vendredi, novembre 15, 2024
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La liberté de manifester en Guinée : Que dit le droit international des droits de l’homme ?

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Manifestations pour l’instauration de la démocratie en Guinée dans les années 90 avec pour corolaire l’adoption de « Loi anti-casse » réprimant sévèrement les organisateurs. Manifestations contre le troisième mandat des années 2020 suivies de la communication d’un radio message de 23 juillet 2018 interdisant l’exercice de la liberté de manifester sur toute l’étendue du territoire national jusqu’à nouvel ordre, affaire est encore pendante devant la Cour suprême. Prévision de l’exercice de la liberté de manifestation en 2022 autour de la transition suivie de la publication d’un communiqué en date du 13 mai 2022 interdisant les manifestations sur toute l’étendue du territoire national pour une longue durée. Cet exercice descriptif démontre que la liberté de manifester en Guinée est l’une des libertés qui a fait objet de plus d’atteintes dans sa substance, par delà des régimes qui se sont succédé dans le pays. Dans la présente contribution, en se fondant sur la théorie des libertés fondamentales et sur le droit international des droits de l’homme, nous nous interrogerons sur l’essence de la liberté de manifester et de ses limites comme un droit de l’homme à part entière en Guinée, nous rappellerons le contexte de son interdiction générale qui constitue une violation flagrante de son exercice et nous terminerons par indiquer le mécanisme par lequel les autorités doivent agir afin de garantir son plein exercice de manière compatible avec le maintien de l’ordre et la sécurité en Guinée.

La liberté de manifester n’est-elle pas un droit de l’homme pleinement reconnu et garanti en Guinée ?

D’emblée, la réponse à cette interrogation est affirmative. La liberté de manifestation pacifique est un droit pleinement reconnu et garanti en Guinée. La Charte de la Transition de la Guinée de 2021 reconnait cette liberté en article 34. Elle y ajoute en son article 8.2 qu’ « aucune situation d’exception ou d’urgence ne doit justifier les violations des droits humains ». En outre, la Guinée souligne son adhésion à la Déclaration universelle des droits de l’homme, les Pactes de 1966 dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples dont les dispositions respectives (art.20, 21 et 11) garantissent la liberté de manifestation. Cette liberté indique que toute personne a la liberté de manifester dans le respect de l’ordre et la sécurité publique. Les limitations à cette liberté sont prévues par les lois du pays et elle s’exerce librement, comme tout autre droit de l’homme.

L’interdiction générale de l’exercice de la liberté de manifester en Guinée sur toute l’étendue du territoire national pour une longue durée ne viole –telle pas la substance même de ce droit de l’homme ?

A l’exception de ce que la doctrine a qualifié de « noyau dur » constitué par le droit à la vie, l’interdiction de la torture, l’interdiction de l’esclavage et le principe de non rétroactivité de la loi pénale, les droits de l’homme peuvent faire objet de limitations en temps normal comme en période de crise ; elles peuvent être même suspendues suivant des conditions bien définies que sont la légalité, nécessité et la temporalité. Ainsi la liberté de manifester n’est pas sans limites. Elle peut faire l’objet de restrictions et de suspension. Cependant, ces restrictions et suspension, pour être normales, doivent obéir à des conditions strictes. Non seulement, elles doivent être légalement prévues mais aussi elles doivent poursuivre un but bien défini parmi les motifs liés à l’ordre public, la sécurité publique et la santé publique, entre autres. Elles ne doivent pas être permanentes, elles doivent être circonscrites dans le temps et dans l’espace. A la lumière de ces considérations, l’interdiction générale de la liberté de manifestation en Guinée sur des vastes étendues (l’ensemble du territoire national) pour une longue durée (jusqu’aux campagnes électorales) sans un motif réellement plausible (risque d’atteintes probables de compromission de la quiétude sociale) constitue une violation de la substance même de cette liberté.

Que doivent faire les autorités publiques afin d’assurer la garantie de l’exercice de la liberté de manifester en  Guinée de manière compatible avec l’ordre publique et sécurité de toutes et de tous les citoyens ?

Le discours du Président de la Transition du 5 septembre 2021 prône l’instauration de la démocratie et le respect des libertés fondamentales tant bafoués par les régimes précédents. L’exercice de la liberté de manifester étant un des droits de l’homme nécessaire à démocratisation de l’espace public et à la libre expression des citoyens doit être pleinement respecté. Ce respect exige des autorités non seulement la garantie de son libre exercice par un encadrement cohérent et le cas échéant, des sanctions appropriées pour toute violation des limites de son exercice. Au besoin, lorsque les circonstances le requièrent, le gouvernement peut adopter des suspensions circonscrites dans des zones bien indiquées et pour un temps bien défini, suspensions dictées par des motifs réels de protection de l’ordre public, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, gardienne des libertés fondamentales. La levée de la présente suspension de la liberté de manifester par les autorités guinéennes est une impérieuse nécessité afin de s’aligner sur les valeurs de démocratie et des droits de l’homme qu’elles ont souscrites et sur les obligations internationales de la Guinée issues des conventions librement ratifiées qu’elles se sont engagées à respecter.

La garantie des droits de l’homme, au rang desquels figure la liberté de manifester, constitue une indispensable clef pour l’amorce de l’instauration de l’Etat de droit en Guinée et pour l’occupation de la place qui lui revient dans le concert des nations et ce, au bénéfice de toutes les filles et tous les fils du pays.

                                                                                                           Conakry, le 31 mai 2022

-Juris Guineensis No 30.

Dr Thierno Souleymane BARRY,

Docteur en droit, Université Laval/Université de Sherbrooke (Canada)

Professeur de droit, Consultant et Avocat à la Cour

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