviter de commettre, c’est d’associer la démocratie aux processus d’indépendance de certains pays d’Afrique. Cette assertion est souvent défendue et soutenue par les occidentaux ainsi que certains Africains qui réduisent l’idée de démocratie à celle qui est conceptualisée, documentée et théorisée par les Européens (anciens colons). Si le mot DÉMOCRATIE est d’origine de la Grecque, son exercice en tant que concept est enraciné profondément en Afrique par des pratiques politiques, sociales et culturelles (Charte du mandé en 1222; La charte de Kurukan fuga est le fondement des droits de l’homme et des libertés publiques. Élaborée depuis le 13ème siècle plus précisément en 1236) bien avant certaines grandes révolutions occidentales comme celle française de 1789.

 

Je fais ainsi appelle à notre volonté commune à faire exister “une démocratie” qui résulterait d’une endogénéité et d’un culturalisme assumé. Aucune structure politique n’a réussi à stabiliser sa souveraineté en important et en transposant des modèles d’intelligences structurelles et contextuelles. Copier des modèles de démocratie n’est pas une réponse. Les crises actuelles des différentes démocraties représentatives en Europe et aux États-Unis sont édifiantes sur les nécessités d’adaptation et de mise à niveau.

 

Quand beaucoup font reposer les piliers de la démocratie uniquement sur une approche institutionnelle et sur des organes représentatifs, il convient d’insister sur le socle sur lequel devraient s’appuyer ces derniers : La liberté et l’égalité. Tant que la démocratie représentative telle que nous la connaissons, permet à une minorité élue par la majorité de confisquer le pouvoir de décision et de tenir en otage les libertés individuelles et collectives, de garder le monopole des idées et de la pensée, elle ne sera que vain concept : Des “démocraties sur papier”. Ces dernières constituent aujourd’hui, les premiers ennemis de la DÉMOCRATIE. Elles nourrissent des velléités de conservation à vie du pouvoir, renforcent les ambitions autocratiques, dévalorisent les institutions républicaines, décrédibilisent les lois et règlements, renforcent un climat de défiance social. Une “démocratie sur papier” est en elle-même, un virus auto-régénérant qui détruit à petit feu le peu de système d’équilibre social dans lequel il évolue. Il s’entretient et se maintien dans un jeu de pouvoirs saupoudré d’une ruse maléfique contagieuse dès l’accession aux pouvoirs de certaines autorités politiques. Il est temps que chaque nation africaine puisse faire son auto-diagnostic afin d’identifier ce virus en faisant une radioscopie des symptômes par lesquels il se manifeste au sein de son système.

 

Le véritable problème sur le continent africain ce n’est pas l’inadaptation ou l’impertinence du système démocratique, c’est plutôt l’échec des acteurs politiques qui en sont de fervents théoriciens quand ils sont en quête de pouvoir et qui deviennent des praticiens de l’autocratie dès qu’ils sont élus. La Démocratie n’a pas échoué en Afrique. C’est l’échec des élites ainsi que de l’intelligentsia politique post-indépendance. Cette situation a fini de détruire les acquis politiques de nos systèmes sociaux et culturels pré-coloniaux. Elle a dans le même ordre d’idée empêché une intégration effective des modèles politiques occidentaux. Aujourd’hui, une partie du continent africain est comme un cyborg qui a perdu une partie de ses riches repères identitaires et qui n’a pas encore réussi à atteindre la maturité de sa transformation. Il faut entendre par là, non pas une situation conflictuelle mais une nécessité à gagner le combat de l’identité culturelle et politique héritée.

 

Sénégal : Menaces sur la démocratie ou la démocratie des menaces

 

1- La manipulation du pouvoir ou le pouvoir de la post-vérité.

 

Logique mathématique des mandats de trop

Dans une démocratie, il arrive que des lois soient votées et adoptées par la majorité alors qu’elles sont anti-démocratiques. Il est arrivé que des constitutions soient adoptées par voie référendaire par une “majorité électorale” qui est de loin minoritaire de la population.

