Dans une lettre adressée au ministre de la Justice, garde des sceaux en date du 20 août 2021 dont Laguinee.info détient copie, l’ancien président de la délégation spéciale de Kindia a rappelé les circonstances de la révocation de son régime de semi-liberté. Ce haut cadre de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) indique qu’il n’a nullement violé les conditions de ce régime de semi-liberté. Plus loin, Abdoulaye Bah exige son jugement dans les meilleurs délais.
Laguinee.info vous propose ci-dessous cette lettre de Abdoulaye Bah, membre du conseil politique de l’UFDG
Abdoulaye BAH
Membre de l’UFDG
Détenu à la Maison
Centrale de Conakry
Monsieur le Ministre de la
Justice, Garde des sceaux
Conakry
Monsieur le Ministre,
J’ai bénéficié avec trois de mes codétenus d’un régime de semi-liberté pour raisons médicales par décision en date du 16 juillet 2021 du Directeur National de l’Administration Pénitentiaire et de la Réinsertion.
Pendant que j’étais à mon domicile, j’ai reçu le samedi 07 août 2021 aux environs de 16 heures un appel téléphonique du Directeur National de l’Administration Pénitentiaire qui, après les salutations d’usage, m’a informé qu’il voulait me rencontrer le lundi 16 août 2021à son bureau sans en indiquer les raisons.
C’est ainsi qu’à cette date, je me suis rendu effectivement au ministère de la Justice, accompagné de mon père âgé de près de 80 ans et d’un de nos avocats que j’ai pu joindre.
Arrivé sur les lieux, je me suis présenté au bureau du Directeur National de l’Administration Pénitentiaire qui m’a reçu avec les personnes qui m’accompagnaient. Il m’a laissé à son secrétariat en compagnie notamment de Elhadj Ibrahima Chérif BAH. Une vingtaine de minutes après, il est revenu avec environ quinze hommes en uniforme (policiers, gendarmes et gardes pénitentiaires) dont certains étaient porteurs d’armes. Il m’a dit que j’ai violé les termes et conditions du régime de semi-liberté sous lequel j’étais placé et que pour ce motif la mesure est retirée.
Je précise qu’il ne m’a à aucun moment indiqué l’obligation que j’ai violée. Il a tout simplement ordonné aux hommes en uniforme avec lesquels il était de m’embarquer et de me déposer à la maison centrale.
Telles sont les circonstances de ma réincarcération.
Ainsi, le jour où j’ai été reconduit au sein de l’établissement pénitentiaire, j’étais dans l’ignorance totale des faits qui m’étaient reprochés et qui ont motivé le retrait de ma semi-liberté.
Ce n’est que quelques jours plus tard que j’ai été informé que j’ai tenu des propos dans une vidéo qui a été publiée via les réseaux sociaux. Dans cette vidéo, j’ai déclaré entre autres que Monsieur Cellou Dalein DIALLO est le président élu de la République de Guinée et que Monsieur Alpha CONDE est un ancien président.
Il est important que je revienne sur les circonstances de l’enregistrement de cette vidéo.
En effet, au lendemain de mon placement en semi-liberté, des centaines de citoyens, des parents, des amis se sont rendus à mon domicile pour s’enquérir de mon état de santé, me saluer, m’encourager et se réjouir de ma libération. A cette occasion, beaucoup d’entre eux ont sollicité soit avoir une photo avec moi, soit se filmer en ma compagnie.
Dans mon entendement, ces photos et ces vidéos étaient destinées à être simplement gardées par les intéressés et non à être publiées. Je précise que tous ceux qui prenaient ces photos ou faisaient ces vidéos avec moi étaient de bonne foi et n’avaient aucune intention malveillante.
Je suis donc surpris que ce discours que j’ai tenu dans un cadre strictement privé soit considéré comme un appel à la désobéissance civile et une atteinte aux institutions de la République.
Il me paraît utile de rappeler que dans le cadre du régime de semi-liberté qui m’a été accordé, ainsi qu’à trois autres détenus, j’étais soumis à trois obligations :
Ne pas sortir de Conakry sans autorisation préalable de l’Administration Pénitentiaire;
Continuer mon traitement médical ;
Répondre à toute réquisition de l’Administration Pénitentiaire.
Il n’a été mentionné nulle part que je ne devais pas tenir un discours politique. Sinon, je me serais conformé à cette exigence, non pas par renonciation à mes convictions politiques qui restent intactes, mais par souci de respecter mes obligations. Dès lors, il m’est incompréhensible que le Directeur de l’Administration Pénitentiaire se fonde sur un élément ou un fait qui ne figure pas dans les termes et conditions du régime de semi-liberté pour me réincarcérer.
En toute logique, et même pas en droit seulement, il est absolument curieux pour ne pas dire plus, qu’une personne soit sanctionnée pour violation d’une règle, d’une obligation qui n’a pas été préalablement portée à sa connaissance. Le principe même de la sanction repose sur l’information ou l’avertissement préalable d’un éventuel transgresseur.
En tout état de cause, j’assume pleinement le discours que j’ai tenu car il est conforme à la ligne de mon parti. Et c’est pour cette raison d’ailleurs que les principaux responsables dudit parti, à commencer par le premier d’entre eux, et les militants reprennent incessamment et à longueur de journée le même discours. A ma connaissance, je suis en détention provisoire en attendant mon procès. Je n’ai donc pas été condamné et, a fortiori, je n’ai pas perdu mes droits civiques et politiques.
Considérer un tel discours comme un appel à la désobéissance civile ou une atteinte aux institutions de la République me parait excessif.
En effet, « la désobéissance civile est le refus assumé et public de se soumettre à une loi, un règlement, une organisation ou un pouvoir jugé unique par ceux qui le contestent, tout en faisant de ce refus une arme de combat pacifique ».
Je n’ai lancé aucun appel dans ce sens.
Quant aux atteintes aux institutions de la République, je ne crois pas non plus avoir posé un quelconque acte dans ce sens à moins que la signification des infractions entrant dans ce cadre n’ait subitement changé.
En rappelant ces éléments, je n’ai nullement la prétention de donner des leçons à qui que ce soit. J’essaie simplement d’exprimer mon incompréhension face à la situation dans laquelle je me trouve. C’est aussi une manière pour moi de proposer une autre lecture de cette situation pour une meilleure décision.
En tout état de cause, si ces éléments étaient insuffisant pour changer le cours des choses, je souhaiterai dans cette hypothèse, l’ouverture de mon procès afin que je puisse m’expliquer et me défendre relativement aux charges retenues contre ma personne.
En effet, il est pénible pour un détenu d’être dans l’ignorance totale de la date à laquelle il pourrait être jugé. Si je ne peux être mis en liberté en attendant mon procès et en tenant compte de mon état de santé, je pense avoir le droit, sauf erreur de ma part, de demander d’être présenté devant le juge afin d’être situé sur mon sort. Si en dépit de l’inexistence des faits qui me sont reprochés j’étais condamné, je considérerais cela comme mon destin et j’accepterai avec dignité. Cela est infiniment mieux que d’être détenu à durée indéterminée sans avoir été jugé.
Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, en l’assurance de mes sentiments respectueux.
Abdoulaye BAH