Alors qu’il avait désigné début mai une nouvelle équipe de pénalistes, parmi lesquels le fondateur de l’association Sherpa, Me William Bourdon, le prédicateur suisse Tariq Ramadan, mis en examen pour viols, devra-t-il changer d’avocats? Les bâtonniers de Paris et de Bobigny (Seine-Saint-Denis) ont été saisis pour d’éventuelles atteintes à la déontologie. Leurs réponses pourraient intervenir rapidement, « en fin de semaine prochaine », indiquait samedi le second au JDD.
C’est L’Obs qui a révélé mardi que Me Bourdon et Me Ouadie Elhamamouchi avaient, avant de représenter les intérêts de Tariq Ramadan, proposé, en novembre 2017 pour le premier et fin 2018 pour le deuxième, de défendre deux des femmes qui l’accusent de viol. De quoi susciter des interrogations sur un possible conflit et déclencher une tempête déontologique chez les robes noires.
Un premier conseil au tout début de l’affaire
« Personne ne peut et ne doit douter que j’ai accepté d’être l’avocat de Tariq Ramadan autrement que dans le respect de mes obligations déontologiques », se défend Me Bourdon sur son compte Twitter. L’avocat parisien évoque un « rendez-vous bref » en 2017 avec Henda Ayari qui, insiste-t-il, « n’a jamais été [sa] cliente ». Cette dernière parle, quant à elle, de « trahison » sur son compte Facebook en interpellant l’avocat : « Nous avons passé des heures à discuter du dossier à votre cabinet… Je me suis confiée à vous en toute confiance. »
Je souhaite répondre maintenant compte tenu de la publicité donnée à la saisine du Conseil de l’Ordre par l’avocat d’Henda Ayari. Personne ne peut et ne doit douter que j’ai accepté d’être l’avocat de @TariqRamadan autrement que dans le respect de mes obligations déontologiques.
— William Bourdon (@BourdonWilliam2) May 27, 2020
À l’appui de ses accusations, elle publie aussi un communiqué de presse daté du 3 novembre 2017 et signé par Mes William Bourdon, Grégoire Leclerc et Jonas Haddad, « avocats de Henda Ayari ». « Je ne conteste pas l’existence de ce projet de communiqué commun, confirme Me Haddad au JDD. Pas plus que les multiples contacts entre ma cliente et Me Bourdon en novembre 2017. »
Henda Ayari a également conservé un « mémo sur les actions à venir du cabinet Bourdon & associés » daté du 2 novembre 2017. Nous sommes alors au tout début de l’affaire. La plainte pour viol de Henda Ayari, la première visant Tariq Ramadan, n’a été déposée que deux semaines plus tôt, le 20 octobre. Ces six pages, que le JDD a pu consulter, constituent une véritable proposition de services du cabinet Bourdon avec plusieurs axes de travail : procédure pénale, négociation d’un nouveau contrat d’édition pour un livre, mise en place d’une veille médiatique, sollicitation éventuelle d’une protection policière, définition d’une stratégie de communication confiée à un professionnel, notamment pour répondre à la menace d’une plainte en diffamation envisagée alors par Tariq Ramadan.
Une plaignante inondée de messages sur son téléphone
« On ne produit pas un mémo de six pages à un client après un rendez-vous de dix minutes », tranche sous couvert d’anonymat un pénaliste parisien, outré, qui avoue ne pas porter Me Bourdon dans son cœur. Avant d’ajouter : « Le secret professionnel, ce n’est pas pour protéger l’avocat mais pour protéger le client qui vient se confier dans votre cabinet. » « C’est l’exemple de la perte complète du sens commun », résume un autre avocat expérimenté qui se définit pourtant comme « un de ceux qui ne détestent pas » William Bourdon.
« J’ai strictement respecté la déontologie. Il n’y a aucun conflit d’intérêts et je suis totalement serein », nous fait savoir Me Ouadie Elhamamouchi du barreau de Bobigny. Il lui est pourtant reproché d’avoir, à compter du 13 novembre 2018, inondé de messages le téléphone de Mounia Rabouj, autre accusatrice de Tariq Ramadan, pour la convaincre de le choisir comme défenseur alors qu’un avocat n’a théoriquement pas le droit de solliciter un client par SMS. Et surtout d’avoir longuement échangé sur le dossier avec elle avant de passer à l’ennemi dix-huit mois plus tard.
Un passage, dans un texto du 20 novembre 2018 de Me Elhamamouchi, retient aujourd’hui plus particulièrement l’attention. Un « ténor du barreau de Paris accepterait de collaborer avec nous à condition que vous soyez au moins titulaire de l’aide juridictionnelle »? De qui s’agirait-il? Sollicités par le JDD, les avocats de deux plaignantes, Me Francis Szpiner pour Henda Ayari, Me Éric Morain pour Mounia Rabbouj, n’ont pas souhaité réagir.