Moins de quatre (4) millions de sénégalais sur une population de 14,3 millions (selon les estimations des Nations unie – 2016) ont fait adopter de nouvelles dispositions constitutionnelles en 2016. Le référendum de 2016 au Sénégal a porté sur une série de réformes constitutionnelles proposées par le président Macky Sall. Il a eu lieu le 20 mars 2016 et a abouti à une victoire pour le camp du “Oui”, avec 62,68% des voix, contre 37,32% pour le camp du “Non”. Les principales réformes proposées incluaient la limitation du nombre de mandats présidentiels à deux, la reconnaissance de nouveaux droits pour les citoyens, tels que le droit à un environnement sain et la protection des droits des femmes, entre autres. Cette réforme constitutionnelle a été considérée comme une étape importante dans la consolidation de la démocratie au Sénégal, car elle a renforcé les droits des citoyens et limité les possibilités pour les dirigeants politiques de s’accrocher au pouvoir de manière illimitée. Si en 2023, cette réforme constitutionnelle censée verrouiller les dispositions légales de la limitation des mandats présidentiels permettait au Conseil Constitutionnel de valider une troisième candidature de Macky Sall, alors notre texte fondamentale encouragerait des pratiques anti-démocratiques et dignes des régimes autoritaires. Traiter la question du troisième mandat au Sénégal en voulant trouver des subterfuges juridiques, des gymnastiques linguistiques ou encore des prières pour conjurer le pouvoir de l’oubli c’est tout simplement insulter notre cher héritage historique.

Une réforme systémique du Sénégal passe nécessairement et obligatoirement par une restauration des valeurs, un renouvellement institutionnel et une “refondation” du sens de notre commun vouloir de vie commune.

« Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs », verrou constitutionnel relatif à la limitation de la durée des mandats à deux.
Article 27 de la constitution du Sénégal

 

De la vérité des stratégies ou le mensonge des urnes

Sur un autre angle, il faut se méfier de la post-vérité électorale. Tant que les données (fichier électoral, fichier d’état civil, cartographie électorale …) sont détenues et gérées par un démembrement ministériel et non une instance indépendante et neutre, il sera très difficile d’organiser des élections dont découlerait une vérité des urnes. Avec les velléités de maintien à vie au pouvoir et les interférences que le numérique peut provoquer dans les processus électoraux, nous pouvons dire adieu à une démocratie électorale.

Les attitudes du public et les résultats des élections ne reflètent plus des vérités car détournés par d’onéreuses stratégies digitales savamment orchestrées ou par des opérations d’influence à grande échelle aux fins de manipuler les opinions ainsi que les votes. Le piratage électoral peut cibler des opposants pour voler et divulguer des informations sensibles pendant les campagnes. Il peut également cibler les infrastructures électorales, notamment les bases de données d’inscription des électeurs, ainsi que les infrastructures non électorales. Couper l’électricité ou perturber le réseau Internet le jour du scrutin pourrait faire baisser la participation et saper ainsi la confiance du public dans le processus.

 

Voici une liste non exhaustive de possibilités de manipulation électorale par le biais du numérique et de manipulation de données :

  • L’exploitation des données électorales des scrutins passés pour effectuer un mapping par orientation politique afin d’identifier les zones rouges (circonscriptions où le vote n’est pas favorable au Président sortant).
  • Mettre en place un dispositif pour empêcher les citoyens de la zone rouge de ne pas s’inscrire sur les listes électorales et pour d’autres de ne pas disposer à temps de leurs cartes d’électeurs.
  • S’appuyer sur un ratio votes défavorables et nombre d’électeurs pour redistribuer la carte électorale en réorganisant les centres et bureaux de vote et ne pas informer à temps les concerné
  • Créer un déséquilibre de l’information pour défavoriser les électeurs des zones rouges.
  • Produire et distiller des fake-news afin de brouiller les bonnes informations voire dupliquer les informations institutionnelles avec de légères diffé
  • À l’opposé, outiller, informer et faciliter le vote dans les zones vertes (aux votes favorables au candidat au pouvoir).
  • Mettre en place une machine de propagande politique orientée vers les médias de masses pour diffuser des projections de résultats.

