dimanche, septembre 29, 2024
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Coup d’Etat en Guinée : Aboubacar Diallo directeur exécutif du CECIDE à coeur ouvert (interview)

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En Guinée, l’actualité reste dominée par l’avènement au pouvoir du CNRD et les actes que ce comité militaire est en train de mener, notamment les concertations nationales. Tant du côté de la classe politique que de la société civile, la majorité apprécie la chute d’Alpha Condé et considère la transition en cours comme une occasion de remettre
le pays sur la voie de la démocratie. Dans une interview grand format accordée à Laguinee.info, Aboubacar Diallo, directeur exécutif du Centre du Commerce International pour le Développement (CECIDE), a abordé en
long et large la nouvelle ère qui prévaut en Guinée depuis le 05 septembre 2021.
Décryptage !

Laguinee.info: le colonel Mamady Doumbouya est à la tête du pays depuis le 05 septembre 2021 ce, après avoir renversé le président Alpha Condé. En tant qu’activiste de la société civile, comment avez-vous vécu ce changement de régime inattendu ?
Aboubacar Diallo: par rapport à la prise du pouvoir par l’armée, je crois que tout le peuple de Guinée s’en réjouit et cela a été vérifié et démontré à travers la liesse populaire et l’acclamation réservée au CNRD. Le CNRD a fait le coup d’Etat à un moment où la Guinée était au bord du chaos et au bord de l’implosion sociale. Donc la prise du pouvoir par le CNRD ne peut être que salutaire même si cela ne va pas sans inquiétudes. Le CNRD est venu à un moment où il y a eu trop de morts. J’ai entendu le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya dire qu’il y a eu des morts pour rien. Donc,
c’est une fois encore une joie pour moi de constater ce changement de régime.
Laguinee.info: l’une des actions majeures du CNRD en cours, ce sont les concertations nationales. Quelle est votre perception de ces rencontres avec les composantes de la nation ?
Aboubacar Diallo: je pense que la concertation nationale engagée par le CNRD est salutaire dans la mesure où il y a un adage qui dit « qui va lentement va sûrement, qui va sûrement va loin ». Donc il est important de
recueillir l’avis de l’ensemble des couches socioprofessionnelles du pays, de toutes les personnes ressources internes. Je crois que si cela est fait et
ça a été fait sur la base du sérieux, je me dis que tout plan qui en sortira ce sera un plan qui sera axé sur la réussite. Ce ne sera pas, à mon sens, un géant au pied d’argile. Je crois et j’ose espérer qu’au sortir de ces consultations la Guinée pourra être dotée d’un calendrier de transition apaisée qui aura pris en charge des préoccupations de l’ensemble des
couches socioprofessionnelles.
Laguinee.info: c’est la 3ème fois que l’armée s’empare du pouvoir. Le dernier cas en date remonte au 05 septembre dernier. En plus, on constate que des erreurs ont été commises lors de la transition de 2008-2010. Avec le CNRD, avez-vous des inquiétudes ?
Aboubacar Diallo: oui j’ai des inquiétudes. Je crains que le nouveau chef d’Etat ne soit mal entouré ou je crains qu’il soit entouré de personnes plutôt préoccupées par le moi, qui cherchent à défendre leurs intérêts personnels. En Guinée, généralement les Présidents qui viennent au pouvoir viennent avec l’esprit très propre, mais l’expérience a prouvé qu’avec le temps, il y a des personnes qui sont des fabricants de dictateurs.
C’est-à-dire qu’elles amènent toujours les présidents à éduquer le culte de la personnalité. Ceci est aussi propre à la Guinée. Tous les régimes qui sont passés, au départ les chefs de ces régimes viennent avec des slogans de
transparence, des slogans qui vont dans le cadre de la résolution des problèmes socio-économiques et culturels de la population. Mais quelques instants après, les gens changent. Le président déchu, il n’y a pas ce qu’il
n’a pas dit. Quand il est arrivé, il était venu avec des intentions exprimées dans des discours très propres et très utiles au peuple de Guinée. Mais dès qu’il a accédé au pouvoir, la première des choses qu’il a posée c’est
d’approcher l’équipe qu’il a combattue. Donc je crains aussi que ça ne soit le cas avec cette nouvelle équipe qui est là et qui est en train de marcher lentement mais sûrement. C’est une junte qui n’est pas fracassante dans
sa prise de décision. Pour preuve, jusqu’à présent, je n’ai pas d’information sur la composition du Comité National du Rassemblement et du développement CNRD. Jusqu’à présent les guinéens ne savent pas quel comité est en charge d’incarner la transition. Je ne sais pas qu’est-ce qui
se pose. Comme la formation d’un gouvernement de transition va venir après l’élaboration de la charte qui sera assortie des différentes consultations mais la composition du CNRD n’a pas besoin de ça. Il y a une précision qu’il faut donner: ce que le Comité National de Rassemblement
et pour le Développement (CNRD) n’aura pas une vocation de développement mais la première vocation sera de déblayer pour un gouvernement civil qui aura pour charge d’incarner la politique du changement. Donc la première des choses que le CNRD doit poser, à mon sens, est d’abord de composer son propre comité mais à partir du moment
où près de trois semaines, même le bureau CNRD n’est pas composé, j’en suis inquiet. Cette inquiétude est renforcée par un nouvel aspect. Je comprends l’intérêt des nouveaux dirigeants de collaborer avec tout le monde, mais je voudrais préciser ici que le changement c’est la révolution et la révolution est changeante, car il y a forcément des personnes qui méritent d’être isolées et qui ne méritent plus de s’exprimer publiquement. Il ne faudrait pas qu’on retombe dans les mêmes erreurs comme l’a dit le président Doumbouya, et pour cela il ne faut pas qu’on
donne la parole à tout le monde à l’instant. Il y a des personnes qui ne méritent plus la parole. Prenez par exemple l’équipe sortante! En tant qu’acteur de la société civile, je ne peux pas comprendre que des personnes meurent par la faute des gens et que ce sont des mêmes gens qui viennent s’asseoir pour donner des solutions du développement qu’ils n’ont pas pu exécuter. Et je ne peux rester bouche cousue devant cette inquiétude- là qui est énorme pour moi. Je demande au président de comprendre que tous ceux qui parlent autour de lui, ne sont pas forcément ses amis. Il y a des personnes qui parlent pour se faire plaire mais si elles ont l’occasion, elles passeront à l’acte. Donc je demande au président de bien nettoyer, de bien veiller à son entourage. C’est extrêmement important. Le changement ne se fait pas avec tout le monde mais avec une équipe restreinte et précise.
Laguinee.info: certaines sociétés minières ont été autorisées à continuer à fonctionner. Qu’en dites-vous?

