« La France a eu son 18 juin, la Côte d’Ivoire aura son 17 juin ! » Dans un pays où les formules portent, les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo ne se privent pas d’afficher haut et fort leur revanche sur l’histoire. Après dix ans d’absence, l’ancien chef de l’État, qui a été définitivement acquitté en mars 2021 par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, a soigneusement chorégraphié son retour au pays. Le paysage politique ivoirien pourrait s’en ressentir.
Le Front populaire ivoirien (FPI), parti créé par Laurent Gbagbo, a beau être divisé, il a réussi à mobiliser près de 70 délégations à travers le pays pour s’assurer de faire le plein le jour J. Son secrétaire général de la jeunesse, Nestor Dahi, est sur la route depuis le 8 mai. « Vous savez que les médias n’arrivent pas dans le fin fond des campements. Les réseaux sociaux n’y sont pas. Donc, il faut que nous-mêmes, nous nous dépêchions auprès des populations pour leur expliquer que nous voulons que cet événement soit grand, qu’il soit exceptionnel et qu’il marque les mémoires des Ivoiriens et du monde entier », déclarait-il samedi à Yakasse Attobrou, près d’Adzope, à une centaine de kilomètres au nord d’Abidjan. Pour Nestor Dahi, si l’expression « retour au pays » est sur toutes les lèvres, celle du « retour au pouvoir » l’est aussi. « Les pro-Gbagbo ne font pas la guerre. Ils ne sont pas violents mais ils disent ce qu’ils pensent », explique le responsable de la jeunesse, qui attend avec impatience de retrouver son mentor.
Laurent Gbagbo ira-t-il en prison ?
Dans les rues d’Abidjan, les opposants au retour disent aussi ce qu’ils pensent. Pour Issiaka Diaby, président du Collectif des victimes de Côte d’Ivoire (CVCI), Laurent Gbagbo devrait être arrêté car il est sous le coup d’une décision de la justice ivoirienne de 2018. L’ancien président a en effet été condamné à 20 ans de prison pour avoir fait ouvrir illégalement, en 2011, les coffres de la BCEAO (Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest). Mais ses partisans affirment que d’autres agences bancaires ont aussi été braquées par les Forces nouvelles (FN) qui tenaient le nord du pays, et surtout, qu’au plus fort des sanctions contre le régime, ces fonds auraient servi à payer les fonctionnaires. « Si cet argent a servi à payer les fonctionnaires, qu’on vienne nous l’expliquer ! », s’exclame Issiaka Diaby, qui assure qu’il ne faut pas mélanger les décisions de la justice internationale et celles de la justice ivoirienne.
Toutefois, les victimes ne sont pas toutes du même avis. « C’est une demande minoritaire. Toutes les associations de victimes sont unanimes, l’affaire du casse de la BCEAO n’a rien à voir avec les victimes (de la guerre) », explique Bruce Touohiri, de la plateforme des Associations des victimes survenues en Côte d’Ivoire.
Alors, quelles probabilités pour que Laurent Gbagbo purge la peine de 20 ans de prison décidée par la Cour suprême ivoirienne ? Pour Geoffroy Kouaou, politologue et enseignant en droit public, elles sont très faibles : « Le parquet, c’est-à-dire le ministère public, a dit qu’il s’inscrivait dans cette dynamique de réconciliation nationale et que ses actions publiques tiendraient compte de cette volonté politique. »
Si la justice ivoirienne ne l’amnistie pas, Laurent Gbagbo pourrait aussi être gracié par l’actuel président Alassane Ouattara. Début avril, il a donné son feu vert au retour de son ancien rival, au nom de la réconciliation nationale. Si la date n’a pas été choisie par le gouvernement, qui a finalement « pris acte » du retour, force est de constater que personne ne s’y est jamais opposé. Laurent Gbagbo arrivera à Abidjan, jeudi 17 juin à 15 h 45, sur un vol régulier en provenance de Bruxelles. Il sera accueilli au Pavillon présidentiel de l’aéroport Felix-Houphouët-Boigny, où il devrait prononcer un discours dans l’heure suivante. Il rejoindra ensuite son ancien QG de campagne de 2010 à Attoban, non loin du 30e arrondissement.
Emportez l’actualité internationale partout avec vous ! Téléchargez l’application France 24
« On a acheté des sacs de riz, on ne sait jamais ce qu’il peut se passer »
Si la journée s’annonce chargée, les Ivoiriens s’affichent plutôt soulagés que l’ancien président rentre enfin chez lui. Pour beaucoup, ce retour s’inscrit dans une logique de paix et de continuité. Selon un responsable de l’armée ivoirienne, les forces de l’ordre seront quand même discrètement déployées dans la capitale, afin de parer à tout débordement. En Côte d’Ivoire, on a pris l’habitude d’être prudents. « On a acheté des sacs de riz qu’on peut garder, au cas où il y a des choses encore qui vont se passer, parce qu’on ne sait jamais », assure Rosine, coiffeuse à Yopougon.
Reste à savoir ce que l’après 17-juin réserve aux Ivoiriens. Quand les questions de tapis rouge, d’émoluments et de sécurité personnelle de l’ancien chef de l’État seront réglées, son rôle dans la politique ivoirienne se posera. Va-t-il ou non reprendre les rênes de son parti, fortement divisé depuis sa détention ? Quelle position va-t-il adopter face à son épouse Simone, qui jouait à l’époque un rôle crucial à ses côtés ? On sait qu’il vient avec sa compagne, Nady Bamba, qui pourrait aussi avoir un impact sur son positionnement politique. Quel rôle jouera Pascal Affi N’Guessan, candidat a l’élection présidentielle ivoirienne du 31 octobre dernier, qui dirigeait une faction du FPI opposée a Laurent Gbagbo ? Et quid aussi de Charles Blé Goudé, l’ancien leader des jeunes patriotes, lui aussi amnistié mais dont le retour est toujours en suspens ?
Autant de questions qui restent sans réponse. Le trio d’ex-chefs d’État qui écrase la vie politique ivoirienne depuis 30 ans va en tout cas devoir se reconstruire. Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, alliés ou rivaux en fonction des circonstances, vont réapprendre à vivre ensemble.
(Avec France 24)