 

Le jour même du scrutin, les électeurs ne figurant pas sur la liste d’émargement du bureau de vote indiqué sur leur carte ont été autorisés in extremis, par une circulaire ministérielle, à voter dans leur « dernier bureau de vote », c’est-à-dire dans un autre bureau de vote dont la liste d’émargement incluait leur nom, pour autant que ce bureau de vote soit situé dans le même lieu de vote. Ces aménagements procédaient d’une intention louable mais ils n’attestent pas moins d’une tendance à relativiser la force de la loi qui ne peut qu’être préjudiciable au climat de confiance indispensable à la tenue d’une élection.

Élection présidentielle 2019 — Rapport de la mission d’observation électorale de l’UE

 

« Nous sommes intervenus dans 33 campagnes électorales au niveau présidentiel », leur a confié la société clandestine israélienne. « Les deux tiers ont eu lieu en Afrique. Et 27 ont été un succès ». Le consortium a pu identifier la réélection du Sénégalais Macky Sall en 2019. Article publié par RFI 15/02/2023 à propos des révélations de forbiddenstories.

 

Une autre arme politique qui contribue à déformer la vérité à l’avantage de de la minorité élue pour gouverner : Le parrainage politique. Il a été introduit au Sénégal en 2018, en vertu de la loi organique n°2018–22 du 04 juillet 2018 portant sur le parrainage pour l’élection du président de la République. Elle exige que les candidats à l’élection présidentielle obtiennent un certain nombre de signatures de citoyens pour pouvoir déposer leurs candidatures. Le parrainage a été considéré par certains comme un moyen de garantir l’exclusion de certains candidats indépendants. Il a aussi suscité de nombreuses critiques comme une mesure antidémocratique qui favorise certains partis politiques établis et limite la concurrence. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a jugé que “divers aspects de son traitement par le système judiciaire constituaient une détention arbitraire et des violations d’une procédure régulière”. Quid de la conservation, du traitement et de la sécurisation des données personnelles et sensibles collectées par les militants politiques pour le compte de leur candidat ? Comment s’assurer que des copies n’ont pas été faites et conservées ? Comment s’assurer de la totale suppression des données numériques ? Qu’en est-il du traitement impartial et neutre de ces données par l’autorité compétente ?

 

L’ère de la post-vérité

La vérité n’existe plus. Elle est circonstancielle et contextuelle. Elle n’existe que quand elle nous arrange. Ce que tu dis est vrai parce que je la veux vrai. Ta vérité est fausse pour moi car elle ne m’arrange pas. Voilà la manière la plus simple de présenter la bipolarisation de l’information dans le contexte actuel sénégalais. Cette conception binaire de l’environnement politique et de l’espace public est un dangereux raccourci qualificatif du débat démocratique. Notre indépendance à vouloir imposer la vérité (surtout en cas de crise politique) ne doit en aucun cas nous pousser à censurer ceux qui ne partagent pas nos points de vue. Cela n’a en rien d’une attitude démocratique. Dans une société démocratique, il est important de préserver la liberté d’expression et la liberté de la presse, qui permettent aux citoyens d’accéder à une information libre et indépendante. Les médias doivent être en mesure de remplir leur rôle de quatrième pouvoir, en contrôlant l’exercice du pouvoir politique et en fournissant une information objective et impartiale. Ils doivent aussi avoir la liberté de parler des opposants et de faire un travail d’analyse objectif et indépendant. Des pratiques sapant les libertés d’opinion et de parole constituent de réelles menaces aux piliers fondamentaux de la démocratie.

 

Quand cette menace sur les libertés d’opinion et sur l’application et le respect des règles du jeu démocratique sont l’oeuvre d’autorité gouvernementale, cela devient beaucoup plus inquiétant. En 2011, le Président Abdoulaye Wade s’est publiquement dédit au prix de la vie de 21 sénégalais. En 2023, la vérité risque de subir en pleine figure, le fouet des contre-valeurs.

 

Cher Ismaila Madior Fall, ta liberté de nuancer ta parole ne te donne pas le droit de mal-interpréter notre constitution pour satisfaire le désir d’un maintien au pouvoir d’un citoyen sénégalais qui n’en a pas le droit. Ta vérité d’hier ne peut en aucun cas nous être imposée comme une contre-vérité aujourd’hui.

