Il y a quelques jours (le 20 mars 2016, ndlr), le président congolais Denis Sassou Nguesso, qui cumule déjà 32 ans de pouvoir, s’est déclaré vainqueur d’une élection présidentielle, aussi douteuse que vicieuse, et dont il avait lui-même dicté les règles en modifiant la Constitution qui ne lui aurait plus permis d’être candidat à sa propre succession.
Ce bidouillage est plus que jamais l’illustration de cette Afrique centrale francophone qui, depuis les années 1960, a installé la normalité du pouvoir à vie dans la conscience des peuples.
Cette normalité a prospéré jusqu’à présent à cause de notre silence, de notre acceptation d’une prétendue malédiction atavique du continent noir où tout est permis, mais aussi de la connivence à peine masquée des compagnies pétrolières, et surtout des béquilles dont la France, ancienne puissance coloniale, a toujours gratifié ces personnages de roman de Gabriel Garcia Marquez que nous voyons poser tout souriants sur le perron de l’Elysée avant qu’ils ne repartent tranquillement assujettir leur peuple…
Le président s’est fait réélire à plus de 67% dans un pays qui le désapprouve à 90%. Et ce désaveu est si manifeste à Pointe-Noire, la deuxième ville du pays, que le gouvernement a estimé inutile de prendre en compte les voix de cette cité. Un peu comme si en France on écartait Lyon ou de Marseille pour une élection présidentielle!
Je retiens que, comme ironisait Le Canard Enchaîné, Denis Sassou Nguesso aura inventé « l’élection présidentielle à huis clos » -en coupant tous les moyens de communication pendant quatre jours-, affichant aux yeux du monde entier son admiration pour les méthodes de la Corée du Nord alors que la liberté des peuples se mesure aussi à l’aune de leur capacité à accéder à l’information.
« Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, j’avais 13 ans »
Le Congo-Brazzaville est ma terre d’origine, le territoire de mon enfance, de ma jeunesse et le centre de gravité de mon univers littéraire. Mon rôle de créateur est de ne pas me croiser les bras dans [i « l’attitude stérile du spectateur », comme dirait Césaire, mais d’entendre les doléances de ces jeunes Congolais qui m’écrivent, m’implorent d’amplifier leurs voix afin qu’elles dépassent la cage dans laquelle ce régime est en train de les enfermer.
Lorsque ce président est arrivé au pouvoir en 1979, j’avais 13 ans. J’ai vécu au rythme des coups d’Etat, d’assassinats politiques, comme ceux du président Marien Ngouabi, de son prédécesseur Alphonse Massamba-Débat, du cardinal Emile Biayenda, tout cela la même année, en 1977, dans la même semaine, entre le 17 et le 25 mars!
Je ne voudrais pas que mes petites soeurs, que mes petits frères vivent dans la frayeur et qu’ils s’imaginent, dans leur désespoir, que le monde a toujours été ainsi: la liberté pour les uns, parce qu’ils sont nés du bon côté; l’abaissement pour les autres, parce que le destin l’aurait voulu ainsi…
J’attends depuis le 20 mars la réaction de la France sur la situation politique au Congo et cette mascarade électorale ourdie par un régime qui utilisera tous les moyens, surtout armés, pour se maintenir au pouvoir. Reconnaître ou recevoir sur son sol un président illégitime serait perçu comme un des crimes dont ce pays dit des droits de l’homme aurait du mal à se justifier.
Oui, j’aime à penser que la France a une opportunité -et peut-être la dernière- de montrer désormais que les dictateurs et leurs séides ne pourraient plus, comme Kadhafi, venir planter leur tente de bédouin dans le parc de l’Hôtel Marigny…Source Journal de Brazza