Aboubacar Diallo, directeur exécutif du Centre du Commerce International pour le Développement (CECIDE)

Aboubacar Diallo: c’est une décision que j’apprécie à moitié. Si ma voix pouvait être portée à la classe dirigeante, j’allais lui dire que c’est une décision qui mérite d’être revue. Pourquoi? L’ONG que je dirige aujourd’hui, est une organisation de la société civile guinéenne qui est
créée depuis l’an 2000. Son objectif, c’est la promotion et la défense des droits des communautés à la base mais aussi la prise en compte de celles-ci dans la définition et la mise en place des politiques publiques de développement. Nous développons beaucoup de programmes thématiques et parmi les programmes thématiques, il y en a un qui
travaille sur les ressources naturelles. Ce programme-là, avant d’être directeur exécutif par intérim, était dirigé par moi. Donc j’ai eu l’honneur de diriger ce programme thématique du CECIDE pendant 10 ans et nous
travaillons essentiellement sur les questions minières. Donc j’ai une somme d’informations sur les sociétés minières pratiques, et si je dis que je salue cette décision à moitié, c’est en connaissance de cause.

Laguinee.info: vous dites que vous saluez cette décision à moitié. Pourquoi ?
Aboubacar Diallo: la première moitié, c’est la salutation. Je sais qu’il y a beaucoup d’activités qui sont en cours en République de Guinée qui sont liées à l’exploitation minière précisément de la bauxite. Quand je prends la route nationale n°1, c’est une route qui est en train d’être faite contre la bauxite ramassée par les sociétés chinoises. Et, si on arrête l’activité minière, la réalisation de cette route va aussi s’arrêter parce qu’elle est liée à l’exploitation de la bauxite. Alors qu’il y a beaucoup d’autres activités
dont j’ignore qui sont liées à l’exploitation minière également. De ce point de vue, c’est salutaire même si cette même société mérite d’être à la longue revue parce qu’il y a beaucoup de problèmes qui ont caractérisé son installation. Les causes du contrat et l’étude d’impact environnementale et sociale de la SMB a été malmenée, mais ce je n’apprécie pas et je veux porter à la connaissance de la nouvelle classe
dirigeante, qu’ il y a plus de sociétés minières fantômes qui échappent au fisc guinéen que de sociétés minières officielles. Je prends par exemple l’exploitation des substances minières autres que celles de la catégorie
un à Siguiri, Mandiana, Kouroussa, Dinguiraye, Kérouané, etc., j’ai découvert des sociétés minières connues de personne qui sont en train d’exploiter de l’or ou du diamant dans les brousses et qui appartiennent mêmes aux petits fils de certains ministres ou grands cadres sortants. Tout
le monde souhaite que le CNRD réussisse, mais le CNRD ne peut pas réussir sans les moyens de sa politique et on sait que la CEDEAO condamne la prise du pouvoir et exige un délai de 6 mois. Donc ça veut dire que la communauté internationale n’enverra pas de l’argent et par conséquent le
CNRD va devoir balayer l’assiette fiscale afin d’avoir un peu de l’argent pour faire face à tous les besoins de financement futurs qui sont énormes. Le CNRD a beaucoup de domaine de travail qui nécessitent des dépenses. Un kilo d’or aujourd’hui se négocie au minimum à 600 millions de francs
guinéens et tout échappe à la population guinéenne alors l’ensemble de ces sociétés fantômes exploitent plusieurs kilos ou de carats par jour.
Si le CNRD doit permettre à certaines sociétés de travailler, il y’en a d’autres qui doivent être stoppées pour éviter l’hémorragie financière.
Laguinee.info: ce qui est arrivé le 05 septembre dernier, beaucoup pensent que c’était prévisible. Est-ce que vous êtes d’avis?

Aboubacar Diallo: oui! Mais on ne savait pas quand. Quand même, je savais que ça ne pouvait pas continuer. Autour du président de la République déchu, il y en avait beaucoup qui étaient avec lui pas pour le développement du pays, mais c’est pour protéger leurs propres intérêts. Pourquoi je le dis? La situation socio-économique était délétère, le coût de
la vie était devenu insupportable pour le peuple de Guinée. Or, un Etat ne doit son existence qu’à la prise en compte des problèmes socio-économiques. Ses fonctions régaliennes c’est d’assurer la sécurité des personnes et leurs biens, de contribuer à améliorer le panier de la ménagère. Mais qu’est-ce qui s’est passé en moins d’un an? On a augmenté
les prix qui ont des répercussions directes sur le citoyen lambda. Au même moment, ils ont augmenté le coût d’acquisition du permis de conduire pour les chauffeurs, le coût d’acquisition du carte d’identité, c’est vrai que
c’est pour sécuriser mais le prix est exorbitant et ce qui est pire, tu vas pour prendre une carte d’identité, on te dit que c’est à 160.000 francs guinéens, mais tu ne verras personne qui va le faire pour toi à ce prix. Tu vas payer
jusqu’à 400.000 francs guinéens pour avoir une nouvelle carte d’identité biométrique. Ça a un impact sur la vie des citoyens et je ne vous cite pas le prix du passeport. Entre temps, la plaque connaît une augmentation du prix et ce qui est grave dans ça, le changement de plaque ne concerne pas
les nouvelles importations seulement, ça concerne même ceux qui avaient payé des plaques. C’est injuste et ça ne favorise pas le maintien d’un chef d’Etat au pouvoir. Ce qui a changé aussi, quand vous prenez l’aspect carburant, c’est au même moment que le prix du litre de carburant est augmenté de 2000 francs guinéens et le prix du transport n’a même pas pu être fixé. Les autorités augmentent le prix du carburant et elles demandent à ce que les transporteurs n’augmentent pas le prix du transport. Donc la conséquence est que les transporteurs ont doublé le prix. Au même moment, ce sont les fonctionnaires qui payent les frais. Tout ça en l’espace d’un an. Le fonctionnaire guinéen est le fonctionnaire qui est l’un des plus mal payés dans la sous-région. Un fonctionnaire l’hiérarchie A qui a dix ans de service public est rémunéré à environ GNF 2 300 000. Est-ce
que cela pouvait laisser alors un militaire patriotique tranquille ou toute personne soucieuse du bien être de sa communauté? Personne ne pouvait laisser ça s’il avait les moyens de changer. Donc le changement est arrivé
dans ce contexte et par conséquent c’était prévisible.

Laguinee.info: ça fait déjà plus de trois semaines que le CNRD dirige le pays, et l’on ne sait toujours rien de la durée que prendra la transition. Personnellement, vous proposez combien de mois?

Aboubacar Diallo: moi j’ai besoin de beaucoup de temps pour la transition, mais il y a un problème qui est là. Néanmoins nous sommes dans des organisations sous-régionales et internationales. On ne peut plus vivre dans l’autarcie économique. On est obligé de tendre la main à
l’extérieur et tant qu’on est obligé de tendre la main à l’extérieur, l’extérieur nous dictera une partie de sa politique. Ce qu’on n’est pas obligé d’accepter d’emblée mais on ne peut pas échapper en quelques sortes à ce dictat. C’est une réalité. Aucune nation ne peut vivre dans l’autarcie économique. Chacun est obligé de tendre la main à l’extérieur. La CEDEAO exige six mois et les autres organisations internationales vont s’aligner derrière cette décision. Mais six mois, c’est petit pour régler tous les maux de ce pays qui se trouvent dans tous les secteurs du développement économique. Donc, j’estime que 2 ans suffisent largement à la junte pour baliser les chemins pour un gouvernement démocratiquement élu. Pour terminer, le CNRD a dit qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières mais je voudrais dire aux nouvelles autorités que les sorciers doivent être chassés et on ne doit pas attendre des audits pour
mettre main sur des cadres véreux qu’on connaît. Il faut isoler les gens pour attendre l’expression des audits parce que la nouvelle autorité doit comprendre que son mandat final c’est l’organisation des élections libres et transparentes. Son mandat n’est pas de mettre en œuvre des projets de
développement. Son mandat s’inscrit dans une transition qui consiste à préparer le terrain pour un gouvernement civil. Mais si cette transition est menée à bon port, je suis convaincu que le Président de la transition pourra revenir dans une autre forme de ténue.
La rédaction

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