C’est avant tout un message adressé à la communauté internationale. Ça ne change rien pour la majorité des Afghans que nous voyons ici, puisque c’est ce qu’ils vivent depuis dix jours, rapporte notre envoyé spécial à Kaboul, Vincent Souriau. Interdiction de passer les barrages talibans. Pour les avoir vus à l’œuvre il y a quelques minutes, personne n’a envie de forcer ces barrages talibans, encore moins lorsque vous avez un bébé dans les bras, parce qu’ils n’ont pas de limites.
Ainsi, un peu plus tôt, à la principale porte de l’aéroport, il a fallu courir parce qu’ils sortent le fouet et qu’ils tapent au hasard. Il y a trop de monde, ne savent pas gérer et n’ont pas envie d’être là pour faire du maintien de l’ordre… donc ils bloquent tout et s’énervent très vite.
Des milliers de personnes abandonnées
On voit des dizaines, des centaines de personnes qui ont des passeports étrangers, des passeports britanniques par exemple. Ils les montrent, les agitent. Ces passeports sont leur vie mais ils ne peuvent pas passer, on les en empêche et personne ne va venir les chercher parce que c’est trop dangereux. Parce que les troupes étrangères sont dans l’enceinte de l’aéroport et n’en sortent pas. Cela signifie que des milliers de personnes, peut-être des dizaines de milliers, qui ont des papiers occidentaux, qui ont des visas, qui ont tout dépensé pour venir à Kaboul, tous ces gens vont être abandonnés à leur sort.
C’est le cas de cette militante des droits civiques, contactée par Justine Maurel du service international de RFI. Originaire de Kandahar, cela fait cinq jours qu’elle est bloquée devant l’aéroport, les talibans l’empêchent d’entrer : « Ils m’ont frappée avec des bâtons au niveau du dos. Je leur ai dit plusieurs fois que je suis une militante des droits civiques et mes proches attendent dans l’aéroport. Je leur ai dit « vérifiez juste mes papiers. S’ils sont faux, je suis sûre que je ne rentrerai pas dans l’aéroport ». Mais ils ne vérifient pas mes papiers. Ils acceptent des pots de vin de la part de Pachtounes qui n’ont aucun papier d’identité, qui ne parlent même pas anglais, qui viennent de régions éloignées, et ils les font entrer dans l’aéroport. D’autres communautés comme les Hazaras, Turkmènes, Ouzbeks, Tadjiks, ne sont pas autorisées à entrer dans l’aéroport. C’est sûr que les défenseurs des droits des femmes, les militants politiques, se feront tuer par les talibans parce que dans ce genre de crise, personne n’a de droits. Et ces visas, ces citoyennetés, font partie des droits des femmes politiques, les défenseurs des droits des femmes, ceux qui sont directement sous la menace des talibans. »
« Nous avons besoin des troupes américaines »
La décision de Joe Biden inquiète de nombreux Afghans encore sur place, comme ce militant des droits humains joint par téléphone à Kaboul et qui souhaite rester anonyme.
« C’est un gros problème pour les Américains, pour la communauté internationale. Ils sont restés vingt ans en Afghanistan, ils ont contrôlé le pays, ils nous ont aidés. C’est une mauvaise décision. Ils n’ont pas battu les talibans, le terrorisme, le racisme qui est très présent en Afghanistan. Ils ne se battent pas, et ces gros problèmes vont revenir dans le pays. Nous avons besoin des troupes américaines. Si elles partent, beaucoup de gens seront victimes du terrorisme. Nous sommes déjà en train de souffrir de ça, nous ne savons pas ce que nous allons devenir.
Je suis un militant des droits humains, les talibans m’ont mis en garde, ils m’ont demandé : « pourquoi tu publies des choses contre nous sur Facebook ? ».
Alors maintenant, je me cache, je suis en train de vivre une vie secrète, je ne sais pas quoi faire. Les talibans tuent les militants des droits humains, ils tuent des gens. Ils interdisent les femmes de travailler, d’aller à l’école, à l’université. Ils ne croient pas aux droits humains. »
(Avec RFI)