 

«Je suis nuancé. Un universitaire doit être nuancé. On peut changer de parole si les circonstances se présentent. Ce n’est pas la fin du monde». Ismaila Madior Fall, Garde des Sceaux ministre de la Justice du Sénégal s’exprimant à propos de son changement de position sur le 3ème mandat au Sénégal.

 

Quand la politique se bat pour gagner en popularité dans le pays qu’elle gouverne, je me demande ce que l’amélioration de sa réputation internationale pourrait lui apporter. En 2022, theafricareport annonce que le Sénégal a acquis les services d’une société de lobbying américaine pour la première fois depuis des années dans le cadre d’une campagne mondiale visant à redorer la réputation du président Macky Sall. Selon les termes du contrat (publié sur le site de US Department of Justice) signé par Emil Kirjas (ancien vice-ministre des affaires étrangères de la Macédoine de 2004 à 2006), le cabinet Kirjas Global est payé pour « fortifier les efforts diplomatiques et internationaux pour promouvoir le Sénégal, les efforts exceptionnels de SEM President Macky SALL et l’ambitieux programme du gouvernement». De l’argent payé à des sociétés privées de lobbying au moment où au Sénégal, des quêtes sont organisées quasiment toutes les semaines à travers les réseaux sociaux pour venir en aide à des nécessiteux pour des frais médicaux.

 

La vérité politique, ce n’est moins le narratif que les empreintes de vos actes.

 

2- Une demande latente de justice impartiale

La réputation de pays stable et démocratique est devenue un lointain récit que beaucoup conjuguent désormais au passé. Entre 2014 et 2022, le pays a été secoué par une série d’arrestations tous azimuts et particulièrement de nombreuses ouvertures de poursuites pénales contre les politiciens de l’opposition. À la une des médias au Sénégal, arrestation d’un tel et convocation d’un tel autre. C’est hélas le sombre tableau de fin de pouvoir de Macky Sall.
— détournements et corruption à grande échelle dénoncés par la Cour des comptes
— radiation et disparition d’agents de forces de l’ordre et de défense
— velléités d’une troisième candidature à l’élection présidentielle
— arrestations tous azimuts d’activistes, de membres de partis politiques …
À cela s’ajoute un niveau de détournement et de corruption qui a atteint des limites inimaginables dans ce pays. Collecter l’argent des respectueux sénégalais en leur promettant un fonds pour lutter contre la Covid-19 pour ensuite le détourner. Odieux et criminel ! À ce jour, ce dossier n’est toujours pas tranché par la justice.

 

Du dossier du fils de l’ex-président de la République Karim Wade (opposant politique à Macky Sall) à celui de Ousmane Sonko (principal opposant politique à Macky Sall) en passant par l’affaire du Maire de Dakar Khalifa Sall (opposant politique à Macky Sall), les Sénégalais ont été témoins de plusieurs autres dossiers de justice qui ont fait couler beaucoup d’encre. La perception d’une justice équitable est tellement importante que quand ceux qui la symbolisent ne sont pas perçus comme impartiaux, ils lui font perdre sa crédibilité. Quand elle donne l’impression d’être instrumentalisée, elle devient contestée. Cela constitue les germes d’un sentiment d’inégalité et d’injustice. Quand la perception fait penser que la justice ne s’applique que pour une partie de la population, cela installe un climat d’absence de justice. Rappelons que le frère du Président de la République a été directement indexé par une enquête de la BBC à propos d’un scandale à 10 milliards de dollars. Il n’a toujours pas été inquiété par la justice sénégalaise. Il en est de même pour certains membres de l’administration épinglés par les rapports de l’Inspection Général d’État (IGE). #FreeSenegal : La révolte de la “Démocratie silencieuse”

 

Au-delà de la lenteur des procédures judiciaires dénoncée au quotidien par les citoyens et des doutes sur la qualité de la justice rendue, le Sénégalais nourrit et alimente des perceptions d’une justice à deux vitesses. L’opinion publique témoigne d’une forme de “politisation de la justice” car au moment où certains sont mis aux arrêts pour des délits d’opinion à travers le cyberespace, d’autres jouissent de leur liberté après avoir tenu des propos aussi dangereux que haineux. Les appels aux meurtres ou les arguments tendancieux colorés de tribalisme constituent le lot des contenus publiés à travers internet. À cela s’ajoutent certaines violations des droits fondamentaux de bon nombre de leaders politiques ou activistes pro-démocratie, notamment en ce qui concerne les arrestations, la détention préventive prolongée et les conditions de détention dans les prisons.

 

Rétrécir les espaces de liberté des sénégalais ou asphyxier les volontés populaires d’expression des mécontentements n’a jamais constitué une solution. Il faut se poser des questions lorsqu’un État démocratique tente de donner du travail aux forces de l’ordre et aux forces de défense. En 2023, la loi des finances propose un budget de 380 milliards de Francs CFA pour le contrôle et le maintien de l’ordre (L’OBS — édition N° 5719 du 24 octobre 2022). À mon sens, le maintien de l’ordre commence par l’esprit républicain, l’application de la constitution ainsi que le respect de la parole donnée. Le meilleur service qu’un chef d’Etat peut rendre à son pays, c’est de tout faire pour éviter la confrontation entre forces de l’ordre et civils.

 

3 — L’équation réseaux sociaux et le bâton

Il est vrai qu’internet ne doit pas être une zone de non-droit mais force est de reconnaître qu’aujourd’hui, les législations restrictives et ou abusives n’ont pas été des solutions. Elles ont plutôt servi d’aubaine à de nouvelles formes de dérives. Les réseaux sociaux sont des canaux neutres de diffusion et d’amplification de contenus. Ils ne diffusent que ce qu’on y produit. Ce que nous y produisons n’est que le reflet de ce qui nous sommes dans la vraie vie. Dites-moi quel type de société vous avez, je vous dirai quel type de cyberespace vous héritez.

 

Cher Macky Sall, si vous voulez combattre les dérives sur les réseaux sociaux, cela ne peut se faire que via 3 piliers :
1 — L’éducation au numérique,
2 — La sensibilisation aux droits du Cyber-espace,
3 — La vulgarisation de la culture de l’hygiène numérique.

 

Par contre, je recommande de se questionner sur la nature et les origines de ses “dérives” qui vous dérangent tant. Cette prise de parole, souvent à l’excès et aux limites de la bienséance, n’est qu’une forme de révolte et de réponses orales aux actes de violences et d’offense posés par les acteurs politiques au pouvoir. Quand des citoyens informés, responsables et patriotiques lisent des rapports qui pointent du doigt des cas de détournement des milliards de Francs CFA collectés pour une réponse collective contre la Covid-19; Quand des enquête médias cite le frère du Président dans un nébuleux dossier à coup de milliards de nos francs sur des contrats pétroliers; Quand un ancien premier ministre est mis sous contrôle judiciaire pour avoir poser une question au Président via une lettre ouverte; Quand le leader de l’opposition dénonce une tentative de vouloir le mettre hors compétition en vue de la prochaine élection présidentielle de 2024; Quand des jeunes sénégalais (14) se sont fait tués lors de manifestation en mars 2021 et qu’au jour d’aujourd’hui (mars 2023) le Président n’a toujours pas cité leur nom et que l’annonce d’une commission d’enquête n’a toujours rien donnée; La liste est très longue … Tout ceci contribue à la fois à alimenter des frustrations et à sédimenter la colère. Cela ne peut-être vécu que comme une forme de violence. Cette violence trouve sa réponse dans le verbe acerbe et offensant de certains jeunes qui n’ont que leurs smartphones et leurs comptes réseaux sociaux pour pensent-ils répondre à la hauteur des coups reçus.

 

Traiter les réseaux sociaux de “cancers des sociétés modernes” et chercher à vouloir mordicus faire de la régulation une nouvelle forme de répression ne fera qu’empirer la situation en vôtre défaveur. Malgré tout, pour combattre le clic, Macky Sall tient à faire le flic online comme si les flics IRL avaient permis d’éduquer les citoyens et d’éradiquer les vols et les agressions.

 

Il n’y a pas lieu d’inventer de nouvelles dispositions légales exclusives aux réseaux sociaux. Le Sénégal dispose déjà d’un arsenal juridique qui prend en compte toutes les formes de dérives et d’infractions commises à travers les réseaux sociaux. Aucune infraction en termes de diffusion de contenus n’échappe au droit sénégalais. Les questions liées aux législations sur la protection des données à caractère personnel et sur la cyber-securité ont été prises en charge par la convention de Malabo. Ce qu’il faudrait faire, c’est tout simplement de s’y aligner pour une harmonisation avec nos lois nationales.

 

Les citoyens sont dans leur rôle de critiquer les actions du pouvoir public. La nature des critiques est souvent à la hauteur des actes posés par les autorités.

 

Enfin, la meilleure manière de limiter les attaques des jeunes en ligne c’est de limiter les attaques contre les libertés, contre la démocratie et contre les droits fondamentaux de tous les citoyens. Le Sénégal n’a pas besoin de se doter d’un dispositif répressif et de contrôle pour rétrécir l’espace civique en ligne et museler l’opinion publique. Par contre sur le continent, il est de coutume d’asphyxier les espaces de liberté quand on se prépare à un processus électoral contesté.

 

Conclusion et pas la fin !

Macky Sall! Le seul et l’unique responsable de cette situation est et restera celui à qui nous avons confié un Sénégal démocratique et stable. Cette situation d’instabilité démocratique et le chaos qui découlerait d’une candidature de trop et d’une probable inéligibilité du principal opposant politique aux élections de 2024 n’honore pas le pays. Élu lors d’une élection démocratique, libre et transparente, le seul mérite qu’il aura, sera de nous rendre un Sénégal stable et paisible.

 

Quand les principes volent aux éclats. Lorsque les règles du jeu démocratique sont bafouées. Quand le citoyen fait l’expérience d’un sentiment d’abandon et souffre d’une justice en brisant toute confiance avec elle. Quand la force défie la raison et quand la provocation est souvent brandie comme la seule arme de la contestation, une transition s’impose et s’opère par les urnes ou par les armes.

 

Dans une démocratie, la méfiance alimente les débats politiques autant que la défiance contribue à écraser des acquis qu’il faudra reconquérir. Hélas, notre situation actuelle nous donne l’impression d’avoir perdu du temps. Au moment où je termine ces lignes, des organisations des droits de l’Homme interpellent sur les longues détentions préventives des activistes, journalistes, opposants politiques et souvent simples citoyens pour le simple fait de revendiquer leur droit. Ces vagues d’arrestations au quotidien n’honorent ni la démocratie sénégalaise, ni notre héritage politique qui est encore à polir ! À ce rythme, faudra penser à transformer les lycées et écoles en prison car tous ces citoyens qui dénoncent et qui promettent de descendre dans la rue ne pourront jamais tenir dans les prisons.

 

Quand un PROJET politique de renforcement de la démocratie est clairement conçu, les actes posés pour sa mise en œuvre se font aisément et les acteurs impliqués le porte dignement. Arrivé au pouvoir après un combat collectif de lutte contre le troisième mandat du Président Wade aurait tout simplement suffit comme motivation (au delà du sens de l’engagement politique) à éviter toutes velléités d’une candidature de trop. Ailleurs et proche de nous (Cap-vert, Nigéria, Niger, Botswana, Ghana … ) la limitation des mandats est respectée et ces démocraties ne font que mieux se porter. Notre situation politique actuelle est la plus dangereuse depuis la décolonisation. Elle est l’une des pires crises que notre démocratie pourrait connaître car c’est la première fois que nos actions collectives depuis les indépendances nous ont permis de bâtir un système démocratique aussi solide et que ce dernier risque de s’effriter comme un château de cartes.

 

La politique ne devrait pas transformer certaines des élites en menteurs. Hélas, sous l’autel d’un monde de modernité, la politique sénégalaise a vomi la morale et la vérité. Les menteurs eux ont ravalé ce vomi !

 

Cheikh Fall
Expert-Consultant démocratie et co-construction
Promoteur de la citoyenneté augmentée
Président AfricTivistes

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