La Guinée est considérée comme un mauvais élève en matière de respect des droits de l’homme. Dans un rapport qu’il a publié ce mercredi, 7 avril 2021 et dont Laguinee.info a reçu copie, Amnesty International révèle des nombreux cas de violation des droits humains commis contre les militants prodémocratie de 2020 à nos jours. L’ONG internationale rejette la responsabilité aux gouvernants. Ce rapport accablant vient confirmer les accusations portées contre la Guinée il y a quelques jours par le Département d’Etat Américain.
Laguinee.info vous propose ci-dessous, l’intégralité dudit rapport.
GUINÉE République de Guinée Chef de l’État :Alpha Condé Chef du gouvernement : Ibrahima Kassory Fofana Des violations des droits humains ont été commises dans le contexte d’une modification controversée de la Constitution et des résultats contestés de l’élection présidentielle. Des dizaines de personnes ont été tuées par des membres des forces de défense et de sécurité lors de manifestations, et les auteurs de ces homicides demeuraient impunis. Des membres de partis politiques d’opposition
Amnesty International — Rapport 2020/21225 et des militant·e·s en faveur de la démocratie ont été arrêtés et détenusarbitrairement. Le droit à la libertéd’expression et le droit de réunion pacifiqueont fait l’objet de restrictions. Le droit à lasanté des prisonnières et prisonniers étaitmis à mal par une surpopulation chroniqueet des conditions de détention déplorables.CONTEXTEÀ partir du mois de mars, les autorités ontdécrété l’état d’urgence pour faire face à lapandémie de COVID-19 et pris des mesuresqui restreignaient, entre autres, le droit decirculer librement et le droit à la liberté deréunion.En mars, le Front national pour la défensede la Constitution (FNDC), une coalition departis politiques et d’organisations de lasociété civile, a été l’instigateur demanifestations de grande ampleur contre unprojet de réforme de la Constitution qui devaitautoriser le président de la République àbriguer un troisième mandat. Il a égalementappelé à boycotter les élections législatives etle référendum sur la Constitution, qui ont eulieu le 22 mars. En avril, la Courconstitutionnelle a indiqué que près de 90 %des votant·e·s s’étaient prononcés en faveurde la réforme.Le 24 octobre, la Commission électoralenationale indépendante (CENI) a annoncéqu’Alpha Condé avait remporté l’électionprésidentielle, bien qu’un autre candidat,Cellou Dalein Diallo, ait déjà revendiqué lavictoire.HOMICIDES ILLÉGAUXLes forces de défense et de sécurité ont faitusage d’une force excessive contre desmanifestant·e·s. Des dizaines de personnesont été abattues et de nombreuses autres ontété blessées par balle ou touchées par desgrenades lacrymogènes.Entre le 21 et le 22 mars, au moins12 personnes ont été tuées lors demanifestations organisées par le FNDC.Le 12 mai, sept personnes ont trouvé lamort dans des manifestations, dont certainesont tourné à la violence, dans les villes deManéah, Coyah et Dubréka (région deKindia) ainsi qu’à Kamsar (région de Boké).Elles dénonçaient la manière dont les forcesde sécurité faisaient appliquer les restrictionsde circulation liées à la pandémie deCOVID-19.Dans les jours qui ont suivi l’électionprésidentielle d’octobre, au moins16 personnes ont été tuées par les forces desécurité alors qu’elles protestaient contre lesrésultats du scrutin. Les forces de défense etde sécurité ont également commis desviolences à l’encontre des populations dequartiers de la capitale, Conakry, perçus comme favorables à l’opposition, tuant au moins un habitant de Wanindara le1er décembre, sans raison. Selon les autorités, deux policiers ont ététués à Conakry, le 21 octobre et le30 novembre respectivement, et troisgendarmes et un soldat ont eux aussi trouvéla mort lors d’une attaque visant un train dela compagnie minière Rusal le 23 octobre,également dans la capitale. ARRESTATIONS ET DÉTENTIONSARBITRAIRESEntre janvier et septembre, plusieurs dizaines de représentant·e·s d’organisations de lasociété civile et militant·e·s politiques ont été arrêtés arbitrairement pour s’être opposés auréférendum, avoir appelé à manifester ouavoir dénoncé des violations des droits humains commises dans le pays.Le 6 mars, la police a arrêté Ibrahima Diallo,dirigeant du FNDC et coordonnateur dumouvement en faveur de la démocratieTournons la page-Guinée (TLP-Guinée), et Sékou Koundouno, coordonnateur du Balaicitoyen, un mouvement citoyen qui promeutla démocratie, à Conakry. Plus tôt dans lajournée, ces deux hommes avaient tenu uneconférence de presse, notamment pourdénoncer les arrestations arbitraires auxquelles se livraient les forces de sécurité.Ils ont été inculpés, entre autres, d’« outrage à agent », de « violences et voies de fait » etde « production, diffusion et mise àdisposition d’autrui de données de nature à troubler l’ordre et la sécurité publics ou à
226Amnesty International — Rapport 2020/21porter atteinte à la dignité humaine ». Le15 juillet, la cour d’appel de Conakry, ayant constaté des irrégularités juridiques et procédurales, a décidé de l’abandon des poursuites. Un autre dirigeant du FNDC et membre deTLP-Guinée, Oumar Sylla, a été arrêté le17 avril à Conakry par la Brigade de recherche et d’intervention (BRI), après avoirparticipé à une émission de radio lors delaquelle des membres du FNDC avaientappelé à manifester contre la réforme de laConstitution. Il avait également dénoncé leshomicides, les actes de torture, lesdétentions arbitraires et le harcèlement dontdes membres du FNDC avaient été victimesdans la ville de Nzérékoré. Il a été inculpé de« communication et diffusion de faussesinformations » et de « violences et menacesde mort ». Il a été libéré le 27 août, un jugeayant décidé de l’abandon des poursuites àson encontre. Cependant, le 29 septembre, ila de nouveau été détenu arbitrairementaprès que des policiers en civil l’ont arrêtélors d’une manifestation interdite à Matoto,l’une des communes de Conakry. Il setrouvait toujours à la maison centrale deConakry pour « participation à unattroupement susceptible de troubler l’ordrepublic ».Le 7 mai, Saïkou Yaya Diallo, conseillerjuridique du FNDC, a été arrêté à Conakryaprès avoir participé à une conférence depresse au cours de laquelle, avec d’autrespersonnes, il a isolé dans un bureau unefemme qui, selon eux, travaillait pour lesservices de renseignement, aux fins semble-t-il de la protéger des autres participant·e·s. Ila été inculpé de « voies de fait »,« violences », « menaces » et « injurespubliques » et incarcéré à la maison centralede Conakry, bien que deux décisions dejustice aient ordonné sa libération et sonplacement sous contrôle judiciaire.Condamné le 16 novembre, il a été remis enliberté le 11 décembre, après avoir purgé sapeine.Le 10 novembre, le procureur de laRépublique près le tribunal de premièreinstance de Dixinn a annoncé que78 personnes, dont des personnalités del’opposition, avaient été déférées à la justicedans le contexte des manifestations etviolences post-électorales, et inculpées, entreautres, de « détention et fabrication d’armeslégères », d’« association de malfaiteurs » etde « propos incitant à la violence ».TORTURE ET AUTRES MAUVAISTRAITEMENTSIbrahima Sow (62 ans) a été arrêté le24 octobre, après l’attaque contre le train dela compagnie Rusal (voir Homicides illégaux).D’après les autorités, il a été testé positif auCOVID-19 pendant sa détention. Il se seraitrétabli mais, après s’être « plaint d’undiabète », il a été hospitalisé et est décédé.Des photos des blessures qui lui ont étéinfligées en détention incitaient fortement àpenser qu’on l’avait brûlé au fer chaud ou aumoyen d’un objet similaire.LIBERTÉ DE RÉUNION ETD’EXPRESSIONLes autorités nationales et locales ont portéatteinte au droit à la liberté de réunion eninterdisant, sans motif légitime, au moinssept manifestations contre le référendum surla réforme de la Constitution et la candidaturedu président de la République à un troisièmemandat. Des manifestations prévues enjanvier dans les villes de Kissidougou et deNzérékoré ont été interdites afin de« préserver la paix ». En mars, desmanifestations ont également été frappéesd’interdiction à Matoto et à Matam en raisonde la visite d’une délégation de la CEDEAOqui devait avoir lieu peu après et despréparatifs de la Journée internationale desdroits des femmes. Il en a été de même pourdes manifestations qui devaient se dérouler àMatoto pendant la campagne électorale,entre septembre et octobre.Le droit à la liberté d’expression a aussi étérestreint. Selon l’ONG Access Now, l’accèsaux réseaux sociaux a été perturbé pendant36 heures au total entre le 21 et le 23 mars.Le 18 octobre, la Haute autorité de lacommunication a suspendu pour un mois lesite d’information Guineematin.com, après
Amnesty International — Rapport 2020/21que celui-ci eut diffusé en direct le dépouillement des voix dans plusieurs bureaux de vote.IMPUNITÉBien que les autorités aient promis que tous les homicides de manifestant·e·s feraient l’objet d’une enquête, elles n’avaient pascommuniqué d’informations officielles à cesujet à la fin de l’année.La promesse faite en 2019 par le ministre de la Justice selon laquelle, à l’issue del’information judiciaire conclue en 2017, leprocès des auteurs présumés du massacre perpétré en septembre 2009 au stade de Conakry s’ouvrirait en juin 2020, ne s’étaittoujours pas concrétisée. Les forces de défense et de sécurité avaient alors tué 157 manifestant·e·s pacifiques dans le stadeet violé au moins 100 femmes.DROIT À LA SANTÉCONDITIONS CARCÉRALESLa santé des personnes détenues était particulièrement menacée depuis le début de la pandémie de COVID-19 en raison de la surpopulation chronique et de l’insuffisancedes installations sanitaires et des soins médicaux dans les lieux de détention.Selon les autorités, en mai, 68 des 713 détenu·e·s soumis à un test de dépistagedu COVID-19 à la maison centrale de Conakry avaient obtenu un résultat positif. Le ministère de la Justice a déclaré que ces personnes étaient prises en charge dans des unités de soins déployées au sein de la prison. À la prison de Kindia, 30 tests positifsont été enregistrés parmi les 352 détenu·e·set les 25 surveillant·e·s que comptaitl’établissement. Le ministère de la Justice aindiqué que les 28 détenu·e·s contaminésavaient été envoyés à la maison centrale de Conakry afin d’y être soignés. Il s’agissait del’établissement pénitentiaire le plus surpeuplé du pays, avec 1 500 détenu·e·salors qu’il était prévu pour n’en détenu·e·salors qu’il était prévu pour n’en accueillir